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Fréquence commune, le MES et Colibris : retour sur deux ans d’expérimentation dans les territoires


Fréquence commune, le MES (Mouvement pour l’Économie Solidaire) et Territoires d’Expérimentations. Trois méthodologies mais un objectif commun : accompagner et amplifier les dynamiques de transition sur les territoires. Nous étions avec ces trois structures au Festival Colibris en mai dernier, pour qu'elles présentent la façon dont elles conduisent le changement à l’échelle des territoires.

Marie-Hélène Pillot est la coordinatrice, au sein du Mouvement Colibris, du projet Territoires d’Expérimentations.

Ombelyne Dagicour est première adjointe à la Démocratie locale, Innovation démocratique et Participation citoyenne de la Mairie de Poitiers.

Tristan Rechid est le co-fondateur de Fréquence Commune, une coopérative qui accompagne les citoyen·nes dans la réinvention de la démocratie locale.

Virginie Boissière est une citoyenne impliquée dans l’Atelier citoyen du Pays d’Uzès – Territoires d’expérimentation.

Bruno Lasnier est délégué général du Mouvement pour l’économie solidaire (MES).




La table-ronde démarre par une présentation du programme Territoires d’expérimentations (TE) mené depuis deux ans par une dizaine d’acteurs, dont le Mouvement Colibris, pour accompagner des territoires dans une démarche de transition systémique. Marie-Hélène Pillot, la coordinatrice du programme, explique : « Il n’y a pas d’accompagnement-type, à chaque fois on réalise d’abord un diagnostic vivant du territoire, puis on procède à l’identification de l’écosystème local, des freins, des leviers pour identifier les actions à mettre en place sur les territoires ». Il faut pour cela veiller, en amont, à « la construction d’un vocable commun et à la planification d’un projet commun ».

Le programme accompagne aujourd’hui trois projets de territoires. Dans le Pays d’Uzès, dans le Gard, la création d’une assemblée multiacteurs (élu·es, acteurs économiques, citoyen·nes) autour de la création d'un espace-test agricole. À Kembs, en Alsace, écoles, élu·es, citoyen·nes, groupement d'achat solidaire, se sont réunis dans un archipel autour des enjeux de souveraineté alimentaire et de reconnexion des enfants à la nature. Le programme les a accompagnés à professionnaliser le projet, à construire leur feuille de route. En outre la commune salarie un maraîcher à mi-temps et apporte des financements au projet (sur les volets pédagogie et production pour la cantine). En Essonne, enfin, où l’accompagnement a démarré plus tard, la réflexion est encore en cours, mais le projet portera sur la sensibilisation aux enjeux alimentaires des personnes non convaincues. L’idée est de créer une méthode pour construire une assemblée multi-acteurs afin de réfléchir à la façon de consommer sur les territoires.

Fréquence Commune, réinventer la démocratie par le bas

La table-ronde se poursuit avec la présentation de Fréquence Commune qui, explique son cofondateur Tristan Rechid, est une coopérative qui « accompagne les élu·es qui considèrent qu’il y a urgence à repenser la démocratie », à mener des « expérimentations pour faire la démocratie différemment », comme à Poitiers par exemple, où une liste participative a remporté les dernières élections. Les listes participatives amènent un changement de posture chez les habitant·es, souligne-t-il : « vous ne pouvez plus dire que les élu·es font n’importe quoi si c’est vous qui êtes élu·e ! »

« On refuse de faire perdre du temps aux gens dans des assemblées stériles », Tristan Rechid

Tristan Rechid se montre toutefois critique vis-à-vis du risque « d’institutionnalisation de [leurs] outils » : « certains deviennent des gadgets pour alimenter une démocratie participative qui n’a pas de sens » parce qu’elle « n’impacte jamais la décision ». Il dénonce « la fausse consultation quand les décisions sont déjà prises avant la réunion de consultation ». Là où se joue réellement la co-construction, c’est dans la phase de décision : si la « convention citoyenne pour le climat n’a pas débouché sur grand chose », c’est parce qu’elle n'a pas impacté la décision, déplore-t-il. Face à cela, il faut donc assurer les conditions pour créer des assemblées qui soient véritablement décisionnaires. Cela demande de créer un cadre clair avec une charte qui définit les rôles de chacun·e et que les élu·es abandonnent leur monopole de la décision. « On refuse de faire perdre du temps aux gens dans des assemblées stériles » donc « la participation de la personne décisionnaire est une condition sine qua non » et « on vire les élu·es qui ne jouent pas le jeu ».

Tristan Rechid : « La participation de la personne décisionnaire est une condition sine qua non. On vire les élu·es qui ne jouent pas le jeu ».

Le Mouvement pour l’Économie Solidaire, réseau d’acteurs de l’ESS au service de la transition

Bruno Lasnier introduit ensuite le MES par un rappel historique : « l’économie solidaire est née de la convergence, à partir de 1968, de réseaux qui font le lien entre la critique de la mondialisation, du capitalisme, et le respect du vivant pour s’inscrire dans une société durable. » « Elle valorise la capacité des acteurs à s’auto-organiser (garage solidaire, jardin partagé) ».

Aujourd’hui, le défi pour le MES est de trouver « comment, après les avoir soutenues, relier les initiatives entre elles pour passer à un modèle systémique ». Le mouvement a donc initié un programme de recherche-action avec trois objectifs :

- favoriser l’interconnaissance et les échanges de pratiques entre les membres du réseau ;

- capitaliser et construire une mallette pédagogique en faveur de la transition ;

- monter une communauté apprenante pour qu'elle devienne transmetteur de ces outils.

« L’économie solidaire est née de la convergence, à partir de 1968, de réseaux qui font le lien entre la critique de la mondialisation, du capitalisme, et le respect du vivant pour s’inscrire dans une société durable », Bruno Lasnier

Participation citoyenne, changement de postures et processus d’apprentissage

Virginie Boissière témoigne ensuite de son expérience en tant que citoyenne impliquée dans l’Atelier citoyen du Pays d’Uzès : « dans cette assemblée, on traite de sujets dont je me sentais coupée, de sujets sur lesquels on n’est pas expert, on monte en compétences » et « on vit une expérience d’intelligence collective ». C’est une expérience inédite, qui bouscule, confie-t-elle : « cela fonctionne à l’inverse de nos habitudes [...] on ne reçoit pas des directives qu’on se contente d’appliquer ensuite, mais on cherche plutôt des informations qui nous manquent et ça remonte vers quelque chose qui fait sens et prend forme », « le multiacteurs fait qu’on travaille avec des gens avec qui on n’a pas l’habitude de travailler », c’est « d’autres façons de penser, de nous comporter et de fonctionner ensemble ».

« Dans cette assemblée, on traite de sujets sur lesquels on n’est pas expert, on monte en compétences et on apprend d’autres façons de fonctionner ensemble », Virginie Boissière

Ombelyne Dagicour, élue municipale sur la liste participative Poitiers Collectif, explique les trois piliers du programme de cette dernière : justice sociale, transition écologique et faire de la politique autrement, « pour éviter les écueils du manque de transparence, de la défiance, etc. »

Les listes participatives permettent de « retisser le lien entre les élu·es et les non-élu·es », affirme-t-elle, même si elle reconnaît un problème de légitimité : « on a été très bien élu·es, on a obtenu 38 sièges alors que dans le meilleur scénario on en attendait 20 », mais « on a été élu·es avec 60% d’abstention »...

« Les listes citoyennes permettent de retisser le lien entre les élu·es et les non-élu·es », Ombelyne Dagicour

En parlant de légitimité, elle déplore le fait qu’ « en France, ce soit uniquement l’acte de l’élection qui donne la légitimité » alors que « nous sommes tous légitimes, en tant que citoyen·nes, à prendre part aux décisions d’intérêt général ». Historienne, elle rappelle l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « la loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ».

« Le travail associé entre élu·es, technicien·nes et citoyen·nes permet de croiser les regards, de faire remonter les propositions, et d’être à l’écoute des besoins réels des habitant·es », Ombelyne Dagicour

« Aujourd’hui, tout le monde fait de la participation citoyenne mais tout le monde ne met pas la même définition derrière ». Pour elle, cela implique de « partager le pouvoir et, en tant qu’élu·e, prendre le risque de la souveraineté populaire ». À Poitiers, continue-t-elle, « on expérimente avec Fréquence Commune la formule du travail associé entre élu·es, technicien·nes et citoyen·nes » notamment à travers la création d’une assemblée citoyenne décisionnaire mixte avec des élu·es et des non-élu·es. Ce qui permet de « croiser les regards, de faire remonter les propositions et d’être à l’écoute des besoins réels des habitant·es ». C’est-à-dire que le « conseil municipal devient une simple chambre d’enregistrement à la fin du processus de co-construction ». Cela permet un « processus d’apprentissage pour les habitant·es et les élu·es » : les premier·es sortent de leur « posture de doléances » tandis que les second·es prennent mieux en compte les besoins et problématiques des habitant·es, explique-t-elle. « Le sujet de notre assemblée citoyenne , les incivilités dans l’espace public, a été choisi par les habitant·es. On a eu par exemple une habitante qui témoigne que lorsqu’elle va au centre des impôts, on lui demande d’enlever son voile, qui est ostracisée, qui subit des discriminations ». Cela éclaire la discussion collective pour prendre une décision adaptée.

La co-construction, un cadre qui reste à trouver

La mise en place de telles assemblées ne se fait toutefois pas sans embûche. En effet, aucun cadre juridique ne permet à l’heure actuelle la co-construction. « Ce que l’on expérimente avec Fréquence Commune à Poitiers, ce n’est pas légal », confie-t-elle, « le préfet a retoqué la création de notre assemblée décisionnaire » au motif que l’on n’a pas le droit, en tant qu’élu·es, « de se dessaisir de notre pouvoir de décision ». Une invitation à changer la loi...

Sur la formule du travail associé, Tristan Rechid explique : « Qui est en capacité de définir l’intérêt général ? Ce ne sont pas les élu·es tous·tes seul·es qui, spontanément, après leur élection, sont doté·es d’impartialité ». Pour définir l’intérêt général, il faut également intégrer les expert·es et les habitant·es dans la prise de décision, car « la formation de l’intérêt général vient de la prise en compte d’intérêts divergents, éclairés par une expertise, fruit d’un processus délibératif qui doit être animé par les élu·es ».

« Il va falloir créer des poches de résistance face à cette vague brune qui arrive. Créez des listes participatives partout ! », Tristan Rechid

Il alerte par ailleurs sur les rapports de force actuels à l’approche des prochaines échéances électorales : « il va falloir créer des poches de résistance face à cette vague brune qui arrive, et c’est à l’échelon communal que ça devra se faire ». Face à la montée de l’extrême-droite, Tristan Rechid lance donc un défi à l’assemblée : « créez des listes participatives, partout ! En 2026 je veux 35 000 listes participatives ! ».

Bruno Lasnier, du MES, conclut les échanges de cette table-ronde en abordant la notion de « citoyenneté économique ». Il déplore que l’économie ne soit souvent entendue que comme économie de marché alors que d’autres formes d’économie co-existent, notamment l’« économie de la solidarité et de la réciprocité » et l’« économie de la redistribution ». Il est important, pour mener des projets de coopération territoriale multiacteurs, de s’assurer de mettre autour de la table tous les acteurs de ces différentes formes d’économie, défend-il, à travers des pôles territoriaux de coopération économique par exemple.

Bruno Lasnier est délégué général du Mouvement pour l’économie solidaire (MES).

Modalités de décision, de représentation, relations élu·es/agents, les multiples défis d’un renouveau démocratique

Interrogé sur le mode de décision utilisé dans l’assemblée citoyenne de Poitiers, Tristan Rechid explique : « on s’inspire du consentement [la gestion par consentement est un processus consistant à prendre des décisions à l’unanimité, en levant les objections, ndlr] mais à 200 personnes, c’est compliqué donc on fait un mélange de consentement et de jugement majoritaire ». Par contre, il ne s’agit pas de faire « des référendums sur toutes les décisions » : cela n’a « aucun intérêt de faire décider des gens qui n’ont aucune notion sur le sujet ». La partie prise de décision ne représente que l’ultime étape du processus démocratique, explique-t-il. Le plus important est la phase de délibération, à travers laquelle les avis informés se forment, sont débattus, pour ensuite seulement donner lieu à un vote éclairé, comme pour la Convention Citoyenne sur le Climat.

Questionnée sur les relations entre élu·es et agents, Ombelyne Dagicour confie les dissensions qui se dessinent parfois dans les rapports entre ces deux légitimités différentes et parfois divergentes : la légitimité technique d’un côté, la légitimité électorale de l’autre, et la difficulté à changer de posture.

Elle livre également sa vision de la démocratie actuelle : « on est dans une phase de brutalité politique, ce que j'aimerais c'est quelque chose de très révolutionnaire : que tous·tes les élu·es soient à l'écoute, qu'ils n'oublient pas que ce sont des représentant·es, et qu'ils redonnent une dignité aux citoyen·nes ». « Il y a beaucoup de mépris aujourd’hui, qui alimente la colère dans les couches populaires notamment », poursuit-elle. La question est donc : « Comment sortir de l’entre-soi et aller chercher les abstentionnistes ? C'est possible, mais il faut donner envie. Il y a des choses qui ne vont pas, la mobilisation dans la durée reste difficile ». Tristan Rechid complète : « il faut démultiplier les expériences d’assemblées décisionnaires [...]. On a besoin d’élu·es pour garder la boutique mais une autre forme de représentation est aussi nécessaire, par le tirage au sort, en faisant appel aux gens concernés ». Il s’agit de « renouveler la démocratie par le bas par les listes participatives ».

« On a besoin d’élu·es pour garder la boutique mais une autre forme de représentation est aussi nécessaire, par le tirage au sort, en faisant appel aux gens concernés », Tristan Rechid

Bruno Lasnier clôt les échanges par un parallèle entre la crise démocratique et la montée des inégalités : « on ne peut pas laisser le monde économique comme il se développe aujourd’hui, avec une répartition des richesses qui devient de plus en plus insupportable ». C’est un enjeu démocratique que de se demander « comment nous, citoyens, on peut se réapproprier l’économie ». L’argent, le système économique sont des « conventions », il n’y a pas de fatalité, affirme-t-il, il est question de « ce qu’on accepte ou pas... »


Crédit photos : Marc Dufournet, licence CC-BY-SA (au pied levé, merci Marc ;)

Pour aller plus loin

- La campagne Nouvelle (R)

- Retour sur le Festival Colibris

- Le site de Territoires d’Expérimentations

- Le site de Fréquence Commune

- « Innovation sociale et citoyenne au service du développement économique vers la transition écologique et solidaire », recherche-action du MES.

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