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Mode d'emploi

L’eau dans l’agglomération parisienne #4

Imaginer un modèle décroissant ?


Une première version est parue dans la revue AMAN IWAN, n°2, Mai 2017.


Parce que la canicule et le déficit de très nombreuses nappes phréatiques en France cet été nous rappelle que l’eau est un bien commun précieux et menacé, nous vous proposons un ensemble sur le sujet. Premier volet : la gestion de l’eau à Paris, en quatre articles.

Maxime Algis est architecte. Il fait partie de l’association Aman Iwan qui propose une plateforme transdisciplinaire et collaborative. Grâce à l’édition, l’architecture et la construction, Aman Iwan cherche à construire une lecture critique des rapports qui s’établissent entre des territoires, les populations qui les habitent ou les traversent, et les pouvoirs qui s’y exercent. C’est dans ce cadre qu’il s’est penché sur la question de l’eau dans l’agglomération parisienne. Pour tenter de révéler la complexité et l’opacité de son réseau technique, comme les alternatives écologiques et citoyennes qui se dessinent...



Avant de pouvoir imaginer des alternatives au réseau technique actuel et aux organisations politiques qui en sont chargées, un travail est à mener : donner à voir le système existant. Pour cela, il apparaît urgent de déconstruire son opacité et de rendre visible ses fonctionnements. D’abord pour désamorcer l'illusion paralysante d'un système homogène, face auquel toute solution ne pourrait que prendre la forme d'isolat. Ensuite pour rendre visible des opportunités.

Une phytoépuration (source : wikimedia)

La complexité du réseau d’eau peut être un atout pour sa transformation

Ainsi, l’abondance en eau qui caractérise l’agglomération parisienne ne correspond pas à un seul réseau homogène et « rationnel ». Son découpage en une multiplicité de regroupements de communes [1] implique autant de gestions différentes du réseau : des passations de marchés avec des entreprises concurrentes, des modes d’approvisionnement liés aux situations géographiques, des regroupements liés aux alliances politiques et à l’histoire électorale… Aux problématiques d’ingénierie hydraulique s’ajoute donc le jeu d’une géopolitique souterraine qui partage l’agglomération selon des frontières qui doublent de manière invisible les découpages administratifs (région, départements, territoires du Grand Paris, communautés de communes).

Cette différenciation des réseaux et leurs superposition ponctuelle peuvent représenter des occasions de transformations : en 2011 la commune de Viry-Châtillon a par exemple décidé de se désengager de Suez et de se raccorder au réseau d’Eau de Paris déjà repassé en gestion publique (cf. Paris #3) Ce branchement alternatif était rendu possible par le passage des infrastructures d’Eau de Paris sur la commune : l’aqueduc du Loing et de la Vanne qui alimente Paris. [2]

 Fontaine Wallace, Paris (source : flickr)

La possibilité de deux réseaux parallèles complémentaires

Il s’agit également d’envisager la possibilité d’une coexistence de deux types de réseaux, à l’image de ce qui existe déjà dans le cas de l’énergie [4]. C’est-à-dire la cohabitation parallèle d’un grand réseau, qui à terme devra réduire sa production, et de micro-réseaux locaux assurant une partie des usages, le double branchement des usagers leur permettant de satisfaire leurs besoins de manière plus sobre tout en assurant une sécurité d’approvisionnement [5]. Ce type de modèle « hybride » pose cependant des questions de gouvernance et de modèle économique, souvent posées à travers la question de l’entretien. De ce point de vue, la gestion à l’échelle des éco-quartiers a par exemple révélé le risque de faire glisser la gestion de la ressource des mains des multinationales de l’eau à celles de promoteurs urbains. Or les capacités et la volonté de ces derniers d’œuvrer en faveur d’une gestion sobre, citoyenne et écologique n’est pas assurée.

Mieux différencier les eaux pour mieux les gérer

À travers les différents types de flux que le réseau est amené à traiter, il existe également des opportunités d’innovation. Par exemple, la répartition binaire entre eau potable et eau usée, directement héritée du modèle industriel du XIXe siècle, peut être questionnée et exploitée.

Une approche plus fine permet de distinguer davantage de types d’eau. Les eaux de pluies d’une part, récupérées avant avoir ruisselé sur les toits ou la chaussée. Les eaux usées d’autres part, qui peuvent être divisées entre « eaux grises » et « eaux vannes ». Les « eaux grises » sont composées des eaux domestiques salies par la lessive, la vaisselle et la douche ; leur pollution, majoritairement phosphorée, reste assez simple à résorber.  Les «  eaux vannes » quant à elle, issues  des sanitaires, présentent un risque lié à des microorganismes pathogènes. Elles représentent cependant dans le même temps une riche source de matière organique potentiellement utile à la fertilisation des sols (si l’on met de côté le problème des substances médicamenteuses). On peut également distinguer les boues organiques produites par les usines d’épuration, porteuses de substances toxiques (métaux lourds, hydrocarbures) issues des ruissellements des eaux de pluie sur les sols urbains ou des rejets industriels. Toutes ces différenciations sont effectuées en fonction des usages, des curseurs placés par les normes sanitaires et environnementales, et des types de technologies de récupération, de traitement. Cette lecture laisse deviner la richesse des innovations possibles en terme de gestion de l’eau, comparativement aux égouts unitaires mélangeant actuellement tous ces flux. Elle ouvre également des perspectives quant aux alternatives capables de fonctionner en relai du réseau actuel plutôt qu’en remplacement de celui-ci. [3]

 Sculpture dans une rue de Brooklyn (source : pixabay)

Imaginer un système différenciant eau potable, eau hygiénique et déjections humaines

Si l’on creuse l’élaboration de scénarios à partir de cette différenciation des usages, on pourrait imaginer, avec la chercheuse Anne Spiteri [7], de faire circuler dans le réseau existant, non plus l’eau potable telle qu’on la connaît, mais une eau « hygiénique » pour la douche, la lessive ou l’arrosage. Tandis que simultanément une eau « consommable », pour la boisson et la cuisine, serait distribuée en dehors du réseau par un système de bidons. Il devient alors ainsi possible de séparer la production de cette eau « consommable », qui représente une part minime de l’eau utilisée par les ménages (3%), de la production de l’eau « hygiénique ». La première, dont le besoin est peu important, serait pompée dans les nappes « propres » et potabilisée selon des normes établies. La seconde, qui circule en grandes quantités dans le réseau, serait issue de la potabilisation des eaux de surfaces mais surtout principalement de son propre recyclage (le recyclage des eaux grises). Solution d’autant plus légitime que cette eau « hygiénique » est aussi propre que l’eau potable actuelle d’un point de vue microbiologique, mais plus souple sur d’autres types de pollutions (nitrates, métaux lourds). On réduirait de cette manière les coûts d’épuration ainsi que les ponctions dans les nappes souterraines, largement fragilisées ces dernières années.

 

Ce système serait rendu possible par un autre mécanisme hypothétique : la séparation de la collecte des déjections humaines, grâce à des toilettes sèches. En effet, retraiter facilement les eaux grises en eau hygiénique n’est possible que si l’on cesse de diluer nos déjections dans les grandes quantités d’eau de douche, de ménage et de pluie qui vont à l’égout. Les lisiers humains pourraient en outre être valorisés comme fertilisant.

 Toilettes sèches dans l’oasis de la Belle Verte (source : Clément Le Perchec)

Ce « nouveau paradigme » semble évidemment compliqué à mettre en place, en particulier puisqu’il est suspendu à la possibilité technique de faire fonctionner un système de toilettes sèches en logement collectif et milieu urbain dense.

Cependant, les véritables difficultés relèvent peut être plus encore des changements de pratiques et de représentations. Accepter de voir l’eau que l’on boit distribuée sous la forme « limitée » des bidons signifie mettre le consommateur face à ce qui constitue une évidence pour la plupart des habitants de la planète, une donnée de notre environnement que nous pensions avoir évacuée : la rareté de la ressource.

Vers un réseau à régime décroissant

Ces « changements d’usages et diversification des services délivrés » constituent l’une des caractéristiques du réseau à régime décroissant décrit par D. Florentin à partir d’expériences allemandes et espagnoles [8]. Ce régime décroissant est également défini par la mise d’une partie du réseau hors service, le redimensionnement des réseaux existants, de nouveaux modes de gestion de la demande et de l’offre, et enfin un changement d’échelle de gestion des réseaux. Ces différentes pistes constituant autant de chemins parallèles dont pourraient s’emparer les collectivités pour penser l’intégration des nouvelles initiatives. Ces processus pourraient à terme peut-être faire émerger des formes nouvelles de solidarités territoriales, à l’image de celle qui lie les habitants du centre de Madgeburg en Allemagne à la périphérie pauvre et vieillissante de la ville : une tarification solidaire mise en place par l’opérateur du réseau d’eau (la TWM) y a permis de stabiliser économiquement le service. [9]

 

Relire les premiers volets :

L’eau dans l’agglomération parisienne #1 : Une eau omniprésente mais invisible

L’eau dans l’agglomération parisienne #2 : Une crise invisible de la gestion de l'eau

L’eau dans l’agglomération parisienne #3 : Restaurer une gestion démocratique de l'eau




  1.  Ces regroupements se font sous forme de « syndicats techniques », avec un statut de SIVOM ou de SIVU, ou dans la communauté de commune ou d’agglomération lorsque ce découpage administratif correspond à un découpage valable du point de vue des services d’eau.
  2.  M. Bidault, Eau potable : la régie de Viry tourne le dos à Eau de Paris, Les Echos, 11/05/2016.
  3.  A ce titre le réseau parisien possède par exemple un double réseau d’adduction : un réseau d’eau potable et un réseau d’eau brute issue du traitement des eaux du canal de l’Ourcq et de la Seine. Son avenir, mis en question depuis une vingtaine d’années, a fait l’objet d’une conférence de consensus en 2009 qui a débouché sur la décision de le conserver et le pérenniser, en en développant les usages, qui se limitent pour l’instant au nettoyage des rues, au curage des égouts et à l’arrosage des parcs et jardins. Le développement des usages de cette eau (moins chère à produire) dans le cadre privé, à la fois par des entreprises pour des usages industriels (le lavage des infrastructures)  mais aussi dans le cadre domestique (chasses d’eaux) pourrait participer à une réduction des usages de l’eau potable tout en maintenant des recettes (même moindres) pour le réseau et permettant éventuellement sa migration vers un équilibre différent par le remplacement progressif des conduites potables pour une plus faible consommation. Ces transitions étant cependant compromises par des questions de risques (et donc de normes) : faire passer des réseaux d’eau brute dans le cadre domestique rendrait possible des erreurs de raccord et pourrait faire courir des risques sanitaires.
  4.  J.F Deroubaix, M. Seidl, B. De Gouvello. L’utilisation de ressources alternatives à l’eau potable révélatrice d’un nouveau rapport à l’eau en ville. Analyse des controverses autour de la conservation du réseau d’eau non potable, 2013.
  5.  Voir par exemple : « Dimension infrastructurelle du projet de réhabilitation de Elephant and Castle (borough de southwark, Londres) », « operating in parallel to the grid » in O. Coutard : « Services urbains, la fin des grands réseaux ? » in Ecologies Urbaines. 2010
  6.  La gestion de l’eau de l’emblématique projet du quartier de BedZed illustre bien ce type de double raccord : le fonctionnement « circulaire » se double d’un raccord au réseau « Mains waters », « public sewer », mais qui n’apparaît plus que comme système de secours.
  7.  D. Florentin, Les nouveaux modèles économiques et territoriaux des firmes locales d’infrastructure face à la diminution de la consommation. Sciences de l’environnement, 2015.
  8.  A. Spiteri, Eau potable et assainissement : un nouveau paradigme est possible. Synergies avec l’agriculture et l’industrie,  2009.
  9.  D. Florentin, ibid.

Commentaires

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Où sont les entreprises et les industries dans l'effort de guerre sur la consommation d'eau?

Le particulier n'est qu'une infime goute d'eau dans cette consommation à outrance.

Restreindre le particulier avec des bidons alors qu'à côté des entreprises pompent et polluent sans limite je trouve cela non équitable.

Merci.