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Les biens communs : une affaire de démocratie locale... et mondiale


Par son attention à la préservation des ressources, le champ des pratiques et des expérimentations autour des biens communs est porteur d’espoir. Il nous donne en effet les outils nécessaires pour construire la transition écologique et sociale. C’est ce que souligne Philippe Eynaud, Professeur en sciences de gestion à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, dont les travaux portent sur l’économie sociale et solidaire et les formes de gouvernance et de gestion des communs.



- La question de l’écologie a mis la notion de « communs » au devant de la scène. Que recoupe exactement cette notion ?

Les travaux d’Elinor Ostrom - première femme à obtenir le Prix Nobel d’économie - ont permis d’ouvrir l’attention du public sur la question des communs sur trois points importants. Alors que le débat se limitait avant elle à une polarité autour de la gestion des biens privés et de la gestion des biens publics, elle ouvre la voie à l’analyse de la gestion collective des communs. Elle montre notamment que cette gestion collective, mise en avant par des communautés auto-organisées, est supérieure aux deux autres en matière de préservation des ressources partagées. 

Au travers de l’analyse de communautés organisées autour de pêcheries, de forêts, de systèmes d’irrigation, elle démontre l’importance des processus d’apprentissage et de partage des droits entre les membres de la communauté pour suivre au plus près l’évolution des ressources dont ils dépendent. En cela, elle est très proche des questions écologiques et l’on sait qu’Elinor Ostrom a été très attentive aux enjeux climatiques et à la protection de la biodiversité. 

"La catégorie des communs n’a de sens que par rapport à une communauté dont les membres sont eux-mêmes dans une relation d’interdépendance puisqu’ils partagent les mêmes ressources"

Le deuxième apport essentiel d’Elinor Ostrom est de ne pas en rester à l’analyse des communs naturels. Elle travaille avec Charlotte Hess sur les logiciels libres et les catégorisent comme des communs de connaissance. Cette ouverture est majeure car elle permet d’étendre la définition des communs à bien d’autres champs. C’est ainsi que de nouveaux espaces de connaissance se sont construits autour des communs culturels, urbains, d’infrastructure ou de santé. 

Quels que soient les communs considérés, Elinor nous montre que l’enjeu de la pérennité des ressources est une question de gouvernance. Elle nous invite donc également à porter l’attention sur le fonctionnement des communautés, sur leurs façons de s’auto-organiser, sur leurs capacités à délibérer et à co-produire des règles communes. Elle met ainsi en avant la question de la gouvernance démocratique.

- Pourquoi l’auto-organisation est-elle constitutive de la définition des biens communs ?

Pour Elinor Ostrom, la catégorie des communs n’a de sens que par rapport à une communauté dont les membres sont eux-mêmes dans une relation d’interdépendance puisqu’ils partagent les mêmes ressources. Il y a donc osmose entre la communauté et les ressources dont elle dépend. Dès lors, les règles dont va se doter la communauté pour gérer collectivement les ressources sont essentielles. Elles sont un gage de pérennité tant de la ressource que de la communauté. Pour cela, elles doivent être modifiables. Elles doivent pouvoir évoluer avec la ressource et l’expérience qu’en ont les acteurs. 

La notion de « bien(s) commun(s) » se décline et s’entend le plus clair du temps à travers 3 prismes :

Dimension économique : L’accès aux biens communs physiques, au sens donné par les économistes, est rival (la ressource n'est pas illimitée) et non exclusif (il n'est pas possible d'en empêcher l'utilisation). Il n’en est cependant pas de même pour les biens communs de connaissance dont les ressources se partagent, quant à elles, sans limite. Dans tous les cas, la gestion des biens communs suppose une délibération collective et ouvre la perspective d’une réappropriation collective concernant des biens et services matériels et immatériels, auquel tout être humain devrait pouvoir prétendre aujourd’hui et demain.

Dimension culturelle : Le bien commun correspond à ce vers quoi nous nous orientons collectivement et cherchons à faire advenir. Ce sont les valeurs, principes relatifs à la vie bonne et à la justice et qui demandent à être incarnés dans nos projets de société.

Dimension politique : La démarche des communs permet de mettre en évidence la dynamique politique d’émancipation qui conduit à déterminer ce que sont les biens communs à préserver, partager et transmettre, en insistant sur les modalités de la gouvernance en commun, démocratique, etc. pour y parvenir. Cette perspective propose une alternative à des pratiques de marchandisation du vivant, d’accaparement public ou privé des terres au déni des droits des populations locales, et de financiarisation de l’économie et du pouvoir. Cette démarche invite à approfondir le lien entre justice et accord social : Qui a les ressources et qui a la capacité de définir et partager un bien ? Comment se met-on d’accord ?

A ce titre, l’auto-organisation de la communauté est indispensable. C’est l’auto-organisation qui garantit la protection des ressources. C’est l’auto-organisation qui est garante du succès de la gestion collective des communs. Cette liberté que se donnent les communautés pour définir leurs règles collectives est fondamentale. Elle est en effet la condition première de la diversité des pratiques, de l’inventivité des communautés, et de la richesse des adaptations à chaque type de ressources.

"C’est l’auto-organisation qui garantit la protection des ressources"

- Peut-on gérer démocratiquement des « biens communs » à grande échelle?

La question de l’échelle est importante tant pour les ressources à protéger, que pour les communautés qui les défendent. La crise écologique mondiale a cruellement mis en lumière l’incapacité des hommes à prévenir la destruction des grands écosystèmes : climat, biodiversité, eau… De fait, ces enjeux globaux sont complexes à gérer. Les gérer au niveau planétaire est indispensable mais cette gestion est complexe et sujette à l’inertie. Les gérer au niveau local est déterminant mais malheureusement non suffisant pour en garantir la pleine protection. Il faut donc prévoir une gestion à des multiples échelles avec des possibilités d’échange entre les différents niveaux. Concernant les communautés, les outils de la gouvernance doivent pouvoir s’adapter au nombre de membres. 

"Gérer la crise écologique au niveau planétaire est complexe ; la gérer au niveau local n'est pas suffisant. Il faut donc prévoir une gestion à échelles multiples avec des possibilités d’échange entre les différents niveaux."

L’expérience historique des grands acteurs de l’économie sociale nous montre qu’il faut être prudent. La grande taille est sans doute un gage de pérennité des structures mais pas forcément du projet initial qui les a fait naître. Plus grande est la taille, plus difficile sera le maintien de la richesse d’une vie démocratique. C’est pour cela que les acteurs des communs recherchent des alternatives. Cela passe par des réflexions autour de la sociocratie, par l’organisation de formes mutualisées, décentralisées, archipélisées, ou par des outils technologiques dédiés (comme par exemple Fédivers que propose l’association de logiciel libre Framasoft).

- Comment faire de ce concept complexe un outil démocratique ?

Il y a évidemment un enjeu pédagogique autour des communs. Ce concept n’a rien de complexe, s’il est abordé tôt dans le processus d’apprentissage. Les jeunes sont fortement sensibles aux questions qui touchent leur avenir collectif. Enseigner les communs, c’est dénoncer le sophisme qui réduit l’économie à l’économie de marché. C’est aider nos sociétés à sortir du dualisme réducteur public-privé ou Etat-marché qui invisibilise les acteurs de la solidarité et marginalise les citoyens face aux questions de soutenabilité économique. 

C’est aussi montrer que l’on peut agir et entreprendre en communs en dehors d’une recherche du profit à court terme, et dans un dialogue ouvert avec les pouvoirs publics autour de l’intérêt général. C’est faire confiance aux mouvements sociaux et aux collectifs de citoyens pour défendre la diversité des territoires et y inventer de nouvelles formes d’actions collectives. Jardins partagés, habitats partagés, tiers lieux, circuits courts, Amap, ressourceries, villes en transition, écovillage, fournisseurs coopératifs d’énergies renouvelables, œuvres culturelles participatives, logiciels libres et creative commons, plateformes numériques coopératives, incubateurs solidaires, monnaies solidaires sont autant d’expériences structurées autour de communs qu’il est important de faire connaître, d’accueillir et d’accompagner car elles sont intrinsèquement porteuses d’un avenir partagé et démocratique.


Pour aller plus loin


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Merci pour cet article.
Je trouve dommage de réduire la création d'un commun à la communauté qui en aurait l'usage exclusif.
La rencontre entre pairs d'une communauté / quartier / village, l'échange autour de problématiques rencontrées, la recherche de solutions, la mise en accord, sa déployabilité, son exploitation, etc. sont des processus complexes à appréhender. La carte des initiatives démontre que le mouvement progresse, mais lentement (à l'échelle des enjeux).
Je pense au contraire que de nouveaux métiers / services doivent encore émerger afin d'accompagner la création de groupe locaux, le déploiement de projets, leur réalisation et ce, afin d'accélérer le mouvement. L'intérêt personnel peut à mon sens tout à fait se conjuguer avec l'intérêt d'un collectif.