Vers un numérique libre, local et éthique
Webconférence – Reprendre la main sur le numérique
De l’Ukraine aux réseaux sociaux, des data centers aux mines de métaux rares, les GAFAM imposent un numérique extractiviste et violent, qui fragilise nos sociétés et abîme la planète. Mais des initiatives existent pour réduire les impacts toxiques du numérique dominant. Le 5 novembre 2025, le Mouvement Colibris a organisé une web-conférence avec Pierre-Yves Gosset, de Framasoft, Floriane Hamon, co-coordinatrice du projet booture et Fabien Lebrun, sociologue, auteur de "Barbarie numérique". Près de 300 spectateur⋅ices ont participé à cette soirée organisée par le Mouvement Colibris pour questionner la place du numérique dans nos vies et imaginer des alternatives solidaires et soutenables. Retours sur les quatre temps de cette conférence.
Les constats
Les trois intervenants - Pierre-Yves Gosset (Framasoft), Floriane Amont (Mouvement Colibris) et Fabien Lebrun (sociologue, auteur de "La barbarie numérique") – ont dressé un tableau sans concession d’un numérique dominant qui détruit le lien social, la planète et des vies humaines.
Pierre-Yves Gosset a rappelé la surveillance généralisée révélée par Edward Snowden : nos usages en ligne sont captés, analysés et monétisés par un petit nombre d’acteurs – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft. Il décrit ce modèle comme un capitalisme de surveillance, où nos comportements deviennent matière première à profit. Face à cette triple domination – technique, économique et culturelle – il rejette le terme de souveraineté numérique et lui préfère celui d’autonomie stratégique : construire un numérique local, coopératif et non soumis aux logiques capitalistiques.
Fabien Lebrun a souligné la matérialité du numérique : derrière l’idée trompeuse de « dématérialisation » se cache une industrie très concrète, fondée sur l’extraction de dizaines de métaux rares. Chaque année, près de 1,5 milliard de smartphones sont produits, nécessitant de nombreux éléments métalliques. Cette dépendance alimente des guerres de ressources, notamment en République Démocratique du Congo, où l’exploitation minière s’accompagne de millions de personnes déplacées, de violations massives des droits humains et de dégâts écologiques irréversibles.
En France, la fracture numérique s’agrandit. Floriane Hamon nous en a donné quelques chiffres : 15,7 % des Français·es de plus de 15 ans sont en situation d’illectronisme, et 30 % ont de faibles compétences numériques. Conséquence directe, la numérisation des services publics exclut de nombreux citoyens, pendant que les outils numériques de surveillance renforcent les inégalités : les personnes plus précaires sont les plus contrôlées. À cela s’ajoutent les effets néfastes des écrans sur la santé mentale, en particulier chez les jeunes avec leurs corollaires, hyperconnexion, isolement et sentiment de solitude.
Les promesses trahies d’Internet
Pierre-Yves Gosset a pu rappeler qu’Internet est né dans les années 1960 au sein de la DARPA, agence militaire américaine, avant de devenir un outil de recherche universitaire, puis un espace public dans les années 1990. Mais, d’après lui, cette promesse d’un Web ouvert et horizontal a été trahie : les plateformes commerciales ont pris le pouvoir, transformant le réseau en marché mondial de la donnée. Les promesses d’émancipation, de démocratie et d’accès universel à la connaissance se sont muées en captation, manipulation et désinformation.
Floriane Hamon a pour sa part souligné que les algorithmes des GAFAM décident désormais ce que nous voyons et ce que nous ignorons ; la visibilité se paie, renforçant les inégalités.
Questionné sur l’utilité des réseaux sociaux pour organiser des mouvement sociaux (les Printemps arabes par exemple), Fabien Lebrun a appelé à ne pas fantasmer la puissance des réseaux sociaux : « Les grandes mobilisations ne se font pas en ligne mais dans la rue. Certes, la toile n’existait pas, mais Mai 68 s’est fait sans Internet ». Il invite à replacer la technologie à sa juste place, comme outil au service de l’action collective.
Pour vous inscrire au webinaire apprenant du 17 novembre 2025 : Dessine-moi Internet !

Des alternatives existent
Les trois intervenant·es ont par ailleurs rappelé qu’un numérique émancipateur est possible, fondé sur la coopération et la sobriété. Ce numérique émancipateur se base sur l’utilisation de logiciels libres et des outils coopératif, sur la réparation et la prolongation du matériel, et enfin sur le contrôle collectif des outils numériques.
Le tout, lié à une utilisation sobre et limitée des outils numériques. Floriane résume : « Le numérique, c’est aussi peu que possible, mais autant que nécessaire. » Avec Framasoft, le Mouvement Colibris a rejoint le collectif CHATONS dès 2017 et accompagne ses groupes locaux vers des pratiques numériques libres et durables. Des ateliers de réparation, comme à Thouars, prolongent la vie du matériel et favorisent l’autonomie technique.
Pour Pierre-Yves Gosset, s’inspirant d’Ivan Illich (1926-2002, penseur allemand de l'écologisme et figure importante de la critique de la société industrielle), un numérique émancipateur est convivial : il n’aliène pas, il est compréhensible, réparable et collectif. Les communs numériques (Distribution Linux, Wikipédia, Framasoft) incarnent cette vision : des outils gérés ensemble et hors du marché.
La « booture » : un outil concret d’émancipation
Présenté par Floriane Hamon, le projet « booture » (Boîte à Octets Ouverts pour Transformer nos Utopies en Réalités Émancipatrices) s’inscrit dans cette dynamique. Il s’agit d’un petit d'un petit ordinateur réemployé et frugal transformé en serveur à l'aide de Yunohost, YesWiki, Ritimo et le Réseau des Ressourceries. Cette initiative est issue du prototype CLIC. Il permet à des associations, collectifs ou tiers-lieux de stocker, échanger, bref, gérer localement leurs outils et leurs données. À la fois technique et politique, ce dispositif incarne l’idée d’un Internet local, coopératif et sobre.
Une phase d’expérimentation débutera début 2026 dans la Drôme, accompagnant plusieurs organisations de la société civile dans la prise en main de ces solutions. Le projet s’appuie sur le réseau du monde du libre et sur l’annuaire Émancipasso, afin de mutualiser compétences et soutiens.
Cette web-conférence riche et animée par des nombreuses questions a montré que reprendre la main sur le numérique n’est pas seulement une affaire d’outils, mais un enjeu démocratique, écologique et social majeur. Sortir du techno-solutionnisme, rompre avec la dépendance aux géants du numérique, et reconstruire un Internet au service du bien commun : voilà le chantier à poursuivre.
AGIR POUR S’ÉMANCIPER
Les participant·es ont posé de nombreuses questions et nous ont demandé de leur fournir des références, des liens et des ressources pour agir concrètement à la suite de cette web-conférence. En voici quelques uns :
Framalibre.org
Un annuaire collaboratif qui recense plusieurs centaines de logiciels libres classés par usages : bureautique, communication, éducation, graphisme, etc.Chaque fiche présente les fonctionnalités, la licence et des liens directs pour télécharger ou tester l’outil. https://framalibre.org/
Telecoop
TeleCoop, c'est le premier opérateur français télécom coopératif qui propose des forfaits sans engagement pour les particuliers et les entreprises. www.telecoop.fr
Fairphone
Un smartphone éthique, réparable et modulable, conçu pour allonger la durée de vie des appareils et réduire l’impact environnemental.L’entreprise s’engage pour une chaîne d’approvisionnement plus juste, en luttant contre les minerais de conflit et en garantissant des conditions de travail décentes. https://www.fairphone.com/fr
APRIL – Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre
L’une des principales associations françaises de plaidoyer pour le logiciel libre.Elle agit depuis 1996 pour sensibiliser citoyens, associations et institutions publiques aux enjeux politiques, économiques et sociaux du numérique libre.
https://www.april.org/
GULL – Groupes d’Utilisateurs de Logiciels Libres
Des collectifs locaux d’entraide qui accompagnent les particuliers, associations et collectivités dans l’installation et l’usage des logiciels libres.Ils organisent régulièrement des ateliers, “install parties” et formations pour découvrir Linux, LibreOffice, Firefox ou d’autres outils libres. https://aful.org/gul/liste
Passer de Microsoft à Linux
Vous voulez vous émanciper de Microsoft et de son système d’exploitation Windows ? Pas de panique, il y a des alternatives, comme Linux. Et bonne nouvelle, vous pouvez retrouvez des groupes d’installation Linux dans votre région.
Par exemple : pour Marseille : https://www.meetup.com/fr-FR/plugfr/ ; pour Paris : https://parinux.org/
Framaspace
Une plateforme collaborative libre proposée par Framasoft, alternative éthique au “cloud souverain” des GAFAM.Elle permet aux associations de créer des espaces partagés (documents, agendas, visios, messageries) sans publicité ni exploitation de données personnelles. https://www.frama.space/abc/fr/
Sortir mes mails des GAFAM
Vous aussi vous pensez qu’utiliser Gmail (ou les autres géants d’internet) ce n’est plus acceptable ? Vous savez déjà que ces fournisseurs de mails sont des ogres qui dévorent vos données, votre vie privée et qui polluent allégrement ! Oui… Mais comment sortir de ces fournisseurs ? Changer pour un mail plus éthique? Quelles sont les alternatives ? https://www.demailnagement.net/
S’INFORMER
Le numérique pour éduquer à l’environnement : « Aussi peu que possible, mais autant que nécessaire »
Un article du magazine Symbioses n°143 : Du clic au dé-clic. Coordinateur d’une association d’éducation à la nature, Gatien Bataille est aussi spécialiste de l’usage du numérique à des fins collaboratives et pédagogiques. Un oiseau rare dans un secteur de l’éducation à l’environnement souvent techno-méfiant.
https://www.reseau-idee.be/fr/symbioses/le-numerique-pour-eduquer-lenvironnement-aussi-peu-que-possible-mais-autant-que-necessaire
Le secteur de l’inclusion numérique au bord de l’effondrement
Ace jour, près de 65 % de la population expriment des craintes liées à l’utilisation du numérique et 20% des Français identifient le manque de compétences numériques comme le principal frein à son utilisation au quotidien. À l’échelle européenne, 44 % des citoyens ne disposent pas des compétences numériques de base . Cette inégalité face au numérique touche directement l’égalité devant le droit, l’accès à l’emploi, la participation démocratique et la résilience face à la désinformation.
https://blogs.mediapart.fr/la-mednum/blog/291025/budget-2026-le-secteur-de-l-inclusion-numerique-au-bord-de-l-effondrement
Pourquoi un collectif décide de boycotter les I.A. génératives ?
C’est un article et une analyse un peu à contre-courant, et donc intéressante à lire que nous apporte Commown, la coopérative de l’électronique sobre et engagée. Extraits : « IA partout, pour tout, solution ultime à tous nos problèmes, nouvel eldorado pour la croissance du PIB et enjeu de souveraineté. Voilà le récit hégémonique qui pollue nos imaginaires et domine actuellement les sphères médiatique, politique, économique. (...) « l’IA » est un « projet » de société imaginé et impulsé par les techno-fascistes et autres masculinistes de la Silicon Valley. Donc oui, il convient bien de détester le projet d’IA que l’on cherche à nous imposer de force. »
https://forum.commown.coop/t/pourquoi-commown-boycotte-l-utilisation-d-ia-et-plus-particulierement-les-ia-generatives/3015
Impacts des IA génératives et place du numérique dans la transition écologique.
Chercheur et doctorant au RMIT (Royal Melbourne University of Technology – Australie), spécialisé sur les enjeux environnementaux de la numérisation Gauthier Roussilhe propose une réflexion dans ces deux articles publiés par le média Bon Pote surles sciences environnementales appliquées à la numérisation avec deux principales questions de recherche :
1) quelle est l’empreinte environnementale du secteur numérique et ses trajectoires ;
IA génératives, 5G, satellites… quelle est la vraie empreinte environnementale du numérique ?
ChatGPT, Claude, Midjourney... beaucoup de choses ont été dites sur l’empreinte environnementale du secteur numérique.
2) est-ce que la numérisation aide àatténuer et à s’adapter à la crise environnementale ou alors augmente les impacts globaux ?
Le numérique est-il vraiment une solution pour la transition écologique ?
La littérature scientifique disponible sur le numérique montre sans équivoque qu’il existe une différence importante entre les déclarations
La désinformation climatique dans les médias et les réseau sociaux
À quelques semaines de la COP 30, les ONG Data For Good, QuotaClimat et Science Feedback dévoilent les conclusions de leur nouveau rapport cartographiant la désinformation climatique dans les médias audiovisuels. Elles alertent :529 cas ont été détectés en France en 8 mois.Sans prise en charge médiatique et politique suffisamment rapide, la désinformation climatique risque de se propager davantage dans les médias mainstream, où l’intégrité de l’information est pourtant encadrée.
https://quotaclimat.org/actualites/desinformation-climatique-medias-francais-et-bresiliens/
La Fundación Maldita.es, un organisme espagnol dédié au fact-checking, et l’ONGAI Forensics révèle que YouTube et TikTok n’endiguent pas la désinformation climatique lors des catastrophes naturelles.
https://reporterre.net/Desinformation-climatique-le-laissez-faire-de-YouTube-et-TikTok-pointe-par-une-etude


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