Comment engager une décroissance
répondant à nos besoins essentiels
et ceux de nos territoires ?

Il y a dix ans, le Plan des colibris développait cinq axes prioritaires pour remettre l'économie à sa place, au service de l'intérêt général - du bien-être, de l'autonomie des êtres humains et de la restauration des écosystèmes. Il insistait sur le besoin de :

  • Décentraliser le pouvoir économique et financier et développer des économies locales interconnectées ;
  • Ramener l'argent dans l'économie réelle, au service de la création et des échanges ;
  • Réorienter la fiscalité pour sortir de la spirale croissante des inégalités de revenus et patrimoines ;
  • Empêcher une appropriation commerciale des biens communs de l'humanité et rendre leur utilisation équitable ;
  • Développer les entreprises et les activités utiles à nos sociétés sur les plans écologique, économique et social.

L’évolution en dix ans


Ces enjeux restent, hélas, d'une grande actualité. Parmi les aberrations que l'on observe aujourd'hui, celles liées aux injustices sociales sont les plus criantes. Dans le dernier « Rapport sur les inégalités mondiales » réalisé par Thomas Piketty et ses équipes d'économistes, on apprend que les 1 % les plus riches émettent autant de gaz à effet de serre que les 50 % les plus pauvres de la planète.

Qui plus est, la pandémie de Covid19 n'a pas laissé advenir le monde d'après tant attendu : comme le révèle Oxfam dans son dernier rapport sur les inégalités, les 5 premières fortunes de France ont doublé leur richesse durant la pandémie : elles possèdent à elles seules autant que les 40% les plus pauvres en France. Pire, tandis que la fortune des 10 milliardaires les plus riches du monde doublait, 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté.

La crise des Gilets jaunes qui s'est déroulée en 2018 et 2019 en France a mis en avant l'impossibilité, aujourd'hui, d'adresser les problèmes écologiques sans considérer les questions sociales : fin du monde et fin du mois font, en effet, partie d'un même combat.

Le pouvoir économique et financier reste concentré entre les mains de quelques multinationales. La dérégulation du marché du travail et les politiques fiscales décidées au cours des 40 dernières années ont construit une économie au service des 1%, qui n'envisagent pas de mettre leurs profits au service du bien commun : en France, le projet de loi censé donner suite à la Convention Citoyenne pour le Climat a ainsi été soigneusement vidé de toute substance. Pour cela, les grands groupes savent mobiliser des lobbyistes, des communicants, des experts, des influenceurs et des alliés au sein même de l’État.

Alors que le gouvernement s’engage dans la planification écologique en invitant les Français•es à faire preuve de sobriété, il nous paraît essentiel d’aborder les vrais sujets : comment repenser nos modes de production et de consommation au service des besoins essentiels de tous dans le respect des limites écologiques ? Comment repenser notre rapport au travail et l’organisation de nos territoires selon ces nouvelles contraintes ?

Comme le souligne l’économiste Timothée Parrique*, les études empiriques montrent qu’il est difficile de faire croître le PIB tout en diminuant l’empreinte écologique de l’économie. Aussi est-il illusoire de croire qu’il est possible de verdir la croissance en recyclant plus, en développant les énergies bas-carbone ou en « tertiarisant » l’économie. Il est nécessaire, au contraire, de penser un projet de société conscient des pressions environnementales (émissions de gaz à effet de serre, surexploitation de l’eau, des matériaux, l’artificialisation des sols, la perte de biodiversité, la pollution…). Un projet de société qui « déséconomise » son rapport au monde et respecte ses principes de fonctionnement biophysiques.

Il faut pour cela reconnaître que la croissance des pays à hauts revenus est un vecteur d’exploitation sociale et écologique : il faut entrer dans un régime de décroissance avec un rapport différent à l’économie, à la nature, et à la démocratie. Comme le souligne ce jeune économiste, il faut développer « une économie démocratique (reposant sur le principe d’autonomie individuelle tout autant que collective), qui a accepté d’avoir certaines limites écologiques et sociales (suffisance), et dont la logique serait basée sur une éthique de la non-violence et de la solidarité (sollicitude) ».

Cela implique de profondément repenser des secteurs comme l’éducation, la santé, notre rapport au travail ou la gestion des ressources naturelles afin de sortir notre bien commun des logiques capitalistes et remettre l’économie à sa juste place. Comme l’explique très bien la sociologue du travail Dominique Méda, il n’est plus non plus possible de poursuivre la logique actuelle d’épanouissement individuel : « nous ne sommes pas un capital humain à mettre en valeur pour augmenter sans relâche les intérêts perçus. Nous sommes aussi des êtres politiques et des êtres sensibles qui avons besoin de paroles, de soins et de beauté. Nous avons besoin de gratuité, de désintéressement, de liens, de culture, de contemplation, de jeu, de délibération politique ». Il est donc temps de remettre en avant la dimension émotionnelle de nos existences pour rompre avec la théorie du capital humain, pour s’entendre sur ce qui compte vraiment pour une société et ses membres, pour questionner notre manière d'envisager le travail et remettre l’économie au service de l’essentiel – et non l’inverse.

Heureusement, les consciences évoluent et les initiatives se multiplient. Partout en France, des collectifs et des ZAD s'organisent pour lutter contre les « grands projets inutiles », les jeunes de grandes écoles bifurquent, l'économie sociale et solidaire continue de se structurer, certaines entreprises s'engagent progressivement à limiter leur empreinte écologique, développent une comptabilité verte en montrant qu’il est possible d’instaurer d'autres indices de développement qui, entre les lignes, bousculent toutes les dimensions de l'exploitation actuelle du vivant – humain et non-humain.

Les défis à relever sont clairs


  • Assurer un fonctionnement économique qui garantisse l'habitabilité de la planète et réponde à l'urgence écologique tout en réduisant les injustices sociales ;
  • Cheminer d'un modèle d'économie linéaire à un modèle circulaire, basé sur la sobriété et la décroissance ;
  • Modifier les indicateurs de richesse et de bien vivre sur les territoires
  • Repenser le travail au service des notions d’autonomie et de satisfaction des besoins,
Nous sommes convaincus que la condition pour relever ces grands défis est de remettre l’économie au service de l’intérêt général, une économie démocratique, porteuse de sens et de liens, et qui assure la régénération de nos milieux de vie.

Une consultation pour construire les défis de l’avenir

Depuis dix ans, le Mouvement Colibris se mobilise aux côtés d’autres réseaux sur les défis liés à nos modes de production et de consommation, notre système monétaire, ou encore nos rapports au travail : à travers des centaines d’actions de terrain avec les groupes locaux ; par des Mooc et des parcours en ligne afin de former des dizaines de milliers de citoyennes et citoyens notamment sur la création de monnaies locales, au lancement d’initiatives écologiques. Avec cette consultation, nous lançons la première étape d’une campagne visant à élaborer ensemble d’ambitieux « défis de territoire » au niveau économique et social, et les expérimenter collectivement avec tous les acteurs locaux.

*lire l'entretien du Mag des Colibris pour plus de détail sur sa vision de la décroissance.