Conclusion de l’expérimentation dans le Pays d'Uzès. Vers des pratiques agricoles et démocratiques transformées ?
Pendant deux ans, le Mouvement Colibris a travaillé sur le territoire de la communauté de communes du Pays d’Uzès (CCPU), sur la question de la résilience alimentaire, dans le cadre du programme Territoires d’Expérimentations. Question cruciale dans un contexte où raréfaction de la ressource en eau, hégémonie de la vigne et de l’olivier, tension sur le foncier, inégalités de revenus et vieillissement de la population se conjuguent et mettent en péril l’avenir.
Un axe essentiel du projet était de favoriser la participation de tous les acteurs du territoire : habitant·es, élu·es, agent·es, acteurs socio-économiques… en réinventant les pratiques de démocratie locale. L’enjeu était de proposer des solutions qui correspondent au plus grand nombre et à la réalité du territoire. Le 21 octobre dernier a eu lieu la dernière journée de l’Atelier Citoyen, assemblée citoyenne multi-acteurs organisée par le Mouvement Colibris et Fréquence Commune, en partenariat avec la communauté de communes. Quel est le constat après deux ans d’accompagnement ? Les pratiques agricoles et démocratiques sont-elles en voie de transformation ?
L’Atelier Citoyen, composé de volontaires, de personnes tirées au sort, d’élu·es, d’un chargé de mission de la collectivité, d’agriculteurs et d’agricultrices, et de jeunes, a travaillé pendant plusieurs mois sur un des sujets clés du projet alimentaire territorial (PAT)
du Pays d’Uzès : la création d’un espace test agricole (ETA). Aidés par l’expertise du Reneta
(Réseau national des espace test agricole), les participant·es ont réfléchi aux difficultés que rencontre le territoire : prix et disponibilité des terres, accès à un logement proche des terres, accès à des lieux de stockage, accès à l’eau, viabilité économique, départs à la retraite…
et à comment un ETA pourrait y remédier. Quels types d’agriculture encourager ? Quelles formations ? Quel accompagnement ? Comment impliquer les réseaux d’acteurs dans sa gouvernance ? Où implanter le ou les lieux ?
L’espace test agricole devenu projet phare de la communauté de communes !
La dernière journée s’est clôturée par plusieurs belles réussites, dont une qui est une véritable reconnaissance pour ces 26 personnes qui ont passé énormément de temps et d’énergie dans ce projet : l’espace test agricole est devenu LE projet phare de la communauté de communes ! Cela a été exprimé comme tel par Fabrice Verdier, le président de la communauté de communes et partagé à l’assemblée par les deux vice-présidents impliqués directement dans le travail de cet atelier, Joseph Guardiola (vice-président délégué à l'alimentation et l'agriculture) et Dominique Ekel (Vice-président délégué à la transition énergétique, petite enfance, enfance et jeunesse). Un engagement politique de la CCPU qui était, au départ, assez frileux, et qui grâce à une véritable volonté portée par ces deux vice-présidents d’expérimenter l’intelligence collective, a permis de porter ses fruits et de faire émerger un dispositif qui répond aux besoins réels du territoire et de ces acteurs.
À quels objectifs doit répondre cet Espace Test Agricole ?
C’est tout d’abord un lieu qui remplira les fonctions d’accompagnement à l’installation de futurs paysans et paysannes :
- une couveuse avec la mise à disposition d’un cadre légal d’exercice du test d’activité : hébergement juridique, et hébergement fiscal et financier.
- une pépinière avec la mise à disposition de moyens de production (foncier, matériels, bâtiments, bureaux, etc.).
- un accompagnement technique, humain, aux fonction d’entrepreneuriat. Des formations à de nouvelles pratiques, méthodes de productions en lien avec les problématiques écologiques et climatiques.
- une fonction d’animation et de coordination : gestion administrative et financière, communication, recrutement des couvé·es, recherche du foncier d’accueil, partenariats, etc.
L’assemblée a également porté une forte attention à ce que cet espace soit un espace de coopération et collaboration entre les acteurs du territoire, au service de la résilience alimentaire. Il devra ainsi proposer des espaces de réflexions et de discussions sur les besoins des futurs couvé·es mais aussi des agriculteur·rices déjà installé·es, proposer des espaces d’échanges de pratiques et de savoir-faire, être un lieu de rencontres, d’accueil et de ressources du territoire.
Un lieu fixe et des lieux en archipel !
Conscient·es de la difficulté que rencontrent les porteurs et porteuses de projet à trouver du foncier, des terres et du bâti adaptés à leur projet, à comprendre le type de sol sur lequel ils testent leur activité, à développer leur activité et la rendre pérenne, une des décisions majeur du collectif a été de pouvoir leur permettre de s’essayer sur des terres sur lesquelles ils pourront rester sur du long terme. Et ainsi leur éviter de repartir à zéro à la fin de l’accompagnement. Ces terres mises à disposition correspondent à ce que l’assemblée a nommé des « lieux archipels ».
Une mission de l’ETA sera d’anticiper les futures terres disponibles et de trouver les porteurs ou porteuses de projet. Cela, en lien avec la Safer (société d’aménagement foncier et d’établissement rural), les foncières comme Terre de Liens et J’enracine, mais aussi avec la CCPU et les agriculteur·rices proches de la retraites.
L’espace test sera également composé d’un lieu fixe, permanent qui sera le siège de l’ETA, un lieu d’accueil et de rencontres dans lequel se dérouleront les formations, les échanges de pratiques, mais aussi un lieu de démonstration et de sensibilisation aux enjeux d’autonomie alimentaire du territoire.
Site des lieux potentiels pour l'espace test agricole
Une gouvernance participative pour une meilleure implication des acteurs locaux
Dans le sillage de ce qui a été institué durant l’atelier citoyen, c’est-à-dire faire prévaloir l’intelligence collective et la coopération multi-acteurs, l’assemblée a choisi de proposer un mode de gouvernance participative pour cet espace test agricole.
Sujet à la fois complexe et passionnant, le mode gouvernance que devra prendre cet espace test agricole a suscité du débat. Comment embarquer les partenaires dans un projet dont ils ne sont pas à l’initiative ? Comment impliquer les différentes parties prenantes du projet et permettre à chacun·e de contribuer en équivalence tout en étant responsable de la cohérence et la réussite du projet ? Un véritable challenge pour lequel le fonctionnement en gouvernance classique, c’est-à-dire pyramidale avec une personne ou une structure qui décide de tout, ne semblait pas opportun à l’assemblée. Ceci, d’autant plus après avoir vécu une expérience démocratique comme celle de cette assemblée citoyenne !
Sur ce sujet, notre partenariat avec Tristan Rechid de Fréquence Commune, spécialiste de ces questions, a permis d’accompagner de manière didactique le collectif dans ses questionnements et ses réflexions. Quel schéma de gouvernance clair et cohérent pour être à la fois efficient et efficace pour le projet et permettre à chaque acteur impliqué d’avoir un cadre clair ? Quel rôle et redevabilité de chaque cercle ? Où est l’organe de décision et quel en est sa composition ?
Un mode de gouvernance pas simple et qui, pour Tristan Rechid, doit allier un équilibre subtil entre horizontalité et verticalité.
Un schéma de gouvernance qui induit, de fait, un statut juridique de type SCIC, Société Coopérative d’Intérêt Collectif.
Après
sept
mois de travail, l’assemblée a donc validé un cahier des charges
complet
de l’ETA, comprenant des propositions de lieux et un schéma de gouvernance participative. Il a été remis à la CCPU, qui va dans les mois à venir dédier des ressources allouées à ce projet, pour concrétiser le travail réalisé !
Les membres de l'Atelier Citoyen, assemblée citoyenne multi-acteurs
Vivre une expérience irréversible de coopération qui va au-delà de l’espace test agricole
Pour beaucoup de participant·es à cet atelier, la méthodologie a été une belle découverte bien que parfois déroutante. Une expression partagée par plusieurs membres du groupe de travail. Prendre des décisions par consentement n’est pas du tout habituel. Pour autant, faire travailler ensemble des publics différents, novices comme expert·es du sujet, amène une réelle richesse dans les discussions et dans la proposition qui en découle.
Simon, agriculteur et participant à l’Atelier, est un « habitué de ces dispositifs, des outils d’intelligence collective et des modes de prises de décisions par consentement ». « Je suis convaincu, dit-il, que ce type de dispositif mériterait d’être étendu à pleins de sujets, car c’est riche et efficace. Même si cela donne l’impression de prendre du temps, ça permet d’en gagner ensuite car ça fait émerger des solutions qui répondent à de réels besoins. » Carolle, coordinatrice du Rézo des possibles, est contente d’avoir participé : « la gouvernance partagée que j’avais lu, vu, compris, eh bien là je l’ai vécue ! C’est important de vivre les choses. La première fois est la plus difficile, c’est long, mais plus on pratique et plus c’est facile ! »
Tous et toutes aimeraient voir cette expérience se reproduire, voire même que la méthode de travail associé multi-acteurs soit obligatoire sur certains sujets ! Pour Marlène, participante et directrice du centre social intercommunal de Saint-Quentin-la-Poterie, « on ne peut plus construire des solutions pour les territoires sans passer pas ce genre de dispositif. »
Des participant·es heureux·ses du résultat, une expérience humaine riche entre personnes qui ne seraient pas forcément rencontrées... pour Katie, participante tirée au sort : « il est important de ne pas se quitter comme ça et de se revoir autour d’un moment convivial ! » La date est fixée : le collectif se retrouvera le 25 janvier 2024 autour d’une repas partagé, pour continuer à tisser le lien, mais aussi pour suivre le projet !
Donner la parole aux citoyens et aux citoyennes, leur redonner la place qu'ils et elles méritent dans les prises de décisions, c'est un enjeu fort auquel le Mouvement Colibris s'attache dans la campagne Nouvelle (R). Et une condition essentielle pour faire fleurir partout des (R)évolutions écologiques, sociales et démocratiques !
Pour aller plus loin
- "À Uzès, pour réinventer l’agriculture, on réinvente la démocratie", de Vincent Tardieu.
- Tous les articles sur les Territoires d'Expérimentations, non seulement du Pays d’Uzès, mais aussi de Kembs (Alsace) et l’Essonne, sur Colibris le Mag.
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