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Et si l'imagination permettait de créer le futur que nous voulons ?


Article publié dans le magazine Usbek & Rica, le 16 août 2020



Dans Et si... on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? (Actes Sud, 2020), l’Anglais Rob Hopkins, professeur de permaculture et initiateur du mouvement des villes en transition, livre un vibrant plaidoyer pour l’imagination au pouvoir, en donnant à voir plus qu’à penser à travers la présentation d’une multitude d’initiatives concrètes.


Si celles et ceux qui entendent profiter de l’été pour dessiner les contours d’un autre monde ne devaient emmener qu’un seul livre en vacances, nous leur conseillerions celui-ci. Car il contient tout : les questionnements, les objections, les exemples, les arguments, quelques chiffres et un foisonnement de méthodes ; toujours du pluriel incitant à l’ouverture, jamais de singulier restreignant l’imagination.

Arrêtez le Prozac, faites du pain !

Le livre s’ouvre par un avant-propos futuriste, dans lequel Rob Hopkins se réveille dans un appartement aux murs de paille, chauffé presque intégralement à l’énergie solaire, avant d’emmener ses enfants à l’école à pied, sur des chemins arborés et fruitiers… Il arrive dans une école sortie du carcan des notes et du culte de la performance, faisant plus de place à la pratique ; par la suite, le narrateur repart en ville à vélo où il tombe sur des échoppes prônant d’arrêter le Prozac pour faire du pain…

Fictive, cette introduction est néanmoins plausible, car la plupart des futurs désirables décrits dans ces lignes existent déjà à une petite échelle, un peu partout dans le monde. Et l’objectif de vie de Rob Hopkins est d’accélérer l’essaimage de ces initiatives.

Rob Hopkins (DR)

On lui doit en 2005 la création du mouvement international des Villes en Transition, pour relier des initiatives locales dans plus de cinquante pays. Sans copier ou appliquer à la lettre tel ou tel modèle, mais en donnant des pratiques à voir et envisager pour les autres. Son premier laboratoire a été la ville de Totnes, en Angleterre, où il vit. Avec une grande partie des habitants, ils ont installé une micro-brasserie locale fonctionnant avec des rebuts agricoles, et se sont cotisés pour créer des logements durables pour les personnes dans le besoin. Le personnel et les parents d’élèves de l’école se sont aussi mobilisés pour adapter une pédagogie collaborative, et réfléchissent depuis à instaurer de nouvelles coopératives agricoles. Un vent de changement qui a commencé à souffler il y a quinze ans sans jamais retomber depuis, au contraire.

 « L’incapacité d’imaginer un monde où les choses seraient différentes n’indique qu’un défaut d’imagination, pas l’impossibilité du changement »

L’échelle territoriale est cruciale pour Hopkins, qui ne croit ni au Grand Soir ni au salut par des âmes éclairées : « Si nous attendons le bon vouloir des gouvernements, il sera trop tard. Si nous agissons en qualité d’individu, ça sera trop peu. Mais si nous agissons en tant que communautés, il se pourrait que ce soit juste assez, juste à temps. » Ce livre est à l’image de son auteur, empreint d’exemplarité et de volontarisme, de détermination et de la certitude que l’imagination sera à la base du renouveau. Il cite à ce propos Rutger Bregman, auteur du livre Utopies réalistes  (Seuil, 2017) : « L’incapacité d’imaginer un monde où les choses seraient différentes n’indique qu’un défaut d’imagination, pas l’impossibilité du changement. » Comme Bregman, l’autre star de ce qu’on pourrait appeler le « volontarisme utopique », Hopkins donne matière à y croire avec force exemples, plus que force théories.

Fatigue théorique vs énergie pragmatique

Dans son livre Voulons-nous vraiment l’égalité ? (Albin Michel, 2015), le philosophe Patrick Savidan interrogeait un paradoxe contemporain : jamais l’état des inégalités dans le monde n’a été aussi finement connu, détaillé, et pourtant celles-ci n’ont jamais été si fortes… La lecture de Thomas Piketty et Gabriel Zucman enflamme matinales radios et colloques, mais pas la rue ni les urnes. Parfois, le fait de renseigner sans fin les injustices et de ne pas voir les choses bouger entraîne même des burn out militants, comme on l’a vu récemment avec des militantes féministes carbonisées de s’être mobilisées en vain, voire pire, de s’être faites agresser en retour. Idem pour la question du climat, l’émergence médiatique de Greta Thunberg ayant été suivie d’un éloquent Greta bashing…

Pour contrer ce risque, Rob Hopkins donne à voir ce qui marche, mais sans dogmatisme, puisque tout son propos repose sur l’idée qu’il faut libérer nos imaginaires pour aller mieux et que nous pouvons donc trouver des tas d’alternatives. Le livre se décompose en une succession de chapitres thématiques dans lesquels Hopkins s’attaque à un champ où l’imagination aurait le pouvoir de changer les choses (santé, alimentation, éducation, urbanisme). L’auteur insiste également sur notre capacité à nous réapproprier l’attention volée par les écrans, à nous inspirer de la nature, ou à apprendre à nous poser les bonnes questions.

Et si... on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ?, de Rob Hopkins (Actes Sud, 2020)

Les Villes en Transition ne sont ni des mégapoles, ni des hameaux. Plutôt des villes petites (8 000 habitants à Totnes, 10 000 à Mouans Sartoux) ou moyennes, parfois rurales, parfois des banlieues de grandes villes. Ainsi de Tooting, quartier populaire au sud de Londres, enkysté par un terminal de bus géant qui sépare les habitants et les entraîne vers les magasins voisins, comme Primark. C’est là que des militants transitionnistes firent un happening en arrêtant la circulation des bus pour une journée, transformant la place en agora, avec des bandes de gazon et des espaces de parole. Cette journée fut à l’origine de la création de comités locaux se mobilisant pour l’existence d’une alimentation plus saine et de services de santé de proximité. L’étincelle avait pris.

L’imagination plus que l’innovation

Hopkins boxe surtout en attaque, peu en contre, mais quand il le fait, c’est implacable. Pour lui, ceux qui vendent la disruption et la réinvention à longueur de journée sont en réalité incapables de proposer autre chose que le « There is no alternative » de Margaret Thatcher. Un principe qui a cautionné l’extractivisme des matières premières et la bétonisation à souhait, fondé sur une logique de compétition et de course à la performance. L’imagination, la flânerie, l’otium, l’ennui, occupent peu de place chez ceux qui vantent l’innovation, rappelle Rob Hopkins. Facétieux, l’auteur narre cette petite expérience : « Comment se fait-il que lorsque je saisis “innovation” dans mon moteur de recherche, j’obtiens 2 730 millions de résultats alors que je n’en obtiens que 541 millions avec “imagination” ? Et pourquoi Google m’en donne-t-il plus de 90 millions pour “innovation consultants”, mais seulement 7 millions pour “imagination consultants” ? ».

Effectivement, nos imaginaires tendent souvent à être peuplés de projets et d’objets techniques grandiloquents (les fameuses voitures volantes), alors que lorsqu’on laisse les citoyens ensemble, leur imagination se révèle plus pragmatique. Parfois cette imagination est stimulée par l’existence d’une instance comme le Laboratorio para la Ciudad de Mexico, mégapole dotée d’un lieu où les habitants peuvent discuter avec des experts et des politiques pour imaginer des manières de reconfigurer l’espace pour lutter, par exemple, contre l’insécurité.

« Nous avons besoin de plus de concitoyens qui demandent “et si ?” puis “pourquoi pas ?” »

Autre expérience intéressante au Pays de Galles, où une loi datant de la fin des années 1990 sur l’environnement ayant donné des résultats faibles, le Parlement vota en 2015 une loi sur le bien-être des générations futures stipulant que « chaque instance publique doit tâcher de concrétiser le développement durable et doit définir et publier des objectifs puis prendre toutes les mesures raisonnables pour les atteindre » ; un texte qui a apporté beaucoup plus de résultats en quatre ans que tous les textes précédents…

Des signaux d’espoirs de ce genre, Hopkins en envoie dans son livre une myriade. Les pages les plus encourageantes concernent l’école, qu’Hopkins envisage sur le modèle des écoles d’art, ouvertes sur le monde et les débats qui l’entoure – sans surprise, l’auteur soutient inconditionnellement le mouvement de grève scolaire pour le climat - favorisant le jeu, le questionnement et l’esprit critique. Ceci car « nous avons besoin de plus de concitoyens qui demandent “et si ?” puis “pourquoi pas ?” ». En refermant ce livre, on ne peut manquer d’ajouter une question supplémentaire : et si Rob Hopkins avait raison ? Et si l’imagination pouvait changer le monde ? Pas du jour au lendemain par une révolution rouge et verte où cent fleurs fleurissent, mais un peu partout, en tâtonnant. Avis à celles et ceux qui n’y croient pas : prière de ne pas déranger ceux qui essayent.


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