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La permaculture n'est pas une technique de jardinage, c'est un projet politique !


Entretien issu d'une webconférence du MOOC Permaculture : La permaculture, un projet politique d'avenir ?


La permaculture n’est pas une simple technique de jardinage. Elle s’inscrit dans les mouvements de contre-culture anglo-saxonne des années 70 de critique de la société de consommation. C’est une façon de trouver des réponses à l’échelle individuelle et collective à la société de consommation… François Léger, professeur à AgroParistech, et Claire Véret, membre d'Horizon Permaculture, révèlent dans cet article la dimension politique radicale de la permaculture.



La permaculture pour faire son jardin... et société

François Léger : Rappelons l'éthique de la permaculture :

- Prendre soin de la terre en cessant d’exploiter le monde et redécouvrir comment l’habiter ;

- Prendre soin des humains : convergence ou complémentarité des inégalités environnementales et sociales. Les uns nourrissent les autres ;

- Redistribuer équitablement les surplus : sortir de la consommation systématique et marchande en les redistribuant. Chacun a une activité dans laquelle il y a un certain nombre de productions pouvant aller au-delà des besoins. Il s'agit de répartir équitablement les produits des activités. 

Ces trois points de l'éthique fondent un projet politique. Or il y a peu de projets politiques réalisés au niveau collectif pour le moment en France. Les expériences de permaculture s’inscrivent plutôt dans des expériences individuelles. Dans d’autres pays, comme le Brésil, on constate cependant que la permaculture devient une stratégie de vie des paysans contre le modèle de grandes exploitations ou en Inde contre le modèle de l’esclavage marchand des paysanneries. 

François Léger, professeur à AgroParistech


"La permaculture est d’abord un projet politique qui cherche des solutions concrètes pour organiser un monde différent.  La permaculture de diversion, très médiatisée, a gommé cette dimension politique."

La permaculture est d’abord un projet politique qui cherche des solutions concrètes pour organiser un monde différent. L’idée est de ré-habiter les écosystèmes en comprenant comment ceux-ci sont interdépendants et comment nous-mêmes nous sommes en interdépendance avec eux.

La "biorégion", l'échelle clef pour une conception permaculturelle collective

Claire Véret : La permaculture de diversion, qui est très médiatisée, a gommé cette dimension politique. Mais la permaculture est un vrai programme pour que nos écosystèmes humains soient pérennes. La conception permaculturelle peut se faire à une échelle collective et organisationnelle d’un territoire, qu’on appelle des "biorégions". Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de projet politique à mener au niveau national. Mais la biorégion est l'échelle à laquelle on peut organiser la résilience, qu’elle soit énergétique ou alimentaire. 

Pour réaliser le programme proposé par l'éthique de la permaculture,  il faut commencer à analyser les flux à l’échelle d’un territoire. Et puis trouver ensuite un design qui permette que l’on soit au maximum dans une économie circulaire, une "permaéconomie".  La permaculture est un projet politique dans le sens où il faut modifier les infrastructures sociales et la culture dominante de notre société qui les a créées.

Changer nos représentations collectives de ce qu’est la réussite sociale, cela passe par des permaculteurs qui changent de mode de vie et qui de plus en plus habite leur territoire, mais aussi par changer le système de la publicité qui façonne nos représentations. 

Passer par l'expérience pour se transformer

François Léger : Habiter le monde différemment de ce que propose la société industrielle extractiviste est difficile à imaginer si on n'a pas fait l’expérience du travail du sol. J’ai moi-même été responsable d’une terre, d’animaux, d’une partie de l’alimentation que je consomme, et le réenchantement du monde pour moi d’habiter la nature est passé par cette expérience. 

Claire Véret membre d'Horizon Permaculture

Claire Véret : Cela me fait penser au très beau texte sorti il y a quelques semaines : Retour sur terre écrit par Dominique Bourg, Sophie Swaton, Gautier Chapelle, et Pablo Servigne. Ce texte parle notamment du fait que chaque personne active dans notre société devrait passer un jour par semaine à cultiver sa nourriture. C’est un projet politique très fort qu'il faut mettre en pratique dans notre quotidien. 

 "Il y a peu de projets permaculturels réalisés au niveau collectif pour le moment en France. Les expériences de permaculture s’inscrivent plutôt dans des expériences individuelles..."

François Léger : Si on parle alimentation, on se rend compte qu’un changement des modèles alimentaires implique un changement des façons de travailler et d’habiter sa maison. C’est aussi un changement dans la répartition genrée des tâches ménagères. Le retour à une alimentation saine et de proximité ne doit en aucun cas renvoyer les femmes à la cuisine. Il faut voir le monde comme une pelote assez compliquée où, quand on tire un fil, finalement on tire des tas de choses auxquelles on ne s'était pas attendu au départ. 

De la protection de la terre à la justice sociale

Claire Véret : Cela renvoie à la question de la liberté. Et la permaculture en ce sens est un projet de justice sociale. L’empreinte carbone moyenne d’un Français est de 12 tonnes, sachant que là-dedans les 10% les plus riches sont à 53 tonnes, et les 10% les plus pauvres sont en dessous de 2 tonnes. À l’échelle mondiale, c’est encore plus asymétrique. Cela n’est pas tenable sur un plan éthique. Cependant, quand j’ai un mode de vie qui tient compte des habitants d’Inde ou d’Afrique, je me sens plus sereine, la contrainte me libère. Le fait qu’eux puisse vivre conditionne le fait que je vive, puisqu’on habite sur la même planète. Les contraintes naturelles et sociales sont en fait des libérations.

"Si l'on veut prendre soin des humains, il faut aussi prendre soin de la terre. Parce que les modèles d’exploitation des hommes et de la Nature répondent à la même logique productiviste."

François Léger : Pourquoi ne peut-on pas prendre soin des humains sans prendre soin de la terre ? Simplement parce que les modèles d’exploitation, que ce soient celui de la nature ou celui des travailleurs ou des salariés, répondent à la même logique productiviste. Il s’agit de faire produire quelque chose, soit des arbres, soit quelqu’un, et de ne pas répartir équitablement le bénéfice de ce travail. Les principes de la permaculture se rapprochent des principes socialistes historiques quand on y réfléchit, et des principes de renoncement à l’exploitation de l’autre qui entraîne une libération. 

Cela ne peut pas être théorisé. Les vertus de l’expérience permaculturelle (ou autres pratiques similaires : agroécologie, bioforesterie...), c’est de (re)découvrir que l’exploitation n'est pas la manière la plus gratifiante d’être au monde. 

Par où commencer : les élus politiques ou les initiatives citoyennes ?

Claire Véret : Pour les élus, plein de choses peuvent être faites assez rapidement. Il faut être créatif, ce qui est un principe de permaculture. Les limites de ce que l’on peut faire viennent de notre imaginaire notamment. 

François Léger: Je pense qu’il ne peut pas y avoir d’actions en faveur d’une transition écologique qui ne soit pas aussi une action qui pense également la question de la démocratie. Je crois que l’enjeu essentiel aujourd’hui de la transition écologique est tout autant dans la façon de percevoir les transports, etc. que dans la façon d’associer la population à la décision. On a vu beaucoup de maire, pleins de bonnes intentions, mais si ces projets ne rencontrent pas la conscience des gens, cela ne fait pas grand-chose. La conscience des gens ne s’éveille pas en disant : « tu vas faire ça ». La conscience ne peut s’éveiller que dans la participation démocratique. Si vous ne donnez pas toute la place aux gens dans la définition et dans la discussion des objectifs de conduite d’une ville ou d’un village, vous n’arriverez pas véritablement à faire autre chose que des mesures techniques.

La meilleur façon de faire cela n’est pas de les réunir dans une salle, mais de les associer à la pratique qui va avec la décision, d’où l’intérêt des chantiers participatifs. 

Claire Véret : Avec la participation citoyenne, l’élu joue pleinement son rôle de facilitateur de réalisation du projet. Cela existe déjà dans un certain nombre de communes, de territoires, allez voir  Loos-en-Gohelle, Grande Scynthe, Ungersheim, Kingersheim, Grenoble, Mouans-Sarthoux, Castelnaudary, Albi...

L'élément clef est la densité et non la taille. Pour habiter la terre, demandons-nous ce qu’elle peut supporter. Les fondateurs de la permaculture disaient : « il faudrait une forêt à chaque ville ». Ça trace le décor. 

On oublie souvent que le troisième principe éthique de la permaculture, à la base, est formulé ainsi : « réduire ses besoins ». Ça renvoie à la question de prendre le temps : ça demande de réinterroger ses besoins et comment on les satisfait. Je pense que réduire ses besoins a été un peu oublié, car c'est moins sexy. Si on quitte les métiers non fondamentaux, on libère du temps pour faire des métiers qui répondent à des besoins fondamentaux. 

"Pour habiter la terre, demandons-nous ce qu’elle peut supporter."

François Léger : Notre-Dame-des-Landes est aussi un endroit à voir pour découvrir des innovations territoriales ambitieuses ! Il faut cependant dire que les initiatives permaculturelles ont souvent eu lieu dans un collectif de taille et d’échelle limitées. Elles ont soit évité, soit eu beaucoup de mal à traiter l’articulation de ses collectifs entre eux. C’est un des enjeux politiques majeurs aujourd’hui. Dans un certain nombre de cas vous ne pouvez pas être autosuffisant. Cela veut dire que vous êtes dépendant d’une autre communauté. La construction de cette interdépendance pose des problèmes de gouvernance qui sont assez redoutable.

Claire Véret : Cela renvoie à la question : par où commencer ? Commence-t-on par la démocratie, ou par les initiatives citoyennes ? 

François Léger : S’il n’y a pas de petit pas, de petits projets, de petites contributions, on n’avance pas. En revanche les grands pas en termes de changement d’échelle imposent une réflexion politique plus profonde.

Claire Véret  : On ne peut pas juste décréter que l’écologie et la biodiversité deviennent la priorité. Je pense qu’il faut des outils. Ils permettent de s’assurer que l’on comprend tous la question et que l’on ne s’embarque pas dans des fausses bonnes idées. Les SUV électriques qui ont été vantés comme étant une filière industrielle que l’on développe, c’est clairement une fausse bonne idée. Il suffit de faire le bilan carbone et énergétique, notamment d'énergie grise, de ces trucs-là. Si on avait un budget climatique cela éclairerait la décision des élus de manière objective. Vous allez me trouver très naïve, mais je pense qu'il faut s’appuyer sur des outils comme ça. 

François Léger : Je pense que la première des choses est de considérer que les citoyens sont compétents, et que s’ils ne le sont pas assez, l’un des devoirs essentiels d’un élu est de permettre d’accroître leurs capacités d’actions et d’agir. Cela passe en particulier par le renoncement à la décision solitaire pour les élus. 


Pour aller plus loin

- Le MOOC "Conception en Permaculture" du Mouvement Colibris

- Le dossier Permaculture, sur Colibris le Mag

- Le site d'Horizon Permaculture

Commentaires

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Merci! Enfin un article qui rétablit ce qu'est vraiment la permaculture! Je ne cesse de le répéter à mes proches qui comme je suis maraîcher pensent que ce ne sont que des buttes la permaculture, et bien non, je suis maraîcher et je vais en permaculture bien au-delà de mon métier. Je viens tout juste de finir la BD Permacomix qui fait de même pour ceux que ça intéresse, enfin!. Allez on continue à rectifier le tir! Bravo!

NB. La chercheuse à l'initiative du Revenu de Transition Ecologique est Sophie SWATON (et non pas Souettant).