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Mode d'emploi

Des communes à l’avant-garde 1/2


Cet article est initialement paru dans le n° 39 de Socialter (février - Mars 2020) 


Il n’y a pas que le gouvernement qui peut changer des choses. Si l’attention est focalisée sur la politique nationale, de nombreuses municipalités font preuve d’imagination pour transformer la vie locale. Des transports en commun à la gestion de l’eau, voici un tour de France de ces villes à l’avant-garde.


Les communes ont peu d’argent, mais certaines ont des idées. Et l’étendue de leurs compétences leur permet d’agir sur de nombreux leviers, car elles disposent de pouvoirs dans presque tous les domaines. Certains sont précisés par des lois. Ainsi leur échoient l’urbanisme, la maîtrise des sols, la délivrance des permis de construire, le logement, l’aide sociale – à travers les centres communaux d’action sociale (CCAS) –, la gestion des écoles maternelles et élémentaires, la culture, le patrimoine, le tourisme et le sport. Mais elles disposent aussi d’un super-pouvoir grâce à la « clause générale de compétence » qui leur donne le droit d’intervenir pour tout ce qui touche aux « affaires communales », y compris donc dans des domaines qui ne leur sont pas spécifiquement attribués.

Si les communes ont une capacité d’action, elles le doivent aussi à la force de leur ancrage historique : il leur offre une légitimité que peu d’institutions connaissent aujourd’hui. Nos communes ont en effet été créées en 1789, au moment de la Révolution française, remplaçant les paroisses et villes médiévales. La fonction de maire est donc hautement symbolique, mais aussi unique : il est la seule personnalité à relever à la fois de l’État – au nom duquel il peut publier des lois et règlements, organiser des élections et légaliser des signatures – et être président d’une collectivité territoriale – titre pour lequel il applique les décisions du conseil municipal et dispose de pouvoirs propres, notamment concernant l’ordre public. 

L’autre spécificité des communes concerne leur nombre. 36 000, a-t-on coutume de dire. Le chiffre est énorme : il équivaut au tiers du nombre total de communes de toute l’Union européenne (UE). Depuis plusieurs années, une impulsion des différents exécutifs a été donnée pour réduire le nombre de villes – dont les trois quarts comptent moins de 1 000 habitants – en incitant notamment à leur regroupement. Au 1er janvier 2019, il n’y avait plus que 34 970 communes sur le territoire en raison de la fusion de 626 communes en 239 entités nouvelles, selon les chiffres officiels.

Surtout, un autre mouvement a été engagé pour déléguer de plus en plus de pouvoirs aux intercommunalités, qui mutualisent certaines politiques d’un groupe de villes. Celles-ci peuvent prendre des formes plus ou moins intégrées, de syndicats intercommunaux sectoriels (mettant par exemple en commun la gestion des déchets ou les transports) à des structures à fiscalité propre, c’est-à-dire des communautés (de communes, d’agglomération ou urbaines) ou des métropoles pour les grandes villes. Le renforcement de ces intercommunalités a été un objectif de la dernière grande réforme, la loi de 2015 dite « nouvelle organisation territoriale de la République » (NOTRe). Elle impose le rattachement d’une commune à une intercommunalité et oblige à transférer à cette structure les compétences en eau et assainissement – l’entrée en vigueur en 2020 de cette mesure a depuis été repoussée à 2026. Un moyen de dépasser l’échelon communal jugé trop émietté, sans pour autant supprimer ces collectivités historiques auxquelles les administrés sont attachés.

Manger local et bio

La loi agriculture et alimentation (EGalim) d’octobre 2018 a fixé un objectif de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective d’ici 2022, mais certaines communes n’ont pas attendu l’État pour se lancer. Depuis vingt ans, Lons-le-Saunier a introduit du bio et du local dans sa cuisine centrale. La politique remonte aux années 1990, lorsque des niveaux élevés de pollution liés aux produits agricoles sont relevés dans les nappes phréatiques. Le maire, Jacques Pélissard (Les Républicains), passe alors une série de conventions avec des agriculteurs locaux en vue de les inciter à convertir leurs exploitations au bio. L’objectif : stimuler ce type d’agriculture en pérennisant un débouché pour la production locale. 

En 2016, la cuisine centrale a ainsi dépensé le tiers de son budget alimentaire de 2,9 millions d’euros auprès de la cinquantaine de producteurs locaux et/ou bio avec qui elle collabore. La ville, qui sert 5 000 repas par jour, en assure actuellement le quart en bio et compte aller plus loin : la préfecture du Jura a investi en 2015 dans une légumerie de 400 mètres carrés construite en face de sa cuisine centrale.

L’exemple est loin d’être isolé. Langoüet s’approvisionne depuis 2004 auprès de Manger Bio 35, un groupement de producteurs locaux. Quant à Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes, le 100 % bio a été atteint en 2012. Cette ville de 10 000 habitants a d’abord commencé à s’approvisionner en bœuf bio en 1999 au moment de la crise de la « vache folle », puis a étendu le dispositif. Pour servir l’intégralité de ses repas en bio, elle a lancé la première régie agricole municipale en rachetant un terrain de 6 hectares pour y implanter une ferme. Un exemple copié par la ville d’Ungersheim, dans le Haut-Rhin, qui a par ailleurs lancé une monnaie locale – le radis –pour inciter à la consommation de produits du coin.

Une gestion publique de l'eau... et écologique 

Censée être plus efficace, la gestion privée de l’eau a longtemps été plébiscitée. Elle a même été rendue possible dès le Second Empire. Un décret impérial de 1853 autorisa la Compagnie générale des eaux (CGE) à obtenir la concession de ce service public, bientôt rejointe par la Société lyonnaise des eaux et de l’éclairage (SLEE) fondée en 1880. Un siècle et demi plus tard, les deux entreprises sont devenues des mastodontes : Veolia descend de la CGE et le groupe Suez est issu de la SLEE. Entre-temps, le savoir-faire acquis en France leur a permis de devenir des multinationales gérant des distributions d’eau sur tous les continents.

Pourtant, la mécanique s’est enrayée. « Depuis le scandale retentissant des fraudes découvertes dans le contrat attribué à Suez pour gérer le service dans la ville de Grenoble, la gestion déléguée est devenue un “modèle en crise” », relève Victoria Chiu (1), maître de conférences en droit public. L’ancien maire de Grenoble, Alain Carignon, avait perçu 21 millions de francs d’avantages en contrepartie de la cession du marché de l’eau à Suez... Jugé illégal, le contrat a été annulé, ce qui a ouvert la voie à une reprise en régie publique en 2000. Mais aussi à un mouvement de remunicipalisation, d’autant que les promesses de meilleure gestion par le privé ont fini par se dissiper : le prix de l’eau est en moyenne 30 % plus cher par rapport à une gestion publique !

L’échéance des contrats de concession a mis à l’ordre du jour la question de la remunicipalisation de l’eau. De plus en plus de collectivités ont alors fait le choix d’une reprise en main, comme Paris qui gère à nouveau son eau depuis 2010 à travers l’établissement public Eau de Paris après vingt-cinq ans de concession. Pour preuve du mouvement, des ONG opposées à la « privatisation de l’eau » ont créé une carte montrant les remunicipalisations partout dans le monde (2). 

En France, Nice, Castres, Montpellier ou encore Bordeaux ont emboîté le pas à Paris et Grenoble. Et une fois cette gestion revenue au public, des politiques 100 % écologiques peuvent être imaginées... à l’image de Combaillaux, village de 1 500 habitants situé dans l’Hérault, qui accueille depuis une quinzaine d’années une station pilote de « lombrifiltration » : la commune utilise des vers de terre pour assainir ses eaux usées. Et ça marche. Non seulement la qualité de l’eau est conforme aux réglementations en vigueur, mais en plus la technique évite les substances polluantes et les encombrantes boues que l’épuration classique génère.



Illustrations : Aurore Carric


(1) « Vers la “remunicipalisation” du service public d’eau potable en France », Pyramides, n° 25, 2013, p. 247-262.
(2) Accessible sur remunicipalisation.org


Pour aller plus loin :


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