Bilan de l'atelier Alimentation
Raconter, coopérer, expérimenter
Quelle aventure humaine ! En six mois d’atelier consacré à réfléchir ensemble à « Comment rendre accessible au plus grand nombre une alimentation de qualité ? », nous avons grandi. Nous avons appris les uns des autres, experts du domaine (chercheurs, professionnels, activistes) et citoyens éclairés. Nous avons croisé nos regards, documenté nos différentes approches et nos expériences, exprimé nos colères parfois, nos espoirs souvent, parlé de ce que nous aimons manger, comment et avec qui, pris conscience de notre pouvoir de consommateur mais aussi de ses limites si nous restons isolés face aux rayons des supermarchés et devant nos assiettes. Nous avons encore avancé des pistes afin de « mieux manger ». Des pistes pour desserrer le nœud alimentaire et financier qui étrangle de nombreux acteurs de cette chaîne alimentaire longue et complexe – agriculteurs et plateformes de production, artisans, petits commerçants, élus, restaurants collectifs, consommateurs au faible pouvoir d’achat…
Raconter
Durant six mois nous avons esquissé un nouveau récit alimentaire. Riche, pluriel. Un récit choral, qui s’appuie sur l’expérience de la centaine de personnes ayant suivi cet atelier en ligne, au cours des web-conférences ou durant trois week-ends, nourri de leurs convictions, de leurs savoirs et savoir-faire, de leurs émotions. Loin des certitudes militantes et des prêts-à-penser dominants ou officiels, en partie débarrassé de nos a priori idéologiques. Un récit s’autorisant à revisiter certains diagnostics et prescriptions sur la qualité alimentaire « évidents » parmi les colibris – sur la bio, par exemple, qui serait l'alpha et l’oméga indépassable de la qualité nutritionnelle pour tous. Or, cela s’avère un peu plus compliqué que cela, selon ses modes de production et de transformation, son coût, ses qualités, sa disponibilité dans les territoires, etc. Penser en dehors des clous ou « de la boite », comme le disent les anglo-saxons, constitue une conquête féconde pour notre créativité collective !
Ce récit a cherché à croiser les enjeux sociaux et nutritionnels. Notamment avec des témoignages et des analyses sur qui peut se payer cette alimentation équilibrée et diversifiée, en France ou dans les pays du Sud ? Sur comment se forment le goût, les habitudes d’achat, et qui les induit sinon les structures ?
Ce récit esquissé remet à plat les jeux d’acteurs de cette chaîne alimentaire. Sans, là encore, ne jurer que par les circuits courts ou de proximité, mais en explorant toute la palette du mix des circuits commerciaux portés par divers réseaux de producteurs. Un récit, enfin, qui accepte les doutes et les questions, même celles qui ne reçoivent pas de réponses claires ni évidentes.
Rencontre à Grenoble, au printemps 2018
En six mois, à travers ces échanges féconds, savants et passionnés, nous avons donc ébauché un récit commun. Il nous paraît indispensable pour engager autour de nous une véritable transition alimentaire durable, de qualité. Encore en construction, il nous aidera à mieux communiquer sur le sujet, autour de nous, dans nos cercles d’amis et en famille, sur nos lieux de travail, dans notre quartier. À coopérer d’une façon plus efficace aussi, et faire coopérer des cercles élargis de citoyens. En l’enrichissant par nos pratiques, il permettra de tracer une perspective commune, d’élaborer une vision réellement désirable, et de recréer des utopies – indispensable ! Car n’oublions jamais que les instigateurs du consumérisme débridé qui gouverne nos sociétés industrielles ont dû, pour imposer leur économie, leurs règlements et leurs politiques, gagner d’abord le combat idéologique et culturel… En nous vendant du rêve, en éveillant nos sens, en suscitant de nouvelles envies, en dissimulant de nombreux additifs à leurs produits et certains impacts de nos achats, ou en apaisant notre mauvaise conscience par de fausses promesses.
Coopérer
Voilà le point d’étape à l’issue de cet atelier de l’Agora sur l’alimentation. Afin de poursuivre et approfondir cette coopération, plusieurs "Agoriens" ont pris l’initiative de créer une plateforme numérique de liaison entre acteurs et réseaux travaillant sur les questions alimentaires en France.
Son intention : relier les acteurs, échanger leurs informations sur leurs initiatives, créer des forums pour approfondir certaines questions à travailler ensemble, se donner des coups de main, prendre parfois une initiative collective, voire lancer un nouvel atelier de l’Agora sur l’alimentation. Espace de liaison et vitrine des initiatives locales en matière alimentaire, cette plateforme permettra de continuer à échanger sur nos expériences collectives, à s’informer sur les actions des divers collectifs qui, de Bédarieux à Grenoble, du Massif des Bauges à Bordeaux, de Metz à la Bretagne et la Loire-Atlantique, ont nourri cet atelier.
Cette plateforme permettra aussi de décrypter les politiques publiques dans le domaine alimentaire et agricole, les tendances et les stratégies construites par l’industrie agro-alimentaire. Et d’y apporter éventuellement des réponses communes, qui font sens.
Dès l’automne 2018, une coordination devrait se mettre en place pour construire cette plateforme et pour la faire vivre. Colibris la soutient, l’aidera autant que possible, mais ne la portera pas, car nous n’avons ni les moyens ni la vocation de « faire à la place » des citoyens et des collectifs engagés dans les territoires.
Coopérer mieux et davantage, entre consommateurs, producteurs, élus, chercheurs, transformateurs, distributeurs, passe par bien d’autres pistes d’actions ou de structures. Certaines ont été mises en avant durant cet atelier : créer (ou s’insérer dans) des conseils locaux multi-acteurs sur les questions alimentaires ; appuyer les régies communales pour l’alimentation durable lorsqu’elle se mettent en place, souvent grâce au réseau Un+Bio ; participer ou impulser des PAT (Plan alimentaire territorial) qui peuvent fédérer dans certains cas les énergies locales ; monter une Maison de l’alimentation comme il en existe déjà à Marseille ou à Rennes ; s’impliquer dans les magasins de producteurs et améliorer leur gouvernance pour favoriser la participation des consommateurs ; rejoindre les fermes urbaines portées par divers collectifs et collectivités, comme à Grenoble ; etc.
Expérimenter
Raconter, coopérer. À ces deux intentions, j’en ajouterai une troisième : expérimenter. Bien souvent, les discours n’impriment plus et les injonctions au changement lassent… D’où l’intérêt de repartir de l’expérience individuelle et collective. D’expérimenter chaque fois que possible une nouvelle façon de se nourrir ou de construire l’offre alimentaire dans son territoire. Même en rupture, surtout en rupture avec les dogmes et les circuits dominants ! Aujourd’hui, nous avons un besoin urgent d’inventer et tester de nouvelles pratiques alimentaires sur nos lieux de vie et de travail. Car il s’agit d’espaces souvent plus agiles que le pouvoir central. Les mutations y sont dès lors plus aisées à provoquer. En les documentant par différentes formes de récits, ces expériences peuvent inspirer et mobiliser ailleurs. Sans jamais oublier d’intégrer le récit de nos échecs et de nos limites, qui font partie du processus d’expériences au changement. En outre, cette dimension « expérientielle » est essentielle pour demeurer dans le mouvement et le « faire ensemble ».
Cette élaboration d’une nouvelle politique alimentaire, pragmatique, en recherche, humble et patiente, entre citoyens et divers acteurs, conduite dans son terroir, s’oppose nullement à un combat fédérateur à l’échelle nationale. Au contraire, ces « petits pas radicaux » inspirés par son expérience individuelle et collective peuvent converger et nourrir les grandes marches d’une véritable transition alimentaire et agricole. Comme le suggère l’activiste serbe Srđa Popović, « Choisissez des batailles assez importantes pour compter, mais assez petites pour les gagner. » Version revisitée du traditionnel « Agir localement, mais penser globalement »… Avec une vision commune offrant un avenir à tous, inspirante et mobilisatrice. Voilà le pari que nous faisons à l’Agora des colibris. Hier dans cet atelier pour changer notre système alimentaire, aujourd’hui dans celui pour « (Re)Humaniser Internet ». Demain à l’occasion de l’atelier pour « Se connecter à la nature et réinventer l’école du XXIème siècle ».
Venez écrire avec nous ce nouveau récit de la transition écologique et humaine à travers les prochaines Agoras !
Des nouvelles du réseaux
En Ardèche, le Festival du Vivant les 6, 7 et 8 juillet dernier, animé notamment par Nicolas Le Coz, présent à la première rencontre de l’Agora des colibris, a permis de créer une espace d’échanges et d’initiatives féconds pour une alimentation durable dans leur territoire. L’idée de créer une régie communale alimentaire dans l’intercommunalité des Vans a émergé, sur le modèle de celles proposées par le réseau Un+Bio, que son président Gilles Pérols avait présenté à la deuxième rencontre de l’Agora. Un échange sur l’aventure de cette Agora a également eu lieu durant le Festival.
À Grenoble, le collectif Autonomie Alimentaire, qui avait co-organisé avec nous la deuxième rencontre de l’Agora, a avancé sur leur projet de ferme urbaine. Initiative de réponse à un appel d’offre de la Ville de Grenoble qui avait fait l’objet d’un accélérateur de projet durant la deuxième rencontre de l’Agora. Si ce projet n’a pas été retenu pour l’instant, la co-construction d’une politique alimentaire écologique et solidaire s’est vraiment enclenchée dans la ville et la métropole. Elle va se nourrir de deux évènements. Tout d’abord, les 21, 22 et 23 septembre, une superbe rencontre intitulée “Quelle Foire ! Trièves, terre nourricière”, où s’exprimeront entre autres Marc Dufumier ou Paul Ariès, avec aussi de nombreuses balades gourmandes dans la nature, ateliers pratiques et des visites de fermes. À ne pas rater ! Deuxième évènement : un cycle de tables-rondes participatives en 2018–2019 co-organisé par le collectif Autonomie Alimentaire et Nature & Progrès, pour "Être acteur dans la transition agricole et alimentaire", un mercredi par mois à la Maison de la Nature et de l’Environnement de l’Isère (Place Bir Hakeim, Grenoble). La première aura lieu le mercredi 26 septembre sur le thème "Agricultures : de quoi parle-t-on ? Agricultures productiviste, paysanne, biologique, souveraineté alimentaire... : décryptage pour se doter d’un langage commun". À suivre par toutes et tous.
À Metz, le Groupe Local Colibris et l’association Jean-Marie Pelt, qui ont suivi tout le processus de l’Agora, ont proposé à divers collectifs et à la Ville de Metz de créer un espace de dialogue et la construction d’une offre alimentaire durable. Une journée de réflexion et d'émergence d’initiatives a lieu le 22 septembre, avec des visites de jardins partagés, muséum et espaces agricoles biologiques, des ateliers de travail dans la salle de Saint-Pierre-aux-Nonnains, à Metz. Au menu, une présentation des 6 mois de l’Agora Alimentation ; des ateliers participatifs sur "Comment accroître et améliorer l’offre alimentaire de qualité et de proximité dans le territoire ?", "Quelle concertation et gouvernance de cette politique alimentaire durable doit-on construire avec les citoyens ?" etc.
Commentaires
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et si l'expérience comptait
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je vous suis et vous soutien et me permets de lancer cette pensée qui vient de mon enfance donc des parents (née en 39 !!) cuisiner au jour le jour !! à l'époque pas de frigo même pas de glacière alors ça se comprend; donc acheter ce qui est nécessaire et surtout ne rien gaspiller et cuisiner les restes; c'est cela le secret pour bien se nourrir et dépenser peu... les commerçants étaient pourtant, l'épicier , le boucher, le charcutier, le marché. Je comprends le siècle est différent et on peut commettre des erreurs; par chance sur notre île (corse) beaucoup on leur coin de jardin, mais la nouvelle génération un peu perdue. Soyons tolérons expliquons sans cesse (comme pour la "non violence") que c'est un état d'être et surtout partageons TOUT A PRESTU
Le bio
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Bonsoir,
Le bio, c'est trop cher pour moi, je n'ai pas les moyens et c'est très frustrant! Et comme je vis seule à Vénissieux, les paniers du jeudi sont trop importants.
Aller vers un jardin partagé ?
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Bonjour,
Je lis votre message avec presque un an de décalage. Mais, ayant connaissance autour de Pau de l'expérience d'amis-es dans des jardins partagés, je vous propose d'essayer de voir sur Vénissieux ce qui existe en la matière. C'est une expérience enrichissante, de rencontres autant que de pratique et qui permet de manger les légumes bio en général, cultivés ensemble. Bon courage. Williams.
comment rejoindre le réseau et la plateforme ?
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Bonjour Vincent,
Bonjour les Colibris,
Nous (réseau citoyen de transition VAVM) portons, en Seine-et-Marne (Ile de France), un projet d'épicerie participative itinérante, qui devrait s'inclure dans un projet de PAT prochainement.
Nous aimerions savoir comment rejoindre ce réseau lié à l'alimentation, et s'il est possible d'accéder au "récit" ou aux synthèses de ces 6 mois - désolés d'avoir loupé le coche : on aurait bien participé !
Merci d'avance,
Cette plateforme à venir est vraiment cruciale pour la "reliance" entre les expériences et les humains qui les partagent !
Epicerie participative itinérante
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Bonjour Elisabeth,
Je suis également en train d'étudier l'élaboration d'une épicerie participative itinérante en zone rurale pour répondre au carence de distribution dans ces lieux.
Toute expérience est bonne à prendre pour analyser les tenants et aboutissants.
Je serais donc ravie d'avoir votre retour sur votre projet. Est-il toujours en cours ? A t-il cessé ? Et si oui pour quelle raison ? Ou bien, a t-il vu le jour ?
Merci par avance pour votre retour,
Je reste joignable par mail pour échanger
marty.sofia @ hotmail.fr
participation
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Je suis très intéressée par l'idée et je desirrerais participer et inclure ce groupe. Que faut il faire, quelles sont les démarches? je réside a Montpellier je suis soignante en intérim.
Cordialement
mon action pour une alimentation saine sans pesticides
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Bonjour, je voudrais juste vous faire savoir que je me suis engagée dans la création d'un potager sans aucun pesticide en banlieue Parisienne (val d'oise). Je loue 1000 m² en ville et c'est galère avec les voisins et la mairie qui est allée jusqu'à couper mon cadenas pour évacuer mon BRF ( attire les termites d'après le maire !). Ceci dit, mes légumes cultivés avec les principes de la permaculture sont non seulement sains mais aussi succulents. Je les vend par la ruche qui dit oui et à un restaurateur. Il y a de la demande et je n'ai pas assez de production pour y répondre. Récemment, j'ai rencontré un ancien cultivateur et des terrains seraient disponibles pour un maraîcher. Si quelqu'un est intéressé, faites le moi savoir.Merci de tout ce que vous faîtes pour un monde meilleur .Claire
plate-forme en Loire-Atlantique?
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Bonjour, j'habite en Vendée et expérimente, depuis plusieurs années déjà, l'alimentation de saison. J'aimerai pouvoir faire profiter de mon expérience et échanger, voire expérimenter d'autres modes de fonctionnement.
Cordialement,
Emmanuelle Le Broussois-Courret
plate-forme dans l'Ouest
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Bonjour,
j'ai beaucoup étudié l'alimentation pour des raisons personnelles (notamment de santé) et suis dans ma profession en contact direct avec certains producteurs. Votre projet et récit de ces 6 mois de mises en commun m'intéressent beaucoup. Comment peut-on y participer ?
Belle journée
Marine
Re
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