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Permacooltour #2

Devenir maraîchère : un chemin difficile et fabuleux


Nous sommes Alexis, Kamil et Kevin et ensemble nous réalisons le Permacooltour : en chemin vers l’autonomie et la résilience.

Pendant une année, nous prenons nos vélos pour faire le tour de la France et de la Belgique des éco-lieux et de la permaculture

La solution sur laquelle nous misons aujourd’hui est la permaculture et nous souhaitons vous la partager dans la réalisation d'une série de portraits documentaires illustrant les différents domaines clés nécessaires à la création d’une société durable et respectueuse de l’environnement. Aujourd’hui, deux choix s’offrent à nous : le déclin ou le déclic. L’une sera joyeuse, l’autre moins ! Un tour complet pour grandir ensemble dans la joie et la créativité.

Soyons heureux et vive l’aventur'euh ! 



Au milieu du Périgord vert en Dordogne, Angélique et Natacha, toutes les deux 32 ans, se sont installées comme maraîchères, il y a deux ans. Leur rêve : L’Unis-vert des sens, une autre idée de la ferme. L'équipe du Permacooltour est allée à leur rencontre pour leur demander ce que ça fait, que de faire du maraîchage en permaculture et d'accueillir des personnes en situation de handicap en même temps...

                                               

- Qu’est ce que vous faîtes ici Angélique et Natacha, et d’où cette idée vous est venue ?

Angélique : On fait du maraîchage en s’appuyant sur les principes de la permaculture, et à côté on a plein de petits ateliers, on a quelques ruches, quelques fruitiers, dans l’idée plus tard d’avoir quelques chèvres et quelques vaches. On a aussi un gros versant éducatif : accueil à la ferme avec une particularité pour les personnes qui présentent un handicap, social, moteur ou intellectuel.

Natacha : Je suis issue du milieu agricole, mes parents étaient dans une agriculture assez intense, beaucoup d’hectares, gros agriculteurs de l’époque, mais j’ai décidé de partir. Au bout de 10 ans dans le commerce, j’ai rencontré Angélique qui avait un projet d’installation, moi aussi. On n'était pas du même milieu et on s’est dit : "pourquoi pas faire fusionner ces deux univers qui nous paraissaient être un équilibre parfait ?"

A : L’installation pour moi n’était pas tout de suite innée, car je suis dans le social. Ce sont mes expériences en tant qu’éducatrice et mes stages qui m’ont fait me rendre compte que les animaux, dans un premier temps, puis le contact avec la terre, la nature, étaient importants pour les personnes présentant un handicap (et d’ailleurs pour beaucoup de monde), et qui en avaient peu l’accès, car on est dans une société où il y a l’institution, l’institution et puis l’institution. Du coup, je me suis dit « éduc' » avec grand plaisir, mais peut être trouver quelques chose qui m’appartienne aussi pour faire évoluer les personnes hors de l’institution. Et aujourd’hui je me sens plus maraîchère qu’éducatrice ! même si on a commencé le versant éducatif. Le maraîchage nous prend quand même pas mal de temps et d’énergie.

N : C’est pour ça que d’ici 5 ans, pour nous économiser et continuer de vivre à peu près debout, nous avons prévu que la partie maraîchage soit diminuée de moitié. On arrivera alors à avoir des productions satisfaisantes, une plus petite surface et à développer la partie accueil du public. Même moi qui ne suis pas de ce milieu, je me rends compte que le lien à la terre a vraiment des bien-faits, il y a une efficacité, tu sens que tu ne fais pas ça pour rien. Tu vois tellement le bonheur dans les yeux des gens que tu te dis que tu fais quelque chose de beau.

A : Mais si on revenait en arrière et qu’on le proposait à des amis, personne ne nous suivrait... Quand on dit « Ouais, nous on va faire un hectare de maraîchage, on va planter des arbres, peut-être qu’on va avoir quelques ruches et puis dans l’idée un petit atelier de transformation de produits laitiers, on veut aussi un versant éducatif avec un petit gîte... », c’est vrai que ça parait fou. Il faut de l’argent, il faut du temps, de l’expérience et nous, on n'avait pas d’argent. En revanche, on avait le temps c’est vrai, mais on n'avait pas forcément l’expérience.

N : Ça en a fait asseoir un banquier, il en a remit sa cravate droite et il nous a regardé en disant :
« Enh ! C’est une blague ! »
« Non non, on vient avec un projet financier monsieur on vous demande 300 000€ de prêt. »
« Ah ok, vous avez fait tous vos calculs ? »
« Ah non, il nous manque ça»
« Bon ben revenez quand ce sera fait »
. On l’a jamais revu !

- Qu’est ce qui vous inspire, on est loin du modèle de la ferme de tes parents là non ?

 N : Non pas tant. À la différence que mes parents avaient 200 Hectares et nous on en a 10.

A : Oui, ça fait plus une petite ferme familiale. Tes parents c’était énorme. On savait déjà qu’on voulait un corps de ferme et 5 hectares de terre sans trop de pente pour les fauteuils roulants et on voulait des arbres surtout, c’est ce qu’on a trouvé.

N : On savait aussi qu’on voulait un maximum d’autonomie. On a vécu dans un univers de personnes qui vivent en camion, ça nous a permit d’avoir une certaine autonomie et on s’est dit que cette autonomie était fondamentale dans notre projet. C’est un projet professionnel, mais ça reste avant tout un projet de vie ici. Et on s’est toujours promis que le projet professionnel n’empiéterait pas sur le projet de vie. Si ça devait aller trop loin, le projet professionnel s’arrêterait, mais pas le projet de vie. Et puis on a envie de s’amuser aussi dans ce qu’on fait, on en chie tellement... tout le temps, physiquement on le sent, on est installées depuis 1 an et demi, notre corps est déjà esquinté. Entre 30 ans et 32ans aujourd’hui, on a changé, on le ressent, on est cassées, on a mal, on se plaint.

A : En début de saison, on a fait quand même beaucoup de buttes. On a refait toutes les buttes dans la serre, on a paillé, on a fait du BRF...

N : C’était très difficile la première saison.

A : Quand les buttes sont mises en place, elles commencent à être belles, on va pas trop y retoucher, mais l’installation faut tout faire.

N : Y’a des moments où j’en chie tellement qu’honnêtement je maudis cette vie.

A : Nan mais ça c’est la période des buttes !

N : L’année dernière quand j’étais dans le rang et que je plantais des mottes de terre comme ça, sèches, on avait le dessus des doigts tout pelé, presque en sang, moi je pleurais. Je me disais : « Mais qu’est-ce qu’on fou là quoi ? Mais qu’est ce qu’on a fait ? On reprend notre camion, on trace notre route, on garde notre liberté ! Dans quoi on est parties ? » J’ai eu des gros coups durs.

A : On a eu des remises en question oui.

N : Mais j’ai la chance d’être avec quelqu’un qui a...

A : J’ai la moelle, la gagne, faut y aller ! On y arrive pas ? Aller on y va !

N : Y’a des gens, qui ont une capacité à avoir une attitude positive et à relativiser sur beaucoup de choses et je trouve que c’est un don. Y’a des moments, où pour moi, c’est plus dur, ce qui va faire que j’ai un caractère un peu plus cochon aussi.

A : Cosson Cosson ! (Alias le cochon de compagnie)

N : Sur ça, on a un parfait équilibre parce qu’elle me pousse et elle a une gnaque dont j’ai besoin et que je retrouve. 

- Et donc là vous avez déjà réalisé un rêve ? Lequel ?

N : Honnêtement c’est d’avoir trouvé ce lieu. C’est vraiment un rêve, c’est le rêve le plus compliqué, trouver le lieu...

A : Où il y a de bonnes énergies, où t’es bien. Les gens arrivent et te le disent : On est bien ici !

N : Y’a un truc qui se dégage et nous on l’a ressenti. On n'avait même pas visité ; on est arrivées, on s‘est garées sous ce marronnier, on s’est regardées, on a dit : c’est là. Ça a été pour toutes les deux inné.

A : Et peu de temps avant, quelqu’un nous a dit : "l’endroit que vous voudrez acheter, vous aller vous garer et vous allez dire c’est là avant même de visiter." Quand ça s’est passé, on le savait. Donc le rêve est bien partit, on a un site magnifique avec des couchers de soleil splendides, des arbres majestueux.

A : Je me dis pas que je vais travailler. Des fois, on en a un peu marre, on se pose, on ralentit un peu la cadence et on peut aussi voir des gens.

N : On veut montrer aux gens qu’on est capables, et pour nous aussi, montrer qu’on en est capables, parce que clairement on l’est. Mais c’est les rencontres qui donnent la gnaque. Seule, ça peut être très compliqué et, honnêtement, je ne l’aurait pas fait.

A : Ce projet c’est notre projet, mais c’est le projet de beaucoup d'autres personnes. Beaucoup de gens sont passés, nous ont donné un coup de main. On est hyper bien entourées, on a des voisins en or qui nous soutiennent depuis le début, on a fait de gros chantiers comme le chantier serre qui s’est étalé sur plusieurs mois où on a eu du passage, la folie ! Y’a un gars qui est passé ici, qui est devenu un ami, qui a dit « moi la serre, je vous la monte. »

N : Cinq mois ça lui a pris.

A : On était dix-quinze autour de la table, on a passé des supers moments, des moments de fatigue, des moments de doute, les pieds dans la boue, où il pleuvait. Des moments où on s’est dit : " la serre ne va jamais tenir, personne n’y connait rien ". On a monté tout le système à notre façon, en essayant de décoder un plan, en appelant les créateurs...

N : C’est un peu pour tous ces gens là aussi qu’on a envie de se lever le matin.

A : Pour les gens qui ont cru en nous, et pour ceux qui n’ont pas cru en nous aussi.

N : Dans les moments où tu te poses et que tu te dis regarde ce que t’as autour, tu dis "merci les gens quoi". Mes 10 ans de commerce m’ont éloignée des gens et aujourd’hui au contraire, toutes les rencontres liées à la ferme m'emplissent de gratitude. J’ai appris à redécouvrir les gens, à me ré-intéresser et à les re-aimer. Aujourd’hui, je me lève pour eux et ça me fait plaisir car ils me le rendent.

A : C’est tellement de rencontres pour aboutir un projet et même quand on croit que c’est posé sur papier ou dans la tête. Il y a toujours une rencontre, un documentaire, un livre qui dit « ah ouais, en fait, si on fait ça, c’est super bien ». On a peut-être l’impression qu’on fait tout le temps, mais c’est parce qu’il y a tellement de choses à faire pour améliorer notre environnement, nos pratiques... Donc on essaie de prendre le temps de rencontrer et d’écouter notre corps, car c’est peut-être la seule lacune qu’on ressent aujourd’hui. On l’a quand même mis à contribution, mais une fois qu’on sera bien installées, on va pouvoir peut-être s’économiser un peu. On vit pour produire des choses saines et proposer un lieu où on est bien.

N : Un lieu où tous les gens qui veulent nous rencontrer et voir un endroit bien, sain, en partageant ce qu’on fait et ce qu’on aime. Ça fait vraiment partie du projet. Nous on veut arriver chez nous et juste faire « wouah ». Pour l’instant, tous les matins quand on se lève, on ouvre les volets et on fait « wouah c’est beau chez nous ».

A : Après des fois, quand on met les mains dans la terre...

N : On se dit « j’aimerais bien reprendre le camion et repartir... », mais ça dure pas longtemps. Ça traverse l’esprit bien sûr, y’a du bon, y’a du moins bon. Mais moi je suis assez fière de nous.



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