Agora 2020 - Nouvelles formes d'installation en zones rurales
Nouveaux paysans : en quête de terres…
Face aux difficultés d’accès aux terres et fermes que subissent les néo-paysans, des solutions existent. À court et moyen terme, de nombreux interlocuteurs aident les porteurs de projets en attendant que les pouvoirs publics remplissent enfin leur mission. À plus long terme, un « démembrement » des terres agricoles fait partie des pistes explorées lors de la deuxième rencontre nationale de l’Agora sur les « Nouvelles formes d’installation en zones rurales » (3 et 4 juillet 2020, Sainte-Croix). Deux intérêts à cela : remettre la gestion des terres au service du bien commun ; adapter le parcellaire aux besoins d’une agriculture plus résiliente, collective et accessible.
Dans ce parcours du combattant pour les candidats à l’installation agroécologique, leur réussite dépend en grande partie de leur connaissance des outils et des organisations d’accompagnement à solliciter, de leur aptitude à explorer un territoire et s’y implanter, de leur curiosité et de leur agilité pour s’adapter à l’offre existante. À cette recherche de terre s’ajoute celle de l’hébergement souvent reléguée au second rang par des porteurs de projets, concentrés sur l’accès au foncier (voir encadré en bas).
Engager sa mairie
Rencontrer les collectivités territoriales est une étape indispensable de la prospection. Certaines mairies, par exemple, s’impliquent beaucoup pour installer des paysans, conscientes de la valeur ajoutée sociale, écologique et économique pour leur commune. Elles peuvent mettre à la disposition des futurs producteurs alimentaires leur connaissance du territoire, et leur faciliter les prises de contacts avec des agriculteurs bientôt en retraite.
Certaines mairies s’impliquent beaucoup pour installer des paysans, conscientes de la valeur ajoutée sociale, écologique et économique pour leur commune
Certaines collectivités vont plus loin, et s’engagent dans la durée. Elles peuvent même intégrer directement l’agriculture au projet municipal. Ainsi, à Mouans-Sartoux dans les Alpes Maritimes, la mairie a créé une régie agricole et a monté sa propre ferme, employant des maraîchers communaux. Cela permet à la cantine de servir des légumes de saison, frais, presque 100 % bio et locaux, sans que cela ne coûte plus cher ni aux parents ni à la collectivité. Cette initiative a fait connaître cette commune très largement à travers la France, laquelle l’a popularisée à travers le réseau de collectivités Un+Bio.
« Moyennant une forte implication de la municipalité, c’est une solution efficace », remarque Murray Nelson, qui a été directeur de la Manufacture des paysages et est très actifs dans plusieurs associations (Relier, Terre de Liens Hérault, Énergie Citoyenne). Il reconnaît aussi que « dans cette situation, le fermier a moins de liberté qu’un paysan autonome : il doit répondre aux besoins de la commune, notamment pour la restauration collective. »
À Mouans-Sartoux, dans les Alpes Maritimes, la mairie a monté sa propre ferme, employant des maraîchers communaux, pour alimenter la cantine en légumes de saison, frais, presque 100 % bio et locaux, sans que cela ne coûte plus cher
Certaines communes portent également des plans alimentaires territoriaux (PAT) avec divers partenaires, ou allouent des fonds d’intervention spécifiques pour l’installation d’agriculteurs, la création de plateformes de collecte et de transformation de produits agricoles locaux afin de sécuriser l’alimentation de leur territoire.
En Bretagne, la mairie de Moëlan-sur-Mer (Finistère) a fait un autre pari. Elle a décidé d’employer les grands moyens pour amener, voire contraindre, plus de 400 propriétaires de parcelles abandonnées de la commune, à louer leurs friches inoccupées à des jeunes cherchant à s ‘installer. Une opération inédite : la municipalité s’est appuyée sur une disposition du Code rural trop peu connue. Les articles L125-1 et suivants permettent aux autorités, lorsqu’un terrain agricole contient des friches depuis au moins trois ans, de demander aux propriétaires de les mettre en culture eux-mêmes ou de les louer à des paysans. La mairie qui souhaitait stimuler l’économie locale via l’agriculture biologique et de proximité, tout en luttant contre la forte spéculation foncière, a donc mis à profit cette procédure jamais employée à une telle échelle. Avec l’appui actif de Terre de Liens Bretagne, la municipalité, en près de cinq ans, a permis la création d’une trentaine d’emplois sur plus de 120 hectares.
Les articles L125-1 et suivants du Code Rural permettent aux communes, lorsqu’un terrain agricole contient des friches depuis au moins trois ans, de demander aux propriétaires de les mettre en culture
Si, théoriquement, cette démarche est reproductible partout, elle prend du temps… Elle nécessite aussi un gros effort de pédagogie et de concertation avec les propriétaires, mais aussi d’animation pour recruter des paysans et leur proposer des débouchés (à travers la restauration collective locale et les marchés) – ici, c’est l’équipe du projet qui a assuré l’installation et non les propriétaires des terrains en friche. Et le tout ne s’est pas fait sans tensions et sans recours en justice…
Chercher du soutien et se tester
Les futurs paysans qui trouvent des terres qu’ils n’arrivent pas à acquérir malgré la rentabilité de leur projet, peuvent aussi s’adresser à la Foncière Terre de Liens qui achète des fermes et les loue à de jeunes fermiers minutieusement sélectionnés, moyennant un suivi et un engagement de pratiques agrobiologiques. Cette location rejoint la réalité des usages agricoles en France puisque 75 % de la surface agricole est sous fermage, c’est-à-dire en location de longue durée (minimum 9 ans). Et cette décorellation entre propriété et usages des terres est un phénomène qui s’accentue au fil des ans.
La deuxième rencontre nationale de l’Agora sur les « Nouvelles formes d’installation en zones rurales » (3 et 4 juillet 2020, Sainte-Croix)
Le Réseau National des Espaces Tests Agricole (RENETA) offre, lui aussi, une opportunité de taille : fournir à la fois un cadre légal, un espace de travail équipé, parfois collectif, à des porteurs de projet déjà formés au niveau agronomique. Mieux, ces couveuses d’activités permettent aux candidats à l’installation de travailler durant 1 à 3 ans « en situation » avant de se lancer – avec un soutien à tous les étages : agronomique certes, mais aussi et surtout sur la construction de leur projet, son dimensionnement, ses marchés potentiels, faire ses premiers pas dans la gestion comptable de son activité, etc. Le tout sans avoir la responsabilité d’une ferme sur les épaules. Ces futurs paysans sont incités parallèlement à chercher une ferme ou des parcelles adéquates.
« Les porteurs de projet doivent se former… à l’installation !, souligne Yannick Sencébé, chercheuse à l’INRAE et enseignante en sociologie rurale à AgroSup Dijon, cela devient une condition pour accéder aux terres. » Cela passe par des formations initiales et continues, mais aussi par le partage d’expériences et l’intégration dans divers réseaux. Dans ce domaine plusieurs options existent, telles que les Centres d'Initiatives pour Valoriser l'Agriculture et Milieu rural (CIVAM) : ces groupes d’agriculteurs, répartis sur tout le territoire, alimentent une dynamique collective d’entraide, de partage d’informations et d’innovations.
L'équipe des Hameaux Légers
En plus de l'apprentissage de la culture de la terre, les futurs paysans doivent se former à... l'installation en elle-même
De même, les séjours de woofing proposés par l’association WWOOF (Willing Workers on Organic Farms), qui s’adresse à des volontaires pour travailler au sein de fermes et de jardins biologiques, peuvent être précieux. Cet autre moyen de mieux connaître la profession, les fermiers, peut aussi déboucher sur des opportunités foncières. « Les néo-paysans des années 70 sont eux aussi passés par une période de travail agricole dans d’autres fermes, pour faire leurs preuves et surtout pour acquérir de la reconnaissance, glisse la sociologue d’AgroSup Dijon. Aujourd’hui c’est pareil ! »
Faire réseau et communauté
Ainsi, il n’existe pas UN parcours, chaque projet doit trouver des solutions particulières et diversifiées. Et ce parcours procède en réalité d’un chemin, d’un changement de vie chez les néo-ruraux. Il ne faut pas brûler les étapes, foncer sur les « solutions techniques » et « les financements », sans bien mettre à plat son projet. Le mûrir. Et se relier à d’autres, pour y réfléchir mais aussi pour créer de nouvelles dynamiques d’installation collective. Ou du moins en coopération. Apprendre à mutualiser les talents, les moyens, les opportunités. Savoir passer alors du « moi » au « nous ». Et faire communauté.
Il n’existe pas UN parcours, chaque projet doit trouver des solutions particulières et diversifiées.
Ainsi, pour mettre toutes les chances de son côté, il paraît indispensable de tisser des liens, faire du réseau comme dans d’autres secteurs, aller se confronter à des collectifs, interpeller les expériences, se faire épauler par des organisations d’accompagnement à l’agriculture paysanne. Et surtout passer du tableau Excel et des séances de brainstorming à des rencontres physiques avec la profession, le terroir, et le métier. Car la terre et le métier de paysan ce ne sont pas seulement des histoires d’argent, de circuits commerciaux ou d’outils de production. Ce sont aussi l’espace d’histoires, de parcours, de paysage, qui portent tous un enjeu affectif puissant.
Ainsi, dans sa recherche de fermes et de terres, n’oublions pas que les anciens agriculteurs demeurent attachés à leur outil de travail. Et qu’ils ne sont pas prêts, pour la plupart, à le vendre au premier venu sans savoir si celui-ci tiendra la route. Certains professionnels comparent volontiers le processus de transmission d’une ferme à un jeune « Non Issu du Milieu Agricole » à une véritable adoption.
Pour un démembrement
Pour autant, à terme, vu les besoins immenses de remettre des paysans dans les campagnes et en péri-urbain, les stratégies individuelles, et même collectives, ne suffiront pas. Dans un pays qui prétend s’alarmer de la disparition massive des fermes – souvent de tailles moyennes – imposer un parcours aussi chaotique aux candidats défie l’entendement. Que faire pour changer les dispositifs d’accès à la terre ? Et comment les faciliter ?
« Pour traiter la racine du problème il faudrait s’engager dans un démembrement ! » plaide Murray Nelson des associations Relier et Terre de liens dans l’Hérault. Il fait ici allusion au remembrement qui - des années 1960 aux années 1980 - a rassemblé les terres éparpillées pour constituer de plus grands « parcellaires » adaptés à l’agriculture industrielle, aux traitements chimiques et aux passage des machines. « Aujourd’hui il ne s’agit pas de revenir en arrière, ajoute ce bon connaisseur des enjeux du foncier agricole, mais, que les très grandes exploitations soient découpées pour les nombreux porteurs de projets qui aspirent à rejoindre le métier. Cependant la loi rend cela très difficile ! ».
Murray Nelson, Relier
Un démembrement permettrait de découper les très grandes exploitations pour les nombreux porteurs de projets qui aspirent à rejoindre le métier. Cependant la loi rend cela très difficile !
L’État rechigne toujours, en effet, à faciliter l’installation de plusieurs entités (au niveau juridique et agronomique) et des projets collectifs. Pour sortir de cette impasse, Yannick Sencébé suggère, par exemple, d’attribuer les aides européennes de la PAC (Politique Agricole Commune) à l’installation selon le nombre d’installés et non à la taille des exploitations ; d’augmenter aussi les retraites agricoles (afin de réduire les tentations spéculatives sur sa ferme) et de supprimer les aides PAC au-delà de 70 ans afin de favoriser la transmission. Autant de réformes profondes, radicales, qui, si elles étaient entreprises, demanderaient du temps de mise en œuvre. Raison de plus pour pousser à leur adoption !
Habitat réversible et hameau léger
Les futurs paysans, dans leur parcours d’installation, relèguent souvent leur recherche de logement au second plan, favorisant la quête d’une parcelle adéquate pour leur activité. Or, l’hébergement est un enjeu clé : « Les espaces ruraux offrent en réalité peu de locations : seulement 19% des logements. Et souvent l’emplacement n’est pas bon, ou les biens vacants ne sont pas remis en état ou pas mis à disposition », constate Raphaël Jourjon coordinateur du Réseau d’Expérimentation et de Liaison des Initiatives en Espaces Rural (RELIER). Depuis 35 ans, cette association met en lien, soutient et valorise les expériences originales d’installation et d’activité en milieu rural.
Outre les solutions pour se loger à plusieurs, type habitat participatif, une formule se développe : les habitats légers ou dits « réversibles » (yourtes, tiny houses, etc.), plus facilement déplaçables ou démontables. « La construction de ces habitats, moins couteuse, émet aussi moins de gaz à effets de serre qu’un bâtiment classique, plaident Michaël Ricchetti et Jean-Baptiste Marine de l’association Hameaux Légers. Elle préserve aussi la fertilité des sols (qui ne sont pas bétonnés), permet d’éviter le mitage des terres agricoles et de séparer la propriété de l’habitat de la propriété de la terre. Elle offre enfin la possibilité d’auto-construire plus facilement et une accession à un logement peu coûteux. »
Les habitats légers sont de mieux en mieux acceptés par les collectivités locales - même s’il reste du chemin à parcourir pour certaines. Et cela d’autant plus que la loi Alur sur l’immobilier, a reconnu ces formes d’habitat et a donné la possibilité d’en installer sur des terrains non constructibles, à condition qu’il y en ait plusieurs. Ce qui favorise, une fois n’est pas coutume, les projets collectifs ! L’association Hameaux Légers engage ainsi les porteurs de projets à développer des groupes d’habitats réversibles plutôt que des constructions isolées et individuelles, afin de mutualiser certains besoins et de s’entraider. Elle accompagne la constitution de ces collectifs, les aide à identifier les lieux propices et à s’y insérer, à faire le lien avec les mairies et collectivités, à choisir une structure juridique, mais aussi à concevoir et construire l’habitat. Avec en ligne de mire, un objectif : « être libres et autonomes ensemble ! ».
L.A
Aller plus loin
- Les podcasts de cette rencontre
- Une commune bretonne impose l’agriculture bio et paysanne à 400 propriétaires / Reporterre
- Néo-Paysans, le guide (très) pratique, par Sidney Flament-Ortun et Bruno Macias, éditions France Agricole, (3ème édition) mai 2020. Un panorama des métiers et des marchés agricoles, et un excellent guide sur toutes les étapes de l’installation en agroécologie (formation, construction de son projet, se tester, trouver de l’accompagnement, des financements, le bon territoire, du foncier, les premières étapes…)
Commentaires
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ACHAT DE TERRES
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Bonjour,
existe t il une forme d'achat (et location ou autre ....) de terre / fermes dans cet esprit de co produire ....
Avec cet état d'esprit nature écologie ....
J'avais entendu parler d'acheter des parcelles de terres (Ardèche) pour empêcher des installation de gros complexes, industries ....
Je suis preneur.
Bonjour,
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Convergences avec terre de Liens
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Merci pour cet excellent article. A Terre de Liens on se débat avec les problèmes que vous évoquez : transmission des fermes, porteurs de projet non familiaux, logement des fermiers, etc.
Bravo pour votre lettre d'infos, très encourageante et bien faite.