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À Uzès, pour réinventer l’agriculture, on réinvente la démocratie


Un petit bout de France. Avec ses 29 777 habitant·es, et ses 34 communes qui s’étendent sur 485 km2, la Communauté de Communes du Pays d’Uzès (CCPU) dans le Gard incarne bien les atouts et les faiblesses de notre pays : un paysage diversifié, bourré de charme et de douceur, d’atours patrimoniaux indiscutables – la ville-centre d’Uzès, sa fameuse Place aux Herbes et ses trois tours médiévales, le Pont du Gard tout proche et de nombreux villages pittoresques –, avec le sentiment d’un « bien-vivre » largement partagé, mais aussi d’un avenir qui se cherche au-delà du tourisme. Faiblesse sinon d’une monoculture (ou presque) de la vigne, des inégalités sensibles de revenus, d’un trop plein de maisons secondaires et d’un manque de logements à l’année, d'une population vieillissante, des sécheresses récurrentes et des menaces sur la ressource en eau…

Pour faire face à ces problématiques, le Pays d’Uzès mise sur des citoyen·nes et des collectifs dynamiques, et une démarche innovante de démocratie collaborative, accompagnée par le Mouvement Colibris ! Reportage.



L’ambivalence de mes interlocuteurs et interlocutrices pour ce territoire où ils vivent et travaillent, où ils sont nés souvent, est d’ailleurs unanime. « Ici, on est dans un cadre magique, délicieusement vallonné, je me sens très privilégié. » sourit François Reboul, au milieu de ses vignes cultivées en bio depuis 1997, ainsi que des oliviers, des blés anciens, lentilles et autres pois chiches, aux portes d’Uzès, au Domaine de Malaïgue. Mais un regret : « Une monoculture économique : le tourisme, qui devient une réelle fragilité du territoire. » Que ce soit au niveau des productions, en favorisant les produits touristiques comme le vin, l’huile, les olives ou les cerises, ou celui du logement. Anaïs Amalric, viticultrice à Foissac et présidente de la MSA (Mutuelle Sociale Agricole) du Gard, ne dit pas autre chose : « On paie cher nos atouts : ces si charmants petits villages attirent beaucoup de personnes étrangères au territoire avec un plus gros pouvoir d’achat, ce qui fait flamber le foncier et réduit l’accès des locaux pour continuer à y vivre. Et il y a trop de villages où les volets ne s’ouvrent plus que l’été… »

L’impact touristique sur le logement est effectivement sérieux. Les plus modestes galèrent pour se loger tandis que les résidences secondaires ont créé en hiver des villages fantômes.

Ambivalence également chez Marlène Rouch pour ce territoire où elle s’est installée en 2009. Si cette pétulante directrice du centre social de Saint-Quentin-la-Poterie savoure « une terre d’accueil, très dynamique en matière d’initiatives individuelles, riche en compétences, au niveau culturel et avec un environnement naturel et patrimonial bien préservé », elle n’en regrette pas moins « un grand écart social, avec des catégories en difficulté voire précaires. Ces dernières sont concentrées dans plusieurs petits villages ou en périphérie d’Uzès, souvent des néoruraux. »

Forces vivantes du territoire

Ce Pays d’Uzès accueille en effet de nombreux néoruraux, venus par vagues depuis les années 1970. Ici, le brassage des cultures et des visions opère, et les réseaux associatifs y prospèrent, divers, dynamiques. Et ce malgré les pesanteurs d’une culture politique traditionnelle qui bride parfois les élans citoyens. Ceux-là ont alors pris l’habitude de faire sans les élu·es, en s’auto-organisant pour créer mille initiatives à l’échelle de leur village. L’exemple du café associatif l’Abrix Bar et de l’épicerie l’Épicerix, dans le magnifique petit village de Vallabrix, est emblématique.

Malgré la bise fraîche de cette fin d’après-midi, une trentaine de jeunes, la plupart du village, fêtent la réouverture pour la saison de ce café-épicerie associatif, lieu incontournable du village. Pour se rencontrer, faire des achats de produits, de plats bio et de proximité, mais aussi assister à des concerts et des réunions en soirée ou les weekends. Les lieux ont été mis à disposition par la commune qui a reçu un soutien financier de la Région et de l’Europe pour la rénovation du local.

« On a réveillé ce village, j’ai l’impression ! » Adrien Boulon

Adrien Boulon, une bière dans une main, un nouveau né bien emmailloté dans l’autre bras, a passé son enfance ici. Il a commencé par créer des événements musicaux, « puis on a ajouté un café, et un peu de restauration. Le tout dans un désir de rassembler largement, de créer de la bonne humeur, de la générosité. De valoriser les produits du terroir aussi. J’ai le sentiment que c’est devenu un vrai lieu de vie, qui a permis de former une communauté. Et à plein de gens de réaliser divers projets ensemble. Et on a réveillé ce village, j’ai l’impression ! », ajoute-t-il en riant.

Un territoire d'expérimentation de la démocratie

Cette tribu de quelques 300 adhérent·es, plutôt jeune, joyeuse et créative, est à l’image du magnifique vivier humain de ce Pays d’Uzès. Avec 1744 associations enregistrées dans ce territoire, la vitalité citoyenne est nette. Et c’est un point d’appui précieux du projet de Territoires d’Expérimentations (TE, lire notre encadré) initié il y a deux ans par le Mouvement Colibris, dont plusieurs membres actifs vivent dans le coin. Et il rencontre un écho réel dans plusieurs sphères de la population, dont le Rézo des possibles, un collectif d’associations engagées dans la transition sur le territoire, qui a répondu à l’appel à projets de TE. Y compris parmi des élus de la CCPU, qui se sont piqués au jeu d’une expérimentation démocratique plutôt innovante et s'efforcent d’en respecter le processus.

Territoires d’Expérimentations 

Projet pilote initié par le Mouvement Colibris, dont l’intention est d’accompagner les acteurs d’un territoire (habitant·es, élu·es, agent·es, entreprises...) dans une transition écologique, sociale et démocratique. La démarche consiste à amplifier les dynamiques à l’œuvre, faciliter la coopération et le passage à l’action collectif. TE est mené en partenariat avec une dizaine d’organisations nationales : le Collectif pour une Transition Citoyenne, ATD Quart-Monde, Emmaüs, l'Avise, Villes en Transition France, Terre de liens, Attac, le Mouvement pour l‘Économie Solidaire, Fréquence Commune, Démocratie Ouverte. Elles mettent en commun leur expertise, leurs compétences et leur réseau au service des territoires accompagnés. Cette expérimentation débute sur trois territoires : dans le Pays d’Uzès, à Kembs (Haut-Rhin) et dans l’Essonne.

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« Plusieurs réseaux professionnels, associatifs et des élu·es ont pris conscience que le territoire ne pouvait survivre avec le triptyque local « vins, truffes et olives », raconte Marie-Hélène Pillot, qui vit à Uzès et coordonne pour le Mouvement Colibris le projet Territoires d’Expérimentations au niveau national. La diversification des productions alimentaires, la relocalisation pour gagner en souveraineté, mais aussi l’accueil et l’aide à l’installation, donnent lieu à une réflexion parmi ces réseaux. Le projet TE vise à reconstruire une culture démocratique entre tous les acteurs locaux, c’est-à-dire une culture du dialogue sur les enjeux vitaux dans ce territoire – en l’occurrence la production de notre alimentation en lien avec les enjeux climatiques et écologiques – et une nouvelle façon de vivre ensemble et de développer le Pays d’Uzès. »

Le petit village de Vallabrix et ses environs

Un beau potentiel agricole, mais des fragilités

En 2020, il y avait 398 exploitations agricoles en Pays d’Uzès, sur 14 242 hectares*. Mais la disparition d’une dizaine de fermes par an depuis plusieurs décennies rend leur nombre réel sans doute inférieur. Baisse de la surface agricole utilisée, mais aussi agrandissement et mécanisation des fermes actuelles, avec une perte d’actifs. Si les grandes exploitations totalisent 56 % du potentiel de production départemental, les micro et petites exploitations restent majoritaires dans la communauté de communes.

La filière viticole est très dominante ici – elle représente 51 % des surfaces agricoles dans le Gard. Le reste des surfaces est planté avec des céréales, fruitiers et en polycultures-élevages. Lorsqu’on regarde les données issues de l’outil de diagnostic alimentaire Crater**, on s’aperçoit que, théoriquement, si l’on ne prend en compte que les surfaces arables du territoire, en diversifiant ses cultures et en remettant de l’élevage, le Pays d’Uzès pourrait atteindre sans trop de difficulté une autosuffisance alimentaire…

* Données Agreste 2020, du Ministère de l’Agriculture et l’Alimentation.
** Outils Crater, réalisé par les Greniers d’Abondance

« C’est clair, pour moi, Territoires d’Expérimentations constitue une sorte de cheval de Troie de la démocratie dans ce territoire, appuie Géraldine Guin de l’Abrix bar, un bon moyen pour changer la façon dont fonctionnent la démocratie ici et les élus, et de les accompagner dans cette voie. C’est pour ça que je m’y implique, même si je trouve parfois ce processus trop lent par rapport aux urgences écologiques et alimentaires. » Marlène Rouch salue à son tour le fait que « TE est un très bon espace pédagogique pour faire grandir la CCPU, faire évoluer les mentalités, faire croître la confiance entre tous les acteurs locaux. C’est une expérimentation qui va me servir pour le centre social que je dirige. »

« Territoires d’Expérimentations constitue une sorte de cheval de Troie de la démocratie dans ce territoire », Géraldine Guin

(Re)construire un lien de confiance entre habitant·es

Une quarantaine d’habitant·es du territoire a été invitée à participer, au printemps dernier, à deux journées de l’assemblée citoyenne – baptisé l’Atelier Citoyen. Une troisième aura lieu le 21 octobre prochain. L’objectif affiché de ces journées est de concevoir puis de mettre en œuvre un Espace-Test Agricole.

Un ETA, c’est un espace mis à disposition d’agriculteurs et d’agricultrices souhaitant s’installer sur un territoire. L’objectif est de leur fournir des terres et un accompagnement technique et humain adaptés afin qu’ils et elles puissent tester leur projet agricole dans un cadre sécurisé. Ce dispositif s’inscrit dans l’objectif de mener le territoire vers une autonomie alimentaire. Les projets agricoles sélectionnés doivent être adaptés aux particularités climatiques et environnementales du Pays d’Uzès, suivre les principes de l’agroécologie, et ne pas produire ce qui est déjà en surproduction sur le territoire.

« Cette assemblée est essentielle pour avoir une diversité de points de vue, et ne pas rester dans un entre-soi militant ou professionnel. » Marie-Hélène Pillot

Une trentaine d’habitant·es a répondu présent. En plus de l’équipe d’animation (Mouvement Colibris et Fréquence Commune), de deux vice-présidents et du chargé de mission de la CCPU, près de la moitié de l’assemblée sont des volontaires issu·es des milieux associatif et professionnel (notamment agricole). Le reste est tiré au sort… Une sacrée innovation démocratique ! La quinzaine de « tiré·es-au-sort » provient, en effet, d’un peu tous les milieux socio-professionnels et d’une quinzaine de communes du territoire. Et des binômes citoyen·nes / élu·es de la CCPU sont allés, en porte-à-porte, à leur rencontre durant des semaines. Un travail très engageant mais indispensable. « D’abord il a permis de les motiver à venir, justifie Marie-Hélène, car la plupart n’a pas l’habitude de participer à ce type de réunions, et beaucoup ne se sentent pas compétent·es. Il faut alors leur expliquer la démarche et les convaincre que cette assemblée et leur présence active sont essentielles pour avoir une diversité de points de vue, et ne pas rester dans un entre-soi militant ou professionnel. La diversité de cette assemblée garantit ainsi que les propositions qui en émergeront correspondront bien aux besoins des habitant·es. »

Ce que soutient Dominique Ekel, vice-président à la CCPU en charge de la transition énergétique, de la petite enfance et de la jeunesse, et maire de Vallérargues. « J’ai le sentiment que ce programme pallie à un manquement des organisations professionnelles en charge de l’agriculture, confie ce paysan bio à la retraite, celui de partir des besoins alimentaires des habitants du territoire pour développer leurs filières. »

Un pari démocratique

Pour précieuse qu’elle soit, la présence de ces personnes tirées au sort n’allait pas de soi. D’abord parce que beaucoup d’entre elles sont en activité dans la journée, en famille les weekends ou avec des enfants à garder le soir. Il faut donc caler les réunions en fonction de ces contraintes et organiser parfois des transports pour faciliter leur présence.

L’autre difficulté à laquelle se confronte les organisateurs de l’Atelier est l’indifférence, voire la méfiance, que les participant·es manifestent à l’égard de l’institution intercommunale et des élu·es en général. On la retrouve d’ailleurs dès le démarrage de l’Atelier. Tandis que l’une interroge les organisateurs sur « les garanties [qu’ils peuvent apporter] pour que les jeux ne soient pas fait ailleurs », un autre demande aux deux vice-présidents présents si « les décisions prises ici seront bien respectées par la direction de la CCPU ». L’échec de l’application de la Convention Citoyenne pour le Climat, en 2019-2020, a laissé des traces…

« Beaucoup de tirés-au-sort qui étaient dubitatifs ou défiants à l’origine acceptent de jouer le jeu. » Tristan Rechid

« Cette méfiance est fréquente dans les territoires que nous accompagnons, observe Tristan Rechid de la coopérative Fréquence Commune, qui co-anime le processus de l’Atelier. On ne leur promet pas qu’on va réussir à chaque coup, plutôt qu’on va tenter, pour de vrai, de faire avec eux quelque chose de nouveau au niveau démocratique. Et beaucoup de tirés-au-sort qui étaient dubitatifs ou défiants à l’origine acceptent de jouer le jeu. »

La puissance de l'intelligence collective

La journée commence avec Jean-Baptiste Cavalier, du Réseau national des Espace Test Agricole (Reneta), et Antoine Carlin, de la Fédération du Gard des Civam (Centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural), qui présentent ce qu’est un Espace-Test Agricole.

La journée se poursuit en sous-groupes pour construire collectivement « le cahier des charges idéal » de cet ETA : quelles missions ? qui intégrer ? avec quels accompagnements ? pour quel type d’agriculture ? quel foncier ? quels points de vigilance ? quelle gouvernance ?... Au fil des heures, chacun·e tente d’y réfléchir individuellement et en sous-groupes – du point de vue des consommateur·rices, des producteur·rices, des élu·es. Et les idées fusent ! Les désaccords s’expriment aussi et des convergences s’esquissent. La liste des propositions s’allonge : acheter des friches agricoles et les mettre à disposition de jeunes, former à la vente directe, à la vente itinérante, mutualiser les ressources…

Avec pas mal de pragmatisme, Géraldine Guin manifeste sa satisfaction sur ce processus innovant : « Je n’attends pas le grand soir avec cette aventure de Territoires d'Expérimentations. Plutôt que ça puisse embarquer quelques élus qui portent jusqu’au bout nos propositions et deviennent ensuite des moteurs de l’agroécologie dans le territoire. »

Une expérience transformatrice

Conviviale, novatrice, studieuse, ambitieuse : cette aventure de Territoires d’Expérimentations est à la fois une très belle démonstration de l’appétence démocratique de nombreux citoyens et de nombreuses citoyennes dans ce territoire, mais aussi la manifestation des fragilités de la démocratie locale. Avec, dans la tête de tous les participant·es, une interrogation sur la prise en compte des propositions formulées par l’Atelier…

« Il y a une nécessité d’accompagnement de nombreux élus qui ne savent pas comment faire. » Tristan Rechid

Au-delà du Pays d’Uzès, ce programme interroge sur la vitalité de la démocratie collaborative qui est tentée depuis quinze ans en France. Souvent comme un antidote au désarroi des citoyen·nes face à l’exercice du pouvoir solitaire des exécutifs nationaux et locaux. Un antidote aussi à la vague populiste et d’extrême droite qui ronge la France et l’Europe. Et un levier pour repenser un avenir en commun dans son territoire de vie et de travail. « D’un côté, ces expérimentations aux formats très divers sont vraiment réconfortantes et transformatrices pour les gens qui le vivent, salue Tristan Rechid de Fréquence Commune. Il y a souvent beaucoup d’émotion à vivre et à constater la puissance de cette démocratie collaborative. Mais aussi à apprécier la qualité des résultats de cette intelligence collective, que la seule élaboration entre experts et politiques ne parviendrait pas à produire. D’un autre côté, cela nécessite une volonté et une mobilisation énormes, car notre classe politique et l’administration locale sont encore loin, dans leur ensemble, de cette culture et cette aspiration. Pour moi, il y a une nécessité d’accompagnement de nombreux élus qui ne sont pas toujours réfractaires à cette approche mais ne savent pas comment faire. Après, il y a clairement aussi un enjeu de renouvellement de ce personnel politique. D’où l’enjeu de monter massivement en France des listes citoyennes dès les prochaines municipales de 2026 ! »

Donner la parole aux citoyens et aux citoyennes, leur redonner la place qu'ils et elles méritent dans les prises de décisions, c'est un enjeu fort auquel le Mouvement Colibris s'attache dans la campagne Nouvelle (R). Et une condition essentielle pour faire fleurir partout des (R)évolutions écologiques, sociales et démocratiques !

Pour aller plus loin

- Le site de la campagne Nouvelle (R)

- D'autres articles sur l'expérimentation du Pays d'Uzès

- Le site de la coopérative Fréquence Commune

- "Qu'est-ce qu'un espace test agricole ?", sur le site du Reneta, Réseau national des Espace Test Agricole

- "L'Espace-Test agricole, un outils au service des territoires", article de Vincent Tardieu / Mouvement Colibris, septembre 2023.


Crédits photos : les vues aériennes d'Uzès et de Vallabrix ont été prises par ©Laurent Haubin, Quatre Oeil Production.

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