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La communauté agricole Emmaüs Roya cultive la solidarité avec les migrants


     Article paru initialement le 24 avril 2020 sur Reporterre


Les cabanes où logent les compagnons © Sébastien Aublanc/Reporterre

Depuis juillet, les terres de Cédric Herrou sont devenues la communauté Emmaüs Roya qui propose ses productions bio en circuit court. Personnes solidaires et sans-papiers y cultivent un avenir commun.


  •  Paris, reportage

« Cet endroit répare tout le monde, pas seulement les exilés », dit Charlotte, bénévole à Emmaüs Roya. Il y a un peu plus d’un an, elle a quitté son boulot dans une ONG à Paris pour « faire un voyage à vélo sur les routes de l’exil ». Ses coups de pédales se sont arrêtés à la frontière franco-italienne, dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes), où elle a trouvé du sens à s’investir sur les terrasses plantées d’oliviers de Cédric Herrou.

De 2015 à 2017, cet agriculteur de Breil-sur-Roya, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Nice, s’est rendu célèbre par son aide aux exilés. Son exploitation était devenu « le camping le plus surveillé de France », dit-il. En bordure de la route et de la voie ferrée montant de Vintimille, ce havre a accueilli jusqu’à 150 personnes. L’endroit fut cerné par des dizaines de gendarmes mobiles. Puis, « le camping Cédric Herrou, est devenu Emmaüs Roya », dit l’agriculteur. Depuis juillet 2019, il est coresponsable de cette nouvelle communauté, pensée pour enraciner l’accueil et la solidarité.

Pousser les personnes migrantes à prendre toujours plus de risques 

Deux années durant, la Roya était devenue une souricière pour celles et ceux qui cherchaient à contourner les contrôles du poste-frontière de Menton, sur la côte, espérant entrer en France pour y trouver refuge ou continuer leur route vers la Grande-Bretagne. Par l’emploi des militaires de l’opération Sentinelle et de nombreuses forces de l’ordre, la vallée a été militarisée. Au point de pousser les personnes migrantes à prendre toujours plus de risques, parfois jusqu’à la mort. La solidarité d’une bonne partie des habitants a permis d’éviter bien des drames.

« La vallée de La Roya : un terrain de chasse meurtrier dans l’espace Schengen », M. Dujmovic et T. Duffey, extraite de l’« Atlas des migrants en Europe », Migreurop, 2017, Armand Colin.

Ce 9 septembre, le long de la départementale montant à Breil, le commissariat de la police aux frontières, aménagé dans un bus, rappelle qu’en dépit des accords de Schengen, cette frontière reste sous étroite surveillance. Depuis la fin 2017, la pression a baissé à mesure que la dissuasion sur les personnes migrantes à emprunter cette route semblait fonctionner. Celles-ci tentant désormais davantage leurs chances par Menton ou plus au nord, par Briançon (Hautes-Alpes). Les contrôles de gendarmerie restent toutefois très fréquents, nous disent plusieurs habitants de la vallée.

« Pour des personnes qui n’ont pas de droits, c’est un tremplin »

À une poignée de kilomètres du poste mobile, nous garons la voiture, avant de gravir à pied les restanques de la dernière née du réseau Emmaüs. Comme ses aînées, elle pratique « l’accueil inconditionnel » théorisé par l’abbé Pierre. « Toute personne, quels que soient son parcours, son origine, sa confession ou son âge, doit bénéficier d’un accueil inconditionnel », énonce Emmaüs. Mais contrairement à la plupart des communautés Emmaüs en France, connues comme des recycleries, l’activité de celle-ci est agricole. Ses productions maraîchères, œufs et transformations bio, sont valorisées en circuit court.

Depuis Emmaüs Roya, vue sur la vallée de la Roya, la route et le chemin de fer venant de Vintimille © Sébastien Aublanc/Reporterre

Les sept compagnons d’Emmaüs Roya sont « nourris, logés, blanchis. Ils perçoivent une allocation communautaire de 355 euros par mois et cotisent à la Sécurité sociale », dit Marion Gachet, coresponsable de la communauté. Ceci est possible grâce au statut d’organisme d’accueil communautaire et d’activité solidaire (Oacas) dont dispose Emmaüs depuis 2010. « Pour des personnes qui n’ont pas de droits, c’est un tremplin. Être en activité permet d’aller mieux », dit Marion Gachet. Une façon d’être valorisé et de retrouver de la dignité, tout en se formant à l’agriculture, alors que les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler. Le statut Oacas ne protège pas de l’expulsion les compagnons en situation irrégulière. Le 10 septembre, Hovo, un Arménien membre de la communauté de Rodez (Aveyron) a ainsi été expulsé.

« J’en ai marre d’avoir des jeunes en dépression, sur leur téléphone portable toute la journée » 

« Dans mon village du Lot, on s’occupe beaucoup de réfugiés et de demandeurs d’asile. J’en ai marre d’avoir des jeunes en dépression, sur leur téléphone portable toute la journée », dit Dominique, qui est venue pour quelques jours comme bénévole. Elle a été maraîchère, herboriste puis prof de français langue étrangère, et partage avec Yacoub et Jaf son savoir-faire de la transformation. Pesto de basilic et coulis de tomate sont en préparation.

Yacoub, Dominique et Jaf préparent les tomates en coulis © Sébastien Aublanc/Reporterre

À cause de la barrière de la langue ou parce qu’ils ne veulent pas se remémorer un passé douloureux, peu de compagnons évoquent leur parcours. Le sourire de Yacoub, 27 ans, disparaît de son visage quand il témoigne. Il est en particulier dépité de s’être fait refuser, tout récemment, le droit d’asile. Il a fui son pays, le Tchad, en 2014. Étudiant en biologie, il participait à une grève étudiante. « Nous réclamions le paiement de nos bourses et la délivrance de nos diplômes. Nos professeurs manifestaient aussi pour être payés », raconte-t-il. Arrêté, il a fait l’objet de coups de matraque qui lui ont laissé des séquelles aux jambes. Il a fui au Soudan, où il a été hospitalisé durant de longs mois.

Yacoub souhaite être « libre et indépendant » © Sébastien Aublanc/Reporterre

Puis, Yacoub est passé par la Libye, avant de traverser la Méditerranée et l’Italie. En 2017, après être passé par chez Cédric Herrou, il est arrivé à Perpignan (Pyrénées-Orientales). Là, il s’est investi dans le mouvement Alternatiba, dans l’association Miam (qui promeut « une cantine ouverte au plus grand nombre ») et dans une webradio. Le visage du jeune homme s’éclaire à nouveau quand il raconte les activités de la communauté. « Chaque jour, on mange nos légumes et on respire de l’air pur. C’est intéressant de défendre l’écologie alors que tout devient pollué », dit-il.

« On ne peut pas dissocier humanitaire et politique. C’est un combat de justice fondamentale » 

S’il y avait un point commun entre toutes les personnes qui nous avons rencontrées à Emmaüs Roya, ce serait le voyage. Comme une allégorie des inégalités du monde, il y a ceux qui y sont contraints et ceux qui ont la liberté de circuler. Patrick est le seul compagnon de nationalité française. Venu faire du wwoofing chez Cédric Herrou, il s’est « pris une grosse claque » concernant la situation de la frontière « qu’[il] ne connaissai[t] pas ». Adhérant aux valeurs et « se prenant au jeu de ce qui se passe ici », il a décidé de rester. De son côté, Cedric Herrou a voyagé en Afrique avant de s’installer sur ces terres, comme une « échappatoire à cette vie de sauvage, au travail et au monde de la ville ». Il avait le rêve de voyager à nouveau en Afrique. « Et, finalement, c’est l’Afrique qui est venue à moi. Si ces gens font à manger pour les petits Français, c’est une bataille de gagnée », se réjouit-il.

« Le bilan carbone des dix personnes qui habitent ici est une réponse pour l’écologie et la migration », affirme Cédric Herrou © Sébastien Aublanc/Reporterre

Caricaturé par les autorités et une partie de la presse comme un promigrant, Cédric Herrou se définit comme « un militant pour la vie avec un grand V. On ne peut pas dissocier humanitaire et politique. C’est un combat de justice fondamentale ». Son projet lie deux priorités actuelles : « lutte écologique et respect des personnes ». Et Emmaüs Roya compte essaimer. « Une quinzaine de projets, qui vont de jardins pour l’autoconsommation des communautés à de véritables fermes sont en cours », nous dit au téléphone Michel Frédérico, vice-président de la branche communautaire et compagnon à Pamiers (Ariège).

Livraison des fraises d’Emmaüs Roya à l’épicerie « petit primeur » de Breil. « Mes clients, il y en a à qui ça plaît et d’autres à qui ça plaît pas que des fruits et des légumes viennent de chez Cédric Herrou. S’ils veulent du bio et du local, il faut être cohérent », nous dit le patron, Frédéric.© Sébastien Aublanc/Reporterre

Emmaüs Roya cherche un bâtiment comme lieu de vie des compagnons, atelier de transformation et espace de vie associative et culturelle ouvert à tous. « Les bénéficiaires seraient les habitants. À Breil, il y a beaucoup de gens isolés, en particulier des personnes âgées, des harkis », dit Marion Gachet. Activer les liens interculturels et intergénérationnels mis à mal par la désertification de leur vallée, voilà une autre dimension du combat d’Emmaüs Roya.






Photos : © Sébastien Aublanc/Reporterre


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