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Entretien avec Anne-Cécile Brit

L’autosuffisance alimentaire en France : c’est possible !


Anne-Cécile Brit est ingénieure spécialisée en Innovation et Politique pour une alimentation durable. Elle a travaillé deux ans au sein de l’équipe Yuna Chiffoleau, à l'INRAE de Montpellier, sur les questions de flux d'approvisionnement alimentaire des villes et sur la reterritorialisation de l'alimentation. Depuis mars, elle anime et coordonne les actions en faveur de l’alimentation locale à la fédération régionale du CIVAM Bretagne (Centre d'initiative pour valoriser l'agriculture et le milieu rural) et co-anime le Réseau mixte technologique national Alimentation Locale. Anne-Cécile Brit est également très contributive au sein du mouvement associatif travaillant sur des territoires alimentaire plus résilients (Alternatiba, Nature et Progrès, Les Greniers d'abondance, l’Agora des colibris).



Il y a seulement un an, lorsqu’on leur parlait d’autosuffisance alimentaire des territoires, les décideurs levaient les yeux au ciel en expliquant que cela était impossible et n’avait aucun sens. Mais la pandémie de Covid-19 est passée par là… Aujourd’hui, tous les responsables politiques et agri-alimentaires évoquent la nécessité de sécuriser nos approvisionnements. « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d’autres, est une folie ! », insistait même le président Macron le 12 mars dernier. Plusieurs réseaux, auxquels participe la chercheuse Anne-Cécile Brit, travaillent sur les leviers à actionner pour réussir à rapprocher l’offre alimentaire de la demande, pour réinstaurer des échanges commerciaux écologiques et équitables, et sécuriser nos besoins. Voilà un immense chantier, essentiel, à conduire tous ensemble dans nos lieux de vie.

Podcast : l’entretien complet (40min)


Podcast : l'entretien en 14 questions

– Vincent Tardieu : Aucun territoire n’est aujourd’hui en capacité d’être autosuffisant au niveau alimentaire. Et moins encore les villes que les campagnes, où se concentrent quelque 70 % de la population, qui ne disposent que de quelques jours de réserves en cas de crise majeure. Selon l’étude de 2017 du cabinet de conseil Utopies, l’autonomie des 100 premières agglomérations françaises serait en moyenne de… 2 % ! Ce qui signifie que la quasi totalité de ce qu’une agglomération consomme provient de l’extérieur de ce territoire. N’est-ce pas assez logique pour des villes, qui n’ont jamais été conçues pour être des espaces de productions alimentaires ?



– V.T. :  Plusieurs experts estiment que l’engouement pour l’agriculture urbaine est à la fois positif pour sensibiliser les citadins à une alimentation de proximité, mais demeure illusoire du point de vue des volumes nécessaires à produire pour nourrir les villes. Peut-on, malgré tout, accroître des productions alimentaires urbaines d’une façon écologique et socialement acceptable ?


– V.T. : Vous avez étudié les flux alimentaires pour nourrir la ville de Montpellier : ça donne quoi…? Quelle est l’évolution de ces flux sur quelques décennies pour Montpellier ou d’autres villes ?


– V.T. : Avec les Greniers d’Abondance, une association avec laquelle vous avez travaillé sur la vulnérabilité des systèmes alimentaires, vous avez publié en février de cette année le rapport Vers la résilience alimentaire destiné aux citoyens et aux élus : quelles sont vos préconisations clés pour les collectivités ?


La faim à l’heure du Covid-19

Avant de mourir de cette maladie, des centaines de milliers de personnes risquent fort de mourir de faim… Rappelons qu’en cette deuxième quinzaine du mois de mai, le nombre de morts par Covid-19 a atteint 176 000 personnes dans le monde. Or, depuis le premier trimestre 2020, 265 millions de personnes sur Terre sont menacées par la famine, contre 135 millions en 2019. Et ce malgré le fait qu’on assiste à une amélioration des récoltes dans beaucoup de régions du monde. Les invasions de criquets pèlerins en Afrique de l’Est n’y sont pas étrangères, de même que la poursuite de guerres en Syrie et au Yémen ou les crises climatiques ici et là. Mais la première cause de cette aggravation de la famine est la désorganisation des chaînes d’approvisionnement et des marchés liée à la pandémie et aux confinements.
En France, dans tous les territoires, surtout urbains, les réseaux associatifs d’aide alimentaire témoignent elles aussi d’une explosion des besoins. Avec l’apparition de nouvelles populations qui viennent s’approvisionner dans leurs points de distribution : des étudiants et des personnes qui ont perdu leur emploi ou leurs revenus depuis le confinement. Malgré leur engagement et leur savoir-faire, ces organisations caritatives ont été frappées de plein fouet par la désorganisation des chaînes d’approvisionnement durant le confinement et ont bien du mal à trouver les ressources financières et alimentaires pour répondre à cette demande en forte hausse.

Aller + loin : une vidéo sur les pénuries alimentaires mondiales à l’heure du Coronavirus, par Partager c'est sympa.


– V.T. :  Est-ce qu’on a une idée du taux d’autonomie alimentaire dans les zones rurales, où l’on peut penser que la proximité des fermes permet l’alimentation de ces territoires ? Et quels sont, parmi ces territoires ruraux, les plus résilients dans ce domaine ?


— V.T. : On a un manque de données en France sur les flux, les capacités et les besoins alimentaires par territoire. Est-ce que les équipes de recherche, en lien avec les professionnels de l’agriculture, se sont attelées à ce vaste chantier ?


– V.T. : L’une des explications à ce manque d’autonomie alimentaire des territoires est le déficit de paysans : leurs effectifs ne cessent de décroître depuis les années 1970, leur vieillissement s’accélère avec plus de 40 % d’entre eux qui vont partir à la retraite dans les dix ans, et un accès difficile au foncier et aux fermes pour les jeunes. Si bien que certaines projections font état de 200 000 paysans à l’horizon 2030 ! Est-ce à dire que le problème de l’autonomie alimentaire des territoires va s’accélérer…?


– V.T. :  Une autre explication à ce manque d’autosuffisance alimentaire en France est le poids que prend l’élevage dans les surfaces cultivées et les ressources mobilisées pour le développer (eau, surfaces pour produire leurs aliments, importations alimentaires, intrants chimiques, etc.). Est-ce que cela signifie qu’on ne pourra pas conquérir notre autonomie alimentaire sans revoir notre régime encore très carné ou lacté ?


– V.T. : Troisième facteur freinant notre autosuffisance alimentaire locale, les imbrications complexes entre les marchés agricoles français, européens et les circuits internationaux de commercialisation. Une partie de ce que nous produisons est vendu à l’étranger, alors même qu’on importe une bonne partie de nos aliments. Prenons le cas de la farine, qui est venue à manquer en début de confinement : la moitié des paquets de farine destinés au grand public est importée, notamment d'Allemagne ou d'Italie, alors même que nous sommes de grands exportateurs de blé ! Il y a-t-il un chemin possible pour un juste échange au lieu du libre-échange ?


France : une dépendance agricole croissante et dangereuse

Dans le rapport publié au Sénat le 28 mai 2019 « La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps ? », le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb tirait la sonnette d’alarme : « Les importations représentent environ la moitié de notre consommation de fruits et légumes [contre 44 % en 2000], plus d’un tiers de la consommation de volailles, un quart de celle des porcs », détaillait-il. Les deux tiers de nos animaux dépendent également du soja américain pour se nourrir en protéines. Certes, nous exportons actuellement plus que nous importons, mais « sans les vins et les spiritueux, la France aurait un déficit commercial agricole de plus de 6 milliards d’euros », concluait le parlementaire. Par ailleurs, entre 10 % et 25 % des produits importés en France ne respecteraient pas les normes minimales imposées, exerçant donc une concurrence déloyale vis-à-vis des agriculteurs français et mettant en danger la sécurité sanitaire de nos concitoyens.


– V.T. : Dernier verrou, et pas des moindres, à l’autosuffisance alimentaire : celui de la logistique et du transport de marchandises dans les métropoles, où se concentre la population, qui apparaissent comme autant de maillons faibles des chaînes d’approvisionnement. Ces secteurs clés sont très vulnérable vis à vis des bugs ou hackers sur Internet, mais aussi d’une flambée des cours du pétrole, de tensions sociales régulières dans ce secteur, d’une météo calamiteuse, etc… 


– VT - Cette pandémie a désorganisé tous les circuits d’approvisionnement et renforce la préoccupation publique pour notre sécurité alimentaire. Avez-vous l’impression qu’on peut faire bouger les lignes sur la voie de la transition alimentaire écologique et équitable ? A-t-on des atouts et des leviers pour accélérer cette mutation ? Les acteurs autour de l’alimentation sont-ils davantage prêt à coopérer pour aller dans ce sens ?


– V.T. : Est-ce qu’il n’est pas temps aussi d’accélérer l’auto-production alimentaire partout où on le peut, en multipliant les jardins collectifs et l’accompagnement des citoyens pour y parvenir ? Non pour penser résoudre ce problème d’autosuffisance, plutôt pour redonner du sens et du plaisir à son alimentation, et pour sécuriser et compléter son approvisionnement, surtout pour les populations précaires... 


En savoir +

En route pour l'autonomie alimentaire. Guide pratique à l'usage des familles, villes et territoires, par François Rouillay et Sabine Becker (éditions Dilisco, 2020)

Ville affamée, par Carolyn Steel, éditions Rue de l'équiquier (2016) : un livre indispensable pour comprendre comment l'alimentation donne forme à nos villes.

– Vers la résilience alimentaire. Faire face aux menaces globales à l'échelle des territoires, par les Les Greniers d'Abondance (2020) :  lien de téléchargement gratuit du guide. Pour commander l'édition papier.

–  Atlas de l'Anthropocène, par François Gemene et Aleksandar Rankovic (Presses de Sciences Po, 2019) : une compilation inédite de données sur l'anthropocène.

Nourrir l'Europe en temps de crise. Vers des systèmes alimentaires résilients, par Pablo Servigne (rééditions Babel Actes Sud, 2017) : indispensable pour aborder la question de la résilience alimentaire. Prémonitoire !

– les revues Villages et Dard/Dard, qui proposent divers éclairages sur la relocalisation de notre alimentation.

– Le site du RMT Alimentation Locale avec, notamment, le compte-rendu et les vidéos du colloque Reterritorialisation de l'alimentation (novembre 2019) 

Scénario Afterres 2050 (partie sur l'élevage)

Commentaires

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Expatries en Chine depuis 20 ans, j'ai été surpris par leur autosuffisance, la 1ere constatation se trouve dans les grandes surface de n'importe quelles marques en Chine (320 magasins Carrefour en Chine, ou Auchan, ou Walmart...), il n'existe pas plus de 10 boites de conserve dans les magasins. En gros, vous ne trouvez qu'une seule conserve de mais, et aucuns autres légumes en boite, et aucun légume surgelés, les Chinois mangent que des produits frais.
Demonstration fulgurante : https://ibb.co/MGH7LRC

Qui va acheter une conserve qui coûte 5 fois plus chère que du mais frais ! 1,40 euros la boite de conserve contre 0,27 euro les epis de mais frais.

Et quid des travailleurs étrangers dont on a besoin pour travailler notre terre?
On a vu avec la fermeture des frontières l'impact sur les récoltes. On parle beaucoup des pesticides, du bio, etc...mais pas assez des travailleurs étrangers qui nous nourrissent, de leur condition de travail et de vie. Sans eux, pas de récoltes!

Vous avez raison de pointer ce talon d'Achille de plusieurs filières agricoles françaises : la main d'œuvre étrangère est aujourd'hui indispensable dans la vigne, les autres fruits, le maraîchage... Ce qui pose un double problème : un prix de la main d'œuvre (l'absence de SMIC européen et d'harmonisation des taxes) qui rend celle de notre pays bien plus chère ; et le manque d'attractivité de ce métier autour des récoltes, souvent pénible et mal payé. Redonner du sens au métier de paysan et développer plus de coopération et de travaux collectifs sont indispensables.