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Pour une finance éthique, coopérative, et transparente

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  • Économie
Résumé Avec Stéphanie Lacomblez de la Nef, nous nous interrogeons sur les bons usages de l’argent, afin qu’il finance des projets qui ont du sens.
Billet
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La finance a mauvaise presse. En dehors de l’économie réelle, déstabilisatrice des économies nationales, cause de crises à répétition, soutenant des projets climaticides et polluants… Dans le cadre du volet Économie de la campagne Nouvelle (R), le Mouvement Colibris souhaite notamment interroger l’usage de l’argent, afin qu’il finance des projets respectueux des humains et de la planète.

La Nef, partenaire du Mouvement Colibris depuis de nombreuses années, propose de financer, avec l’épargne, des projets qui ont du sens, en toute transparence. Entretien avec Stéphanie Lacomblez, responsable des partenariats et relations institutionnelles de la Nef.



- Stéphanie, peux-tu nous présenter la Nef ? Est-ce une banque comme les autres ?

Non, ce n’est pas une banque comme les autres ! Il y a trois différences majeures avec une banque classique.

Tout d’abord, sa raison d’être. La Nef a été créée en 1988, avec pour ambition de financer des projets de la transition écologique, sociale, et culturelle. Les fondateurs voulaient soutenir des projets qui ne pouvaient pas emprunter auprès des financeurs classiques, parce que trop novateurs, trop risqués : le bio, les énergies renouvelables… Aujourd’hui, si cela reste les deux principaux secteurs auxquels on prête, la Nef se diversifie : commerce équitable, tiers-lieux, librairies… C’est le seul organisme à financer uniquement des projets environnementaux, sociaux, et culturels.
« La Nef a un impact quatre fois inférieur à la moyenne des grandes banques »

La Nef fait donc aussi la différence sur un angle strictement carbone, indicateur scruté par des ONG comme Oxfam dans leur notation des grandes banques françaises. Nous avons fait le même exercice, avec le même cabinet de conseil, Carbone 4. La Nef a un impact quatre fois inférieur à la moyenne des grandes banques. Et encore, la méthode reste imprécise sur le bilan des différents projets : on évalue par exemple un agriculteur bio de façon équivalente à un agriculteur conventionnel ! En affinant, on arriverait certainement à un impact encore plus faible.
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Ensuite, son statut. La Nef est une coopérative, avec gouvernance directe. Nos 40 000 sociétaires décident, sur le principe « une personne, une voix », des grandes orientations de la Nef lors d’assemblées générales, et élisent le conseil de surveillance – ils peuvent même se présenter ! L'équipe opérationnelle ne répond donc pas aux exigences à court terme d’actionnaires visant à maximiser leur rémunération, mais à des sociétaires engagé·es ayant pour objectif que la structure se porte bien et réponde à ses valeurs fondatrices.

Enfin, la transparence. La Nef est la seule à publier chaque année la liste des prêts qu’elle octroie. Certains diront que c’est la différence centrale. Par cette transparence, la Nef se démarque du reste du secteur bancaire, connu pour son opacité.

- La Nef n’est pas encore une banque à proprement parler. Vous n’êtes pas indépendants ?

En 1988 quand la Nef s’est lancée, la Banque de France a donné son accord, mais a demandé, au vu de notre petite taille, à nous adosser à un acteur bancaire plus important. Notre adosseur, le Crédit Coopératif, garantit ainsi la liquidité et la solvabilité de la Nef auprès de la Banque de France, et s’assure qu’elle remplit ses obligations réglementaires, tout en lui laissant une autonomie de gestion. Cela suppose des audits et des contrôles réguliers. Notre politique de risque est également très contrôlée, et à partir d’un certain montant de prêt, l’adosseur s’octroie un droit de regard, voire de véto. La Nef est donc assujettie à la politique de risque du Crédit Coopératif, et donc de celle de la BPCE (groupe Banques populaires / Caisses d’Épargne), auquel appartient désormais le Crédit Coopératif.

Cet adossement nous a permis de nous lancer et d’avoir cette activité pendant trente ans. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de croissance forte. En trois ans, nous avons doublé notre activité : notre bilan d’activité était de 500 millions d’euros en 2018, il est aujourd’hui d’un milliard d’euros. En 2018 nous réalisions 55 millions d’euros de prêts, cette année, nous serons autour de 250 millions d’euros. La Nef est en train de changer d’échelle, nos ambitions se renforcent, et donc l’adossement commence à être un modèle étroit pour nous. Cela nous empêche de nous développer comme nous voudrions, sur la nature des prêts, sur les risques que nous souhaitons prendre, et sur nos offres. La Nef ne peut pas aujourd’hui proposer de comptes courants pour les particuliers, ni de cartes bancaires pour les comptes courants professionnels.

- Comment la Nef peut-elle devenir une « vraie » banque ?

Le 30 juin dernier, nous avons déposé un dossier auprès de l’ACPR (l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution). Nous savons que nous avons besoin de renforcer notre capital, afin d’atteindre le ratio de solvabilité nécessaire [rapport entre le niveau des engagements (crédits et autres placements) et le montant de ses fonds propres, ndlr], d’autant plus que nous avons des ambitions de développement important. Aujourd’hui, la Nef dispose de 50 millions d’euros de capital. Il faut que nous allions beaucoup plus loin : nous estimons devoir augmenter notre capital jusqu’à 80 millions d’euros d’ici les deux ou trois prochaines années.
« En devenant sociétaire, vous participez à redonner à l’argent son utilité première, un moyen au service du développement d’une société juste solidaire et durable. »

Pour cela, nous proposons aux particuliers et aux professionnels de prendre des parts sociales. Ce n’est pas un don, ce n’est pas de l’épargne, c’est de l’investissement. Concrètement, cela veut dire que vous devenez sociétaire de la coopérative, et donc copropriétaire de la Nef. Vous devenez aussi codécideur des orientations de la coopérative. Vous participez à redonner à l’argent son utilité première, un moyen au service du développement d’une société juste solidaire et durable. Et c’est fondamental ! La transition a besoin d’un outil financier volontariste pour financer ses projets.
Dans le cadre de notre campagne Big banque, pour une nouvelle banque éthique et indépendante, nous proposons des packs, pour entrer dans l’aventure : une souscription au capital, l’ouverture d’un livret d’épargne, et une préinscription à un futur compte de paiement – qui pourrait être disponible grâce à cette indépendance. Avec le livret, vous disposez d’une épargne parfaitement liquide, et d’une petite rémunération, qui peut être reversée à une des associations partenaires, dont le Mouvement Colibris fait partie ! C’est ce que font un tiers de nos épargnants, pour un montant global de 93 000 € en 2021.

- Quels sont les priorités d’après toi pour transformer la finance ?

Il est vraiment nécessaire de reconnecter la finance au réel, parce qu’elle est partie en vrille ! Les marchés financiers étaient faits au départ pour attirer des liquidités sur des projets. Mais les acteurs ont commencé à fabriquer des outils complexes et opaques, qui se sont déconnectés de l’économie réelle. Le secteur financier mondial pèse aujourd’hui 400 000 milliards de dollars, alors que le PIB mondial, c’est à dire l’ensemble de ce qui est produit dans le monde, n’est que de 90 000 milliards. Le montant des actifs financiers a été multiplié par 20 en 30 ans. L’afflux de liquidités sur les marchés, qui devait nourrir l’économie réelle, a en fait favorisé la spéculation et la recherche de profits à outrance. Aujourd’hui, seuls 12 % des bilans des banques sont consacrés à l’économie réelle...
« Terre de Liens, Énergie partagée, la Coopérative Oasis... Ces initiatives permettent de reconnecter l’économie au réel. »

Il y a plusieurs façons d’améliorer la situation. Tout d’abord, en interpellant sa banque, puis en orientant son épargne au bon endroit. À la Nef bien sûr, et aussi dans des initiatives qui permettent de reconnecter l’économie au réel, en circuit court : c’est ce que permettent Terre de Liens, Énergie partagée, la Coopérative Oasis, ou les clubs Cigales par exemple, avec des investissements directs dans des projets vertueux.

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Une des toitures photovoltaïques installée par Dwatts, Opérateur énergétique territorial et coopératif, dans la vallée de la Drôme.

De plus, les monnaies locales permettent de relocaliser l’économie. Quand vous échangez des euros contre des Euskos dans le Pays Basque, des Gonettes en région lyonnaise, des Pêches en Île-de-France, ou autres, votre argent circule au service des commerces, des salles de spectacles, des artisans de votre territoire…

Il est nécessaire également de mener des actions de plaidoyer, aux niveaux national et local, pour alerter sur le comportement de certaines banques – voir la mise en demeure de la BNP par Oxfam, les Amis de la Terre et Notre Affaire à tous. Ou pour proposer des initiatives, comme le fait notamment le Pacte pour la Transition, du Collectif pour une Transition citoyenne, dont la Nef et le Mouvement Colibris sont membres, avec 30 autres organisations (Emmaüs France, Attac, Utopia...).

Pour aller plus loin


Dans le cadre du volet Économie de la campagne Nouvelle (R), nous retrouverons Eva Sadoun, cofondatrice de la plateforme d’investissement Lita, et Timothée Parrique, docteur en économie, le 10 novembre de 12h45 à 14h, en ligne, pour la webconférence « Comment engager la décroissance ? ». Avec eux, nous tenterons de repenser nos modes de production et de consommation pour les mettre au service des besoins essentiels de chacun·e, dans le respect des limites écologiques.
Pour s’inscrire, c'est gratuit et c'est ici !
Nous invitons chacun·e d’entre vous à participer à la réflexion ! Donnez votre avis sur les grandes orientations à donner à l’économie, participez à notre grande consultation !

- Participez à l’aventure du Big Banque avec la Nef !

- Des ressources pour aller plus loin, en bas de la page de la consultation.

- Une sélection de livres sur l'économie, sur la Boutique des colibris.

Crédit photo : © Caroline Bleux