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Jeunesses eurocéaniques #8

Nouvelle-Calédonie : l'écologie oui, mais le statut d'abord


Itchy Feat est un média Web alimenté par des étudiants en journalisme : Léopold, Justine et Justine. En ce début de XXIème siècle, la crise écologique bouleverse notre manière d’appréhender le monde, et les jeunes sont en première ligne. Le projet consiste à établir un dialogue avec les jeunesses du Pacifique, région excentrée et soumise à des problématiques environnementales particulières, afin de découvrir leurs aspirations pour le monde de demain.



De l’écologie à l’indépendance, on a donné la parole aux jeunes du Caillou pour notre dernière chronique. 

Depuis notre arrivée en Nouvelle-Calédonie, chaque personne que l’on a rencontrée et à qui on a raconté notre projet nous parle d’une association : Caledoclean. Intrigués par un tel engouement, nous avons rencontré Thibaut.

Ramasser des déchets pour faire communauté

Thibaut a 29 ans, il a co-fondé Caledoclean. Créée en 2012 par une bande d’amis, cette association a pour but de faire participer les citoyens à la protection de l’environnement sur des actions ponctuelles, pour les pousser à faire de même au quotidien. L'idée de base est simple : ramasser des déchets dans la nature en Nouvelle Calédonie. Depuis, l’association n’a cessé d’élargir ses champs d’action, en multipliant les campagnes de reboisement d’arbres endémiques, celles qui ne se trouvent que sur le sol néo-calédonien, en nettoyant des sites pollués et sensibilisant les populations à l’environnement calédonien. Depuis le début de l’aventure, ce sont près de 410 tonnes de déchets qui ont été ramassés et triés, et des dizaines de milliers d’arbres qui ont été plantés.

Les actions de Caledoclean sont populaires auprès de nombreux calédoniens.

Aujourd’hui, Thibaut est le seul chargé de mission rémunéré de Caledoclean. Il nous raconte les origines du projet : une discussion philosophique entre amis. “On s’est demandé : qu’est-ce qu’un être humain accompli ? On a conclu que c’était quelqu’un qui s'épanouit professionnellement, c’est-à-dire qui a suffisamment de revenus pour couvrir ses besoins primaires, mais aussi qui oeuvre pour la société, c’est-à-dire qui s’engage pour le bien-être de la communauté sans rien attendre en retour. On estime que le don de soi est important car il crée un fort sentiment d’appartenance à la société et est vecteur de sens dans la vie des gens.” 

Thibaut a fondé l’association avec des amis il y a 7 ans.


Là où l’association fait fort, c’est qu’elle parvient à mobiliser chaque semaine des dizaines de calédoniens pour des opérations de ramassage de déchets ou de reboisement. Cela s’explique par le fort capital sympathie de l’asso, ainsi que par une communication bien rodée sur les réseaux sociaux. Caledoclean crée également du lien social, en travaillant avec des personnes en réinsertion sociale, des prisonniers, des jeunes défavorisés ou des handicapés. 

Mais avant tout, l’indépendance

Si le combat de Caledoclean est reconnu partout en Nouvelle-Calédonie, l’écologie est loin d’être la source première de débat dans la société calédonienne. Ce qui explique en partie la relégation de cette thématique au second plan, c’est le fait qu’un autre débat fait rage, et prend tout le devant de la scène publique : l’indépendance. Nous avons été impressionnés par l’omniprésence de cette question dans les conversations. 

Le drapeau indépendantiste kanak à côté du drapeau français.

En Nouvelle-Calédonie, la société est divisée en deux catégories : ceux qui veulent l’indépendance, soit, d’après le résultat du référendum de novembre 2018, 44% de la population, et ceux qui souhaitent rester avec la France, soit 56% de la population. Considérée comme la “dernière colonie Française” par l'ONU [1], la Calédonie cherche son identité depuis des dizaines d’années. Les indépendantistes gagnent du terrain, mais les loyalistes résistent encore, comme le montrent les résultats des dernières élections provinciales qui ont conduit un gouvernement à majorité non-indépendantiste au pouvoir.

Dans les cafés, les restaurants, les bibliothèques, les marchés, on parle de l’indépendance, encore et encore.

Le marché de Maré.

Le débat indépendantiste prime sur tout, et tout se regarde à travers ce prisme. Dès lors, la vision écologique diffère souvent selon si l’on est indépendant ou loyaliste. 

Nous avons eu l’occasion de discuter d’indépendance et d’écologie avec des jeunes de différentes mouvances politiques. Des jeunes de l’Avenir en Confiance (la coalition loyaliste menée par Les Républicains calédoniens), tout d’abord. Carl, Nicolas et Xavier sont loyalistes, au nom de leur amour pour la “civilisation française”. Ils aiment son histoire, ses artistes, ses valeurs... C’est principalement pour cela qu’ils veulent rester en France. Ils souhaitent que les référendums prévus par les accords de Nouméa de 1998 soient organisés “le plus vite possible”, pour sortir du “marasme économique provoqué par l’incertitude institutionnelle”. En 1998 le gouvernement Français a prévu l’émancipation de la Nouvelle-Calédonie avec ses responsables politiques. 3 référendums sont prévus à partir de 2014-2018 et si un seul de ces 3 référendums donne une majorité en soutien l’émancipation, le processus d’indépendance sera lancé. 

Nicolas, Carl et Xavier sont engagés au sein de la coalition loyaliste de l’Avenir en Confiance.

Pour Carl, l’intégralité de l’histoire néo-calédonienne doit être prise en compte, pas seulement celle des Kanaks. Il nous explique : “La Nouvelle-Calédonie a hébergé un peuple premier, les Kanaks. Mais depuis le XIXème siècle, de nombreuses ethnies sont arrivées et ont appris à vivre ensemble : les colons blancs, mais aussi les communautés arabes, polynésiennes, asiatiques… Pour cela, on est contre les cours de culture Kanak, on veut des cours de culture calédonienne qui prennent en compte le multiculturalisme de l’île.”

Quand on les interroge sur leur vision de l’écologie et les mesures qu’ils souhaiteraient pour les chamboulements à venir, la question indépendantiste revient irrémédiablement se superposer. Carl nous explique que l’incertitude politique empêche une prise de position forte de la part de l’Avenir en Confiance sur l’écologie. Il annonce cependant une mesure en faveur de l’environnement défendue par son parti  : “Interdire le plastique à usage unique” Nous interrogeons : “Et les avions ?”. L’économie avant l’écologie, nous répond Carl : “On veut augmenter l’attractivité touristique de la Nouvelle-Calédonie, donc augmenter les vols. Mais une possible indépendance refroidit les touristes. On doit régler l’indépendance, ensuite on pourra mettre en place notre programme”.

Pour avoir un autre son de cloche, on a rencontré une jeune indépendantiste : Francia. Engagée dans l’écologie et l’insertion des jeunes à travers son association “Team Cewe”, elle rêve d’une Calédonie libre.

A 20 ans, Francia souhaite promouvoir la culture kanak auprès des jeunes.

Pour elle, c’est comme une évidence : “nous avons assez de ressources pour nous auto-gérer. L’indépendance a déjà été préparée auparavant, pour éviter qu’elle soit faite au hasard. Cette question a déjà été réfléchie. On en est capables ! Le souci, c’est qu’il y a encore la peur de se détacher.”

Les propos de Francia rejoignent ceux de Wally, que nous avons rencontrée à Lifou. Cette maîtresse d’école vient d’être élue cinquième vice-présidente au Congrès de Nouvelle-Calédonie sous l’étiquette du Palika, un des principaux partis indépendantistes.

Wally, en jaune au premier plan, représente les Îles Loyauté au Congrès de Nouméa. ©Congrès de la Nouvelle-Calédonie.


Pour elle, l’indépendance va de soi : “Il est temps de passer à autre chose, les colonies, c’est fini. La plupart des gens se sentent calédoniens avant de se sentir français. Quand on est à des dizaines de milliers de kilomètres de ceux qui nous dirigent, c’est normal.”

Selon Wally, le futur pays doit se construire autour de la culture kanak. “Cela ne signifie pas rejeter les autres formes de cultures, mais simplement reconnaître que le peuple premier est le peuple kanak”. 

Répétition d’un spectacle traditionnel kanak au centre culturel Tjibaou.

Wally mêle également l’indépendance à l’écologie. Pour elle, le mode de vie kanak est déjà résilient : les tribus produisent leur propre nourriture, et l’énergie solaire est fortement utilisée, notamment dans les Îles Loyauté.

Il faut donc s’en inspirer et le développer, mais selon Wally, de véritables progrès ne pourront être faits qu’une fois que la Nouvelle-Calédonie sera souveraine sur ses terres. Et c’est cela le problème : gérer les ressources de manière durable pourrait être un argument lourd dans le débat national. Pourtant, loyaliste comme indépendantiste, personne ne fait valoir cette idée car ici, ce qui prime, c’est l’inverse : le statut politique de l’île passe avant la défense de son environnement.

Indépendance ou pas, un objectif : tisser du lien 

D’autres personnes, minoritaires, se situent hors-débat. C’est le cas de Warren. D’origine kanak, il fait partie du mouvement Construire Autrement : un mouvement qui ne prend pas position sur l’indépendance et qui met en avant que ce qui compte est l’après-référendum, pas le référendum en soi. Warren veut  penser la situation post-référendum, pas lutter pour le oui ou pour le non. “Il n’y aura pas de départs majeurs d’une communauté ou d’une autre après les référendums. On va devoir travailler ensemble dans tous les cas, donc autant commencer maintenant.”

Warren souhaite la construction d’un destin commun, que l’indépendance passe ou non. ©Nicolas Job

Fils d’un responsable du RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République, un parti loyaliste), et d’un foulard rouge du Palika, branche radicale indépendantiste, Warren nous dit non sans amusement être habitué à gérer des situations compliquées. Il a d’ailleurs créé une entreprise spécialisée dans la négociation et la médiation de conflits.  Il se considère comme un “tresseur de natte” : son but est de tisser des liens comme les feuilles d’une natte traditionnelle, pour permettre à la future société calédonienne de se développer sur des bases stables.

L’objectif de Warren est de tisser du lien entre tous les calédoniens. ©Nicolas Job

Sur l’écologie, il veut que le développement durable et l’auto-suffisance soient au coeur de la Nouvelle-Calédonie. Pour lui, “le dieu nickel est en train de mourir, et il a été mal réparti. Il est temps de passer à autre chose”. En effet, le nickel a produit de la richesses, mais la plupart des propriétaires de mines sont blancs ou étrangers (par exemple, la Société Le Nickel présente dans le Sud est détenue à 56% par ERAMET, un groupe métallurgique longuement dirigé par Rothschild et et à 10% par une entreprise japonaise), et les emplois les plus qualifiés dans les mines sont encore majoritairement occupés par des expatriés de France métropolitaine. Les mélanésiens sont le peuple de l’igname (tubercule cultivée dans les régions tropicales) : “Si l’igname, ou une partie de notre environnement disparaît, c’est tout un pan de notre culture qui s’effondre. On ne peut pas se le permettre et il faut prendre des mesures fortes en faveur de l’environnement”.


Justine, Léopold et Justine




  1.  Voir à ce sujet cet article du Monde du 1er novembre 2018


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