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Le projet de loi réduit à néant les propositions de la Convention citoyenne pour le climat


Article paru initialement le 9 janvier 2021 sur Reporterre



Reporterre s’est procuré le projet de loi tiré des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Propositions édulcorées, oublis, remises à plus tard et dérogations, l’ensemble maquillé par un discours volontariste : les associations écologistes sont épuisées de l’attitude mensongère du gouvernement.



Le projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat a été dévoilé vendredi 8 janvier auprès de diverses parties prenantes. À peine diffusé, le texte a suscité la déception des associations écologistes, qui dénoncent, comme les Amis de la Terre, « un sabotage en règle des mesures des citoyens et des citoyennes ». Les propositions les plus structurantes ont été édulcorées, détricotées voire tout simplement oubliées. En filigrane se dessine la vision du gouvernement en matière d’écologie : une focalisation sur les écogestes, l’information des consommateurs et l’engagement volontaire des entreprises.

« L’ambition fixée par l’exécutif — à savoir la réduction de moins de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 semble complètement irréalisable », dit à Reporterre Anne Bringault, du Réseau Action Climat. D’autant plus que les objectifs fixés par la France et l’Europe pour respecter l’Accord de Paris [1] se sont depuis renforcés. Pour limiter les conséquences du réchauffement climatique, notre pays s’est engagé officiellement à baisser ses émissions de 55 % d’ici à 2030. « Avec ce projet de loi, nous en sommes très loin », juge Anne Bringault. L’écologiste espère que le Haut Conseil pour le climat se saisira prochainement du texte pour en mesurer les effets en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Le texte de loi sera présenté le 10 février en Conseil des ministres. Annoncé d’abord pour l’automne, puis attendu en décembre et programmé fin janvier, le projet de loi a finalement encore pris un peu plus de retard. Pour Anne-Laure Sablé, des Amis de la Terre, « si le gouvernement avait respecté sa promesse de transmettre sans filtre les mesures au Parlement, cela aurait pris moins de temps. On aurait pu avoir le projet de loi dès la fin de l’été. Pendant six mois le gouvernement a simplement déconstruit les mesures des citoyens avec l’aide de son administration. Il avait promis une concertation, en réalité, c’était un jeu de dupes qui nous a encore fait perdre du temps face à l’urgence climatique », critique-t-elle.

« Le lyrisme des mots n’y changera rien, les mesures sont insuffisantes »

À l’issue de la présentation du texte de loi, les 150 citoyens et citoyennes se réuniront dans une dernière session en assemblée pour donner leur point de vue sur la manière dont le gouvernement reprend ou non leurs mesures. Au regard de leurs positions de plus en plus offensives ces derniers mois notamment lors de leur récent face-à-face avec le président de la République, en décembre, les débats s’annoncent vifs.

Aujourd’hui, Reporterre publie dans sa quasi intégralité le texte de loi et son exposé des motifs. Il manque l’article sur la création du délit d’écocide, qui, selon nos informations, fait encore polémique au sein du gouvernement et de la majorité. Cette mesure a subi les foudres de nombreux lobbies industriels et elle n’a toujours pas été arbitrée. En décembre dernier, la Ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, et le Garde des Sceaux, Éric Dupont Moretti, l’avaient pourtant annoncé officiellement en grande pompe.

Pour l’instant, le texte de loi comporte une soixantaine d’articles. Il est particulièrement foisonnant et affirme vouloir « changer le modèle français » et « accélérer l’évolution des mentalités ». Dans l’exposé des motifs, le gouvernement se félicite d’un projet de loi qui incarnera une « transformation sans précédent dans l’histoire de notre pays ».

Le député écologiste Matthieu Orphelin, très impliqué dans le suivi de la Convention citoyenne, paraît, lui, plus sceptique. Il juge le travail « insuffisant » : « Le lyrisme des mots n’y changera rien », dit-il. « Quel immense écart parfois entre les mots forts de l’exposé des motifs… et la réalité de ce que contiennent les articles concernés ! »

« On reporte toujours à plus tard les propositions structurantes et contraignantes »

Un examen détaillé du texte laisse, en effet, pantois. Anne Bringault, la coordinatrice du Réseau Action Climat le juge « bavard » : « De nombreuses dispositions sont juste là pour dire que l’État va écrire une autre loi dans deux ou trois ans pour prendre réellement des mesures. On reporte toujours à plus tard les propositions structurantes et contraignantes. »

Par exemple, la redevance sur les engrais azotés, chère aux membres de la Convention citoyenne, est reportée au projet de loi de finances 2024. L’arrêt des avantages donnés au gazole des transports routiers est fixé à 2030. Le gouvernement prévoit de présenter au Parlement une trajectoire précise à partir du projet de loi de finances 2023, soit un an après son quinquennat. « Pourquoi ne pas le faire dès maintenant ? N’avons-nous pas déjà perdu assez de temps ? », interroge Anne Bringault. Lors de son entretien sur Brut, Emmanuel Macron avait pourtant assuré qu’il ne faisait pas « des lois pour dans dix ans mais pour aujourd’hui ».

Dans le texte, les formulations sont souvent alambiquées. Elles ne semblent pas toujours juridiques. Ainsi dans son article 34, le projet de loi prévoit d’augmenter la fiscalité sur les billets d’avion sans évoquer de date précise. La proposition sera mise en place uniquement lorsque « le trafic aérien aura atteint, en nombre de passagers, le trafic de 2019 », et « à défaut de mesures prises au niveau européen ».

Pour Agathe Bounfour, spécialiste des transports au Réseau Action Climat, « l’écriture du texte est assez malhonnête. La loi est truffée d’imprécisions et d’exceptions ». Beaucoup d’éléments sont renvoyés à des décrets. Les seuils ne sont pas encore fixés. Pour de nombreuses mesures, des dérogations ont été introduites. Les zones commerciales pourront continuer à bétonner des terres agricoles si leur superficie est inférieure à 10.000 m² [2]. Ce qui représente tout de même 80 % d’entre elles, selon les Amis de la Terre. Les plateformes de commerce en ligne sont aussi exonérées de cette obligation.

"Ce qui sortira de cette convention, je m'y engage, sera soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe." Emmanuel Macron (© Katrin Baumann / Convention citoyenne pour le climat)

Alors que la Convention citoyenne voulait interdire la construction de nouveaux aéroports ou l’agrandissement de ceux déjà existants, des exceptions sont prévues si « ces projets n’augmentent pas les émissions de gaz à effet de serre » ou « pour des raisons de sécurité, défense, ou de mise aux normes réglementaires ».

Le gouvernement avait déjà dit vouloir interdire les vols domestiques entre deux villes françaises situées à moins de deux heures trente de train au lieu des quatre heures imaginées par la Convention. En lisant le texte, on apprend qu’il pourrait encore amoindrir la mesure : « Un décret précisera des aménagements à l’interdiction pour les services aériens qui assurent majoritairement le transport de passagers en correspondance ou qui offrent un transport aérien majoritairement décarboné », est-il ainsi précisé.

« Le projet de loi masque l’inertie du gouvernement »

Sur certains points, on peut légitimement douter de l’utilité du texte de loi. Pour prendre un exemple, l’option végétarienne quotidienne prévue par la Convention citoyenne a été transformée par le gouvernement en une simple expérimentation. Or, l’expérimentation existe déjà. « Montpellier vient de la mettre en place et soixante villes proposent déjà un repas végétarien tous les jours ! rappelle Benoit Granier, responsable alimentation au Réseau Action Climat. L’écrire dans un texte de loi ne sert à rien. C’est juste redondant et cela masque l’inertie du gouvernement. »

Autre aspect étonnant, il n’est fait mention nulle part dans le texte des chèques alimentaires en produits bio, une disposition arrachée en décembre par les citoyens et à laquelle Emmanuel Macron avait pourtant donné son accord. Selon Benoit Granier, « la mesure rencontrerait l’hostilité des services du ministère de la Santé et de l’Agriculture ». Elle aurait donc été décalée.

Mais ce n’est pas la seule. D’autres propositions brillent par leur absence. L’obligation de rénovation thermique des logements a été transformée en un simple audit pour informer les futurs acheteurs en cas de vente. « Quasiment rien n’a été acté sur la publicité, regrette également Khaled Gaiji, membre de Résistance à l’agression publicitaire. Sur les douze mesures pour la régulation de la publicité proposées par les citoyens, une seule est présente dans le projet de loi. Quatre ont été modifiées et fortement assouplies, sept ont disparu. »

Au-delà des propositions structurantes, nombre de propositions annexes de la Convention sont aujourd’hui absentes. Elles assuraient pourtant la cohérence de l’ensemble du projet. Le chapitre sur la biodiversité a été taillé dans le vif. « L’interdiction des coupes rases en forêt a été abandonnée alors qu’elle avait été plébiscitée par les citoyens », remarque ainsi Sylvain Angerand, de l’association Canopée.

Face à ce projet de loi, une lassitude s’est emparée des associations écologistes interrogées par Reporterre. Comme une fatigue devant la réalité alternative dans laquelle est plongé le gouvernement : « Il est de plus en plus décomplexé, dit Anne Laure Sablé. Le décalage entre son discours et ses actes est abyssal, mais il s’en fiche allègrement. »


Pour aller plus loin

- « Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ». Exposé des motifs.   

- « Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets »   




[1] Signé en 2015, l’accord prévoit de limiter, d’ici à 2100, à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle la hausse des températures mondiales.

[2] Au-dessus de 2.500 m² de surface de vente, l’Insee considère qu’il s’agit d’un hypermarché.

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