De la méthode avant toute chose
Écoravie est une communauté relativement importante – 40 personnes, 19 logements – au cœur de la Drôme provençale et remarquable dans bien des domaines : gouvernance, réduction de l’impact écologique, mutualisation des équipements... Les porteurs de projets qui souhaitent créer ou améliorer leurs écolieux trouveront ici des techniques fiables et facilement transmissibles. Est-ce pour autant l’oasis qui fait rêver ?
Crédits photo : Coopérative Oasis
En 2007, Claire cherche un terrain ou une maison à Dieulefit, mais ne trouve rien qui convienne. La seule parcelle disponible est trop grande pour elle et pour ses moyens. Claire décide alors de réunir un petit groupe qui, comme elle, n’a dans un premier temps d’autre souhait que de vivre sur place. L’idée d’un projet d’habitat partagé naît seulement dans un second temps. D’autres personnes intéressées se greffent au fil des réunions. Tous partagent une préoccupation, et même une revendication : favoriser un accès plus démocratique, moins coûteux, à un logement écologique. Les discussions vont bon train sur le thème de la spéculation immobilière qui empêche cette équité. Ils aimeraient démontrer qu’une alternative est possible, moyennant un rapport différent à la propriété. Leur projet est audacieux. Il ne les quittera plus et finira par se réaliser !
Aujourd’hui, douze ans après les premières rencontres et la création de l’association, l’essentiel de leur projet s’est concrétisé. Sur les 19 logements prévus, 12 sont achevés et déjà habités par 17 adultes et 14 enfants. Ces appartements se répartissent dans trois constructions dont la dernière est bien avancée. Plutôt que d’éparpiller de petites maisons individuelles sur cette grande parcelle – et de participer à l'étalement pavillonnaire – ces bâtiments collectifs offrent un atout indéniable pour l’emprise au sol, l’isolation et l’économie de matériaux. Tous les logements sont « passifs » : ils sont emmitouflés dans une isolation en paille et ouate de cellulose (40 cm d’épaisseur au total) et ne nécessitent aucun chauffage, si ce n’est pendant quelques jours au plus fort de l’hiver. Un puits canadien remonte l’air tiède du sol dans les habitations, complété par la chaleur du soleil qui, à travers les baies vitrées, chauffe le logement à l’automne et au printemps, tandis qu’une ventilation double flux utilise l'air (chaud) qui sort pour réchauffer l’air (froid) qui entre dans le logement. Un débord de toiture crée également de l’ombre en été. Ajoutons que l’ensemble est essentiellement fabriqué à partir de matériaux biosourcés [matière issue de la biomasse végétale ou animale, ndlr], dont le bois et la terre.
Sept fois moins d’électricité et trois fois moins d’eau
Cette conception écologique des bâtiments se retrouve directement dans la facture d’électricité des « Écoravissants », qui est sept fois moins élevée que celle d’un foyer de la même commune, Dieulefit. Mieux, au-delà de cette sobriété énergétique, l'écohameau produit plus d’énergie qu’il n’en consomme. Outre les panneaux solaires thermiques (qui chauffent l’eau), les trois toitures totalisent en effet 550 m2 de panneaux photovoltaïques.
Le collectif est aussi attentif à sa consommation d’eau : les appartements sont équipés de toilettes sèches à séparation : d’un côté l’urine est évacuée dans le réseau d’assainissement et de l’autre les fèces vont dans un seau. Elles sont asséchées par la ventilation. Cela empêche le développement des odeurs, sans adjonction de sciure, et amène une réduction du volume qui permet de ne changer le seau qu’une fois par mois environ, selon la composition du foyer. Le contenu des seaux est ensuite vidé par chaque foyer sur le compost prévu à cet effet dans une zone du terrain. Cet équipement, ajouté à l’absence de baignoire et à la récupération d’eau de pluie (citerne de 60 000 litres) génère une économie substantielle. La consommation d’eau d’Écoravie est ainsi trois fois inférieure à la moyenne nationale.
La mutualisation des équipements est aussi une source d’économie importante : l’écohameau ne paie qu’un seul abonnement d’électricité, trois abonnements internet (une box par bâtiment), un abonnement d’eau. « Ceux qui analysent leurs factures s’aperçoivent que ces dépenses sont pour moitié des frais fixes, dont l’abonnement. Se regrouper est donc très économique ! » explique Raphaël qui est impliqué dans plusieurs volets du projet, y compris la réception des factures. Les habitants mettent également en commun une buanderie pour chacun des trois immeubles (avec deux machines à laver le linge) un espace de rangements avec des rayonnages, un espace atelier par bâtiment, ainsi qu’un camion et une voiture accessibles à tous. De même, les jardins sont communs : personne n’a de jardin à soi, seulement une véranda et souvent un balcon ou une terrasse. Depuis le confinement, les habitants mutualisent aussi leurs courses alimentaires. Une épicerie interne a démarré et trouve ses marques : « Nous réalisons des achats groupés de produits secs type huile, biscuits, céréales, chocolat, farine, explique Florence, une habitante, et nous projetons d’installer des grands fûts pour acheter en vrac. Notre essai pendant le confinement a montré que les habitants sont intéressés. Néanmoins pour nous c’est aussi important de rester en connexion avec les commerçants, précise-t-elle, les producteurs, les maraîchers, les éleveurs. Nous souhaitons donc trouver un équilibre, à savoir cantonner l’épicerie surtout à ce qui coûte cher et qui est lourd à transporter. »
Crédits photo : Lionel Astruc
Maison commune et lien territorial
La démarche alimentaire d’Écoravie est néanmoins plus ambitieuse que ces courses communes. Onze poules donnent déjà des œufs aux Écoravissants, qui pensent pouvoir monter à 25 gallinacées. De même, un potager a démarré, préambule à un projet de permaculture – toujours en discussion –, même si les 8 000 mètres carrés de terrain ne lui seront pas entièrement consacrés. Il inclura des haies comestibles (amandes, noisettes, fruits rouges, etc.) ainsi qu’une production tournée vers les végétaux les plus nourrissants et les plus récurrents de nos assiettes : pois chiches, lentilles, patates, fruits secs, etc. Une perspective toujours nuancée par la nécessité de conserver un lien avec les fermiers des environs : « L’idée n’est pas de devenir autosuffisants ! », avertit Florence.
Pour se convaincre de cette volonté d’ouverture, il suffit d’interroger les uns les autres sur le projet de Maison Commune, qui est à la fois la dernière construction à réaliser pour que le lieu soit abouti, et celle qui suscite probablement le plus d’attentes. Bien sûr, cet endroit va permettre que les réunions ne se tiennent plus au coude à coude, en chaussettes, dans les appartements des uns et des autres. L’une des salles aura la bonne dimension pour les réunions régulières qui rassemblent jusqu’à 30 personnes. Mais la Maison Commune a surtout pour vocation de renforcer le lien avec le territoire et ses habitants. « Elle va accueillir des activités ouvertes sur le village, qu’elles soient culturelles, sportives ou autres. », explique Claire. C’est un lieu d’initiatives partagées, où il fera bon se retrouver autour d’un verre ou d’un repas, pour imaginer et réaliser des projets. L’association qui gèrera cette maison, appelée Casenvie, est déjà composée. Elle est ouverte aux personnes extérieures autant qu’aux habitants vivant sur place. Les plans sommaires de la construction montrent notamment une grande salle, un atelier de bricolage, une cuisine, etc. « Mais tout est encore possible ! » assurent les habitants du lieu.
Dissocier le montant des parts et le nombre de voix
Une fois ce décor dressé, une fois listés tous ces projets qui unissent les Écoravissants entre eux, difficile de ne pas s’interroger sur le contrat formel qui les lie et sur l’entente entre les membres. Comment gérer cet écohameau sans que certains désaccords ou conflits ne bloquent le projet ? Comment plus de quarante personnes peuvent-elles se mettre d’accord sans que ce processus ne suscite une inertie pesante ? Avant même d’évoquer les méthodes précises d’intelligence collective (lire l'article 2), la réponse à ces questions découle d’abord du montage juridique et financier très particulier. Il est le socle indispensable de la gouvernance partagée.
Crédits photo : Coopérative Oasis
Pour l’achat des terrains, le groupe s’était initialement constitué en Société Civile Immobilière (SCI). Puis en 2015, il a pris la décision de devenir une Société par Actions Simplifiées (SAS) coopérative à but non lucratif. « 29 adultes ont créé une trentième personne morale qui est une société coopérative et qui possède les murs et les terres » résume Raphaël. Le principal argument en faveur de cette transformation est d’inscrire le principe « 1 personne = 1 voix » dans les fondements de l’organisation. « Contrairement à la SCI où le pouvoir est proportionnel à l’apport financier et où l’objectif est de faire fructifier un capital, nous avons décorrélé le montant des parts du nombre de voix, explique Raphaël : chacun a une voix, qu’il ait investi 10 000 euros ou 300 000 euros. Cela affiche clairement la vocation désintéressée du projet ». Notons que tous les habitants sont également coopérateurs : ils ont investi une somme à partir de 10 000 euros, mais la moyenne est de 94 000 euros. Néanmoins les coopérateurs ne représentent « que » 40% du budget total du projet : 4,5 millions d’euros. Le reste est financé par une quarantaine de partenaires et amis investisseurs qui n’habitent pas sur place (ils totalisent 1,2 millions d’investissement) et par des subventions (cf. encadré chiffres). Enfin, ajoutons que le statut de SAS coopérative permet aussi à Écoravie d’avoir une activité économique, notamment la production et la revente d’électricité renouvelable.
L'écohameau : un bien commun ?
Écoravie dépasse donc les ambitions de la plupart des autres coopératives d’habitants et s’inscrit dans un projet d’intérêt général. Sa structure a été imaginée pour atteindre un objectif ambitieux : faire de cet écohameau un « bien commun », un habitat qui s'appartient à lui-même (à la coopérative) plutôt qu’à aucune personne privée sujette à la convoitise et tentée par l’augmentation des loyers. À terme, les habitants devraient pouvoir intégrer l’écohameau sans apport financier initial. Un avantage pour les petits budgets, qui ont déjà accès au lieu à partir d’un investissement très raisonnable (10 000 €), et que complètent les économies réalisées grâce aux équipements (eau, électricité…) et aux mutualisations décrites plus haut. Les Écoravissants concrétisent donc leur lutte contre la spéculation immobilière et pour un accès plus démocratique aux logements écologiques. En l’absence de propriétaires, les décisions liées à la vie de ces habitations (choix des locataires, réparations, aménagements, etc.) sont prises par les habitants (lire l'article 2). Ils gèrent eux-mêmes leur lieu de vie et prennent les décisions parce qu’ils habitent l’écohameau, et non parce qu’ils en ont la propriété. Autrement dit, ici le droit d’usage remplace la propriété. Puis quand ils partent, les ex-habitants n’ont plus de pouvoir, même s’ils laissent leurs parts sociales.
D’un point de vue juridique, les statuts sont en cohérence avec cette philosophie et rendent possible sa mise en pratique : la société Écoravie, a ceci de particulier qu’elle est une société à but non lucratif : 100 % des bénéfices sont placés dans des réserves impartageables (pas de distribution de dividendes). Les parts sociales ne sont donc ni rémunérées ni revalorisées dans le temps : chaque habitant repart (s’il le souhaite) avec les apports financiers qu’il a versés, il ne fait aucune plus-value. Le président, tiré au sort, est renouvelé régulièrement et a seulement un rôle de représentation ; il exerce ses fonctions à titre gratuit. Enfin, d’un point de vue financier, il s’agit, à terme, pour la société de rembourser tout l’argent qui a été nécessaire à la construction, y compris aux habitants. Une partie du loyer des habitants est destinée à constituer une réserve à cet effet. Ce remboursement s’effectue donc sur le long terme, afin qu’au bout d’un certain nombre d’années la société n’ait plus aucune dette vis-à-vis d’une quelconque personne privée.
Crédits photo : Coopérative Oasis
Sous contrôle
Les descriptions que je viens de faire montrent un aspect essentiel de ce projet : rien n’y est laissé au hasard, tout est conçu avec le souci du détail, porté par une forte ambition et en s’appuyant sur une technique, des méthodes précises suivies par tous, notamment pour la gouvernance et l’organisation. Du reste, les Écoravissants font fréquemment appel à un expert, pour des sujets aussi variés que l’intelligence collective, l’agriculture ou l’architecture. Rien n’échappe aux tableaux Excel, depuis les relations humaines jusqu’aux travaux. Ce fonctionnement nécessite beaucoup de discipline, un profond engagement de chacun, et de nombreuses et longues réunions pour éclairer la moindre zone de floue ou de confusion. « Quelqu’un avait pour habitude de glisser des plaisanteries pendant les échanges et ça déconcentrait tout le monde ; on lui a fait comprendre qu’il valait mieux éviter » se souvient une habitante, dévoilant le versant austère de cette communauté.
Cette obsession de la maîtrise de l’objectif commun distingue ce lieu de bien d’autres communautés rencontrées, souvent orientées vers une utopie, qu’elle soit politique, sociale, spirituelle, religieuse... Cette ambiance studieuse et formatée, ce côté « premier de la classe » paraîtra tiède et terne à ceux qui aiment sentir le vent de l’aventure, la rugosité de la lutte ou une communion politique ou spirituelle. Néanmoins la taille du projet, son état d’avancement, la réussite des différentes étapes et l’ambiance apaisée attestent de l’efficacité de la méthode. Le grain de folie qui manque ici est parfois, ailleurs, le grain de sable qui grippe les meilleurs rouages, la source des malentendus, des désaccords et des conflits, qui peuvent doucher les élans des débuts. Peut-être que la réussite d’un écolieu est une aventure moins romantique et excitante, moins spectaculaire, qu’on se l’imagine ? Une chose est sûre, les Écoravissants semblent goûter un bonheur serein et la satisfaction d’incarner une alternative sans dogmatisme, accessible à un large public.
Écoravie en quelques chiffres
- Habitants :
Actuellement 12 logements sont habités par 17 adultes et 14 enfants.
À terme, l'écohameau comportera 19 logements dans trois bâtiments occupés par une quarantaine d’habitants.
- Surface :
La Surface Utile d’Habitation actuelle est de 1 700 mètres carrés dont les 2/3 déjà achevés et 1/3 à terminer d’ici l’été 2021.
- Coût des constructions :
- Coût total : 4,5 millions d’euros tout compris (terrain, architectes, frais, constructions et maison commune),
- Coût au mètre carré : 2 500 € (légèrement supérieure au prix moyen du marché local actuel, mais pour une qualité bien supérieure !)
- Le prix de revient d’un appartement de 80m2 habitable +18m2 de terrasse et 18m2 de véranda est de 260 000 € (cela inclut la quote part du terrain, des communs, des frais, etc.)
- Le prix de revient d’un appartement de 50m2 est de 190 000 €
- Sources de financement :
- Apport des habitants : 40% du budget avec des apports variés allant de 10 000 € à 300 000 €
- Prêts : 500 000 € de prêt à taux zéro
- Subventions :
- 250 000 € sont donnés par les Caisses de retraite (CARSAT et RSI) qui cofinancent les logements dédiés aux seniors (8 appartements sur 19 sont accessibles sans marche),
- 45 000 € par la Fondation de France,
- Environ 100 000 € accordés par la Région pour les installations solaires thermiques et photovoltaïques,
- Investisseurs solidaires, non habitants : une quarantaine de personnes apportent au total, sous forme de prêt, 1,2M€,
- Économies d’énergie :
La consommation de sept foyers à Écoravie est aussi élevée que celle d’un seul foyer dans la même commune (Dieulefit).
- Production électrique :
Les toitures sud sont recouvertes de 550 m² de panneaux photovoltaïques. Une part de la toiture photovoltaïque est réservée à l’auto-consommation et l’autre alimente le réseau.
- Économies d’eau :
La consommation est 3 fois moins importante que la moyenne nationale.
- Frais :
Une fois additionnés, l’eau, l’électricité, la connexion internet, la taxe foncière, le ramassage des ordures ménagères et les frais de gestion de l’écohameau coûtent 87 € par mois pour un célibataire et 130 € pour une famille.
- Bénévolat :
Pour les chantiers participatifs de construction des bâtiments, le bénévolat extérieur a représenté sur l’année écoulée 1 869 heures de travail.
- Salariat :
La SAS emploie trois Equivalent Temps Plein (ETP)
La série “Tour de France des écolieux”, en libre accès, est produite par Colibris le Mag, en partenariat avec l’Agence de la Transition Écologique (ADEME).
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Commentaires
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ecoravie
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Belle exemple "du tout est possible quand on veut"
Chapeau à l'ensemble des acteurs de ce projet
Habitations pour des Electro Hyper Sensibles
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Bonjour, qu'en est-il pour des personnes très électro-sensibles ?
Des habitations seraient-elles envisageables pour des personnes E.H.S. ?
Electro Hyper Sensibles ?
Donc dans des parties Zones Blanches, sans pollutions électro-magnétiques.
(Pas d'antenne relais proche, pas de wifi, etc ).
Merci ! Bonne chance à vous !
De Nature protégée des électr-ondes
Bonjour, nous ne connaissons
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Bonjour, nous ne connaissons pas à ce jour de lieu spécifiquement installé en zone blanche, nous sommes désolés !
Félicitations
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Je connais bien la Drôme et Dieulefit, ravie de cette réalisation à cet endroit.
Bravo pour ceux qui ont lancé le projet, qui l'ont construit et continuent à le développer.
C'est trés réjouissant de lire cet article qui aborde à la fois les points forts du dispositif et ne cache pas les écueils et la nécessité de l'engagement au quotidien.
Bravo!