Au Ciel des plages sans fin · Jour 49
À l'heure où la France plonge dans le confinement, à l'unisson de nombreux autres pays dans le monde, peut-être est-il venu le moment de prendre le temps.
Prendre le temps de faire une seule chose à la fois, et de la faire longtemps. Prendre le temps de dormir, de lire, d'écouter de la musique, de jouer de la musique, de jouer tout court, de peindre, d'écrire, de se raconter des histoires, de s'observer, d'observer le ciel, de réfléchir, de prier. Prendre le temps de cheminer intérieurement en somme - dans l'imaginaire, l'émerveillement, le savoir, la foi... Prendre le temps de se lier, par l'esprit, le cœur et le corps, à ce monde bouleversé. Et à ceux qui veilleront dans la nuit au cours des difficiles semaines qui arrivent.
Ceux de 14, Maurice Genevoix, 1949
"Notre coucher, ce soir là, fût une belle chose. Dévêtus en un tour de main, nous avons plongé aux profondeurs de notre lit. Tout de suite il nous a pris, de la tête aux pieds, d'un enveloppement total et doux. Et puis à notre tour, petit à petit, en détail, nous avons pris possession de lui. Notre surprise ne finissait pas : à chaque seconde c'était un ébahissement nouveau ; nous avions beau chercher, de toute notre peau, un contact qui fût rude ou blessât, il n'était pas un coin qui ne fût souplesse et tiédeur. Nos corps, qui se rappelaient toutes les pierres des champs, toutes les souches qui crèvent le sol dans les bois, et l'humidité grasse des labours, et l'âpre sécheresse des chaumes, nos corps meurtris, les nuits de bivouac, par les courroies de l'équipement, par les chaussures, par le sac bosselé, par tout notre harnachement de nomades sans abri, nos corps à présent ne pouvaient s'habituer assez vite à tant de volupté reconquise en une fois. Et nous riions aux éclats ; nous disions notre enthousiasme en phrases burlesques, en plaisanteries énormes, dont chacune provoquait à nouveau des rires qui n'avaient pas de fin. Et l'homme blond riait de nous voir rire, et sa femme riait, et les gosses riaient : il y avait du rire plein ce taudis.
Puis la femme est sortie doucement. Lorsqu'elle est revenue, elle ramenait avec elle cinq ou six villageoises d'alentour. Et toutes ces femmes nous regardaient rire, dans notre grabat ; et elles s'ébaudissaient en choeur de ce spectacle phénoménal : deux pauvres diables de qui la mort n'avait pas encore voulu, deux soldats de la Grande Guerre qui s'étaient battus souvent, qui avaient souffert beaucoup, et qui déliraient de bonheur, et qui riaient à la vie de toute leur jeunesse, parce qu'ils couchaient, ce soir là, dans un lit."
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