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Pour une alliance entre producteur·rices et consommateur·rices

Quelle agriculture voulons-nous ?


Remonter les pages de l'histoire et de la géographie aide à comprendre la crise agricole que nous traversons. À la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, la France, suivie de l'Europe des sept nations, choisit de favoriser, dans ses politiques de développement, des filières jugées stratégiques pour sa souveraineté alimentaire et la compétitivité économique des territoires. Deux piliers lui permettent alors de modifier complètement le visage de l’agriculture européenne : moderniser et maximiser la production, et protéger les prix de vente par une taxe sur les produits importées et par des aides sur les productions destinées à l’export. 

Ces filières, vous les connaissez ! Elles s’observent d’un paysage à l’autre, elles caractérisent nos quotidiens et les rayons de nos supermarchés : ce sont blé et l’orge, la betterave et le colza, le maïs et la tomate, le lait, le porc et la volaille.

Cette double politique a fonctionné pendant plusieurs décennies : elle a atteint nombre de ses objectifs ! La productivité agricole française, toutes filières confondues, a triplé en l’espace de 40 ans. L’offre s’est structurée et s’est démocratisée. Les agriculteurs et les agricultrices ont pu, un temps du moins, être rémunéré·es décemment et investir dans leurs outils de production. 

Mais la réussite agricole française a également un visage caché : développer l’agriculture autour d’un petit nombre de filières présélectionnées a entraîné une standardisation des fermes, des territoires et des arts de la table. Petit à petit, les marges des agriculteur·rices ont fondu comme neige au soleil, tout comme leur capacité à être autonomes dans leur ferme. Beaucoup ont jeté l’éponge tandis que d’autres s’agrandissaient en rachetant les fermes de leurs territoires. La France est passé de 2,5 millions d’agriculteur·rices en 1955 à 389 000 aujourd’hui. Les 10 prochaines années, 100 000 agriculteurs et agricultrices devraient partir en retraite, sans certitude que les fermes seront reprises.

Évolution du nombre d'agriculteurs exploitants en France, entre 1982 et 2019

Et puis, les filières non sélectionnées par les politiques françaises et européennes au milieu du siècle dernier viennent aujourd’hui à manquer, participant, dans un même processus, à la précarisation du milieu agricole. Nous n’avons plus de luzerne pour nourrir les animaux d’élevage, alors la France importe du soja OGM importé d’Amérique latine à vil prix. Nous n’avons plus assez de protéines végétales, noisettes et noix qui diversifient les farines et les débouchés des agriculteurs, et qui enrichissent l’équilibre des sols pour les cultures elles-mêmes. Nous ne produisons plus assez de paille pour les animaux qui offre, en bout de course, une fertilisation équilibrée pour les champs. Nous manquons d’opportunités économiques pour des filières énergétiques sobres bien qu’efficaces pour le bois des haies. Bien pensées, elles peuvent diversifier les revenus des agriculteur·rices autant que dessiner de nouvelles courbes paysagères.

L’un dans l’autre, il reste un enseignement fort, hérité de cette longue et complexe histoire agricole : l'offre, associée à des politiques de prix, crée en grande partie la demande ! Un chantier motivant s’ouvre alors pour la France : recréer des filières sur tous ces produits jugés non stratégiques à l'époque mais qui viennent à tellement nous manquer 60 ans plus tard.

Au sein de cette restructuration agricole à venir, nous portons une conviction : un·e agriculteur·rice n'est pas un·e mendiant·e. Il ou elle a besoin d'être payé pour le travail qu’il réalise au sein d’un territoire. Ce sont d’ailleurs les contrats de travail qui cimentent le lien social et le droit des travailleur·euses. Si nous déplaçons la focale, si le travail en agriculture ne concerne plus seulement une filière animale ou une filière végétale, mais bien la gestion d'un agro-écosystème dans son ensemble, alors, en fonction du besoin de chaque territoire, de nouvelles perspectives sociales et économiques s’ouvrent pour les agriculteurs et les agricultrices : l'entretien des haies, la production de fumier, les animaux sur la paille et au foin favorisant la valorisation des prés du territoire, tout cela et bien d'autres choses encore !

Si la politique agricole commune européenne rémunère les agriculteur·rices pour les services agro-écosystémiques, les revenus dédiés restent bien trop modestes. Pourtant, davantage que de botter en touche et renvoyer dos à dos les agriculteurs et la Commission européenne, la France peut actionner des leviers concrets dans ce sens : en fléchant des subventions vers les échelons décentralisés (les départements notamment) alors en charge de contractualiser les agriculteur·rices pour des services territoriaux. En agriculture aussi, les territoires, les vivants et de nouvelles opportunités économiques sont des combats frères.

Le mouvement Colibris s’engage dans ce sens. Nous sommes auprès des paysans et des paysannes, auprès des coopératives qui misent sur des écosystèmes de réussites territoriaux, auprès des collectifs citoyens et des collectivités territoriales qui travaillent à la souveraineté et à la sécurité alimentaire. Nous sommes en soutien d’une autonomie paysanne et d’un travail justement rémunéré. Nous souhaitons défricher des chemins de pérennité pour l’agriculture et un horizon portant producteurs et consommateurs au sein d’une grande cause commune.


Damien Deville


Pour aller plus loin

- Du 21 au 23 mars, le groupe local Colibris Pays des Sucs organise une Agora "Accès pour tous et toutes à une alimentation de qualité".  Voir le programme complet sur leur site !

- "Expérimentation en Pays d'Uzès : vers des pratiques agricoles et démocratiques transformées ?"

- La revue 90°2 « Pour une révolution alimentaire », disponible dans un très beau format papier au prix de 12 €, et gratuitement au format numérique.

- Les fiches « Nouvelles formes d’installation en zones rurales », en libre téléchargement.

- La webconférence "Changer de vie en campagne", avec Guillaume Faburel (géographe) Bérengère Daviaud (Avise) et Jean-Baptiste Cavalier (Reneta).

- Le rapport "Qui veille au Grain ? Sécurité alimentaire : une affaire d'État", des Greniers d'Abondance.

- Les formations de l'association Terre & Humanisme pour les particuliers et les professionnels : potager agroécologique, élevage, taille de fruitiers, compostage collectif, aménagement paysager, permaculture...

- L'agroécologie peut nous sauver, de Marc Dufumier et Olivier Le Naire, Actes Sud / Colibris, mai 2019.

- Une agriculture qui répare la planète, de Vandana Shiva, Jacques Caplat et andré Leu, Actes Sud, septembre 2021.


Crédits : 

- photos : La Ferme École Graines d'Avenir à Magny-les-Hameaux, Nicolas Duprey / CD 78. Licence CC-BY-ND

illustration : ©Jeanne Macaigne, tirée de la revue 90° « Pour une révolution alimentaire ».

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