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Tribune de Laurent Marseault / Outil réseaux

"Faire sa part ne suffit pas"


Conférence de Laurent Marseault au domaine de Chardenoux en septembre 2017, dans le cadre du festival oasis


Laurent Marseault est secoueur de cocotiers, pompier volontaire et, pour beaucoup aujourd’hui, maître Jedi de la coopération. À l’occasion du Festival Oasis, qui a réuni fin septembre 2017 une soixantaine d’oasis, il a donné une conférence mémorable sur le pourquoi et le comment du travail en réseau. Colibris de tous les pays, accrochez-vous !




Tout le monde connaît la légende du Colibris et son invitation à "faire sa part". Elle est simple, à la mesure de ce que peut et veut chacun et, depuis 10 ans, elle donne envie à des milliers de gens de s’impliquer. Cependant, il faut avoir le courage de reconnaître que "faire sa part" ne suffit pas. Si chaque colibri aujourd’hui en France met sa petite gougoutte dans l’incendie… ça ne l’éteindra pas. Et pour cause : il n’y a pas qu’un incendie et il n’y a pas que des colibris.

Mais au fait, de quel incendie parle-t-on ?

Avant de s’engager, chaque citoyen devrait se poser deux grandes questions. La première : pour quelle cause est-ce que je m’engage exactement ? On a souvent l’impression d’être d’accord avec ceux qui se mobilisent à nos côtés parce qu’on se retrouve dans un même lieu - un jardin partagé, une école alternative, un café associatif... Mais il suffit de creuser les intentions en chacun et ne serait-ce que demander à voisin - « Pourquoi tu te bats toi, au fait ? » - pour se rendre compte qu’à bien y regarder, on n’est pas tous là pour la même chose.

Chez les colibris comme chez tous les acteurs de la transition, tout se passe comme s’il y avait un seul et même grand incendie, c’est-à-dire un seul et même grand combat. Mais c’est faux ! Il y a plein d’incendies différents, c’est-à-dire que toutes les structures de la transition ne s’attaquent pas aux mêmes problèmes, même si elles en ont souvent l’impression. 

Un réseau ne pourra être efficace qu’une fois qu’il aura identifié précisément l’incendie qu’il voudra éteindre. Dans le cas des oasis de Colibris par exemple, l’incendie en question, on peut dire que ce sont les ravages de l’habitat individualiste et consommateur en énergie tel qu’il domine aujourd’hui.

Une fois l’incendie identifié, une fois qu’on est sûr qu’on se mobilise pour la même chose, il faut se demander : sommes-nous les seuls à mener ce combat ? La réponse est forcément non, bien entendu. Le travail doit donc toujours être fait, de recenser au préalable toutes les autres structures qui s’engagent autour d’un même incendie. Alors seulement, il est possible d’envisager ce qu’on appelle communément le travail en réseau.

Le réseau se décline à différentes échelles

Le réseau, s’il est bien animé et bien géré, permet d’avoir des actions concertées et cohérentes pour éteindre plus efficacement un incendie. Mais en quoi cela consiste-t-il exactement, le travail en réseau ?

Le réseau n’est pas une entité plane horizontale ; il se tisse à différentes échelles. La collaboration s’effectue à chacune de ces échelles et de façon différente. Si l’on prend l’exemple des oasis, travailler en réseau, c’est travailler ensemble :

  • au sein même d’une oasis entre les membres du collectif ;
  • au sein du réseau des oasis, entre toutes les oasis ;
  •  au sein du réseau des écolieux, entre le réseau des oasis, celui des habitats participatifs, celui des tiers-lieux, celui des ressourceries… ;
  •  au sein du réseau de tous les autres acteurs de la transition qui s’engagent autour de la notion d’habiter autrement le territoire (quartiers en gestion citoyenne, oasis éphémères…).

La porosité ou le désert

Un réseau peut être fermé et fonctionner en circuit clos si sa raison d’être le justifie. C’est ce qu’ont pu faire les réseaux de résistance pendant la guerre, par exemple. Si l’on veut que le réseau soit ouvert, si rien ne justifie de travailler caché, il faut veiller à bien faire circuler les flux sortants et entrants, au risque sinon, de finir par faire un désert autour de soi. 

À toutes les échelles précédemment identifiées, il s’agit donc d’abord de donner de la visibilité à ce que l’on fait et produit. Non pas par de la matière brute et indigeste mais au travers d’une synthèse exploitable. Ce flux sortant permet de créer du commun et de transmettre des compétences aux autres acteurs du réseau.

À toutes les échelles, il s’agit également de reconnaître, de recevoir et de se laisser inspirer par ce que font et produisent les autres structures. Pour cela, pas de mystère, il suffit de pratiquer l’écoute apprenante. Qu’est-ce à dire ? Prenons l’exemple d’une oasis juste à côté de la mienne qui fait de l’accueil gratuit alors que les stages que je propose sont payants. Plutôt que de se dire qu’elle plombe la cause en faisant du dumping, le travail en réseau consiste à partager avec elle ce qui marche chez moi et à voir si je ne peux pas appliquer ce qui fonctionne chez elle. En reconnaissant que les deux structures œuvrent différemment mais de façon complémentaire...

Idem à l’échelle du réseau oasis. S’il veut travailler avec le réseau de l’habitat participatif, le réseau oasis doit pouvoir lui diffuser tout ce qui marche en interne et reconnaître tout ce qui, de l’autre côté, peut être bénéfique pour lui. Et ne surtout pas entrer en concurrence ou penser que les pratiques d’en face sont de toute façon vouées à être remplacées par les siennes propres.

Nous sommes là au cœur de la notion de porosité qu’implique un réseau. L’enjeu est d’accepter qu’il y a des choses que l’on fait en partie pareil et des choses que l’on fait en partie différemment. Cette posture légitime la place de l’autre et permet de se mettre en respiration avec ceux qui sont autour de soi. Cela requiert une bonne dose d’assurance… et d’humilité.

La tragédie LSD

Aujourd’hui, plusieurs gros silos sont en train d’inventer des mondes alternatifs. À eux trois, ils jouent le fameuse tragédie du LSD :

  1. Les Libristes, qui défendent le libre au cœur du numérique (Wikipedia, Framasoft, Openstreetmap…)
  2. Les Solidaristes qui s’emparent des questions d’inégalités sociale et d’accueil (Emmaüs, la Croix Rouge…)
  3. Les Durabilistes qui se penchent davantage sur les questions écologiques (Greenpeace, Colibris, la FNH…)

Chacun de ces mondes a des forces et des faiblesses. Les libristes ont des modes d’organisation extrêmement pertinents. À beaucoup, à distance et avec peu de moyens, ils arrivent à être efficaces et à créer du commun de façon spectaculaire. Leurs faiblesses ? Un manque, parfois, de vision du monde de demain. Les solidaristes, eux, ont de la profondeur historique et culturelle. Ils ont de solides références théoriques, s’ancrent dans une histoire politique marquée et sont très précis dans les termes. Ils peuvent néanmoins avoir gardé des modes de fonctionnement parfois obsolètes. Les durabilistes enfin sont très bons en terme de méthode (gouvernance partagée, outils d’animation et de coopération...). Ils parviennent aussi à porter un message attractif auprès d’une large partie de la société. Ils véhiculent toutefois des connaissances qui peuvent être dépassées et s’appuyer sur des raisonnements considérés comme simplistes – du type : « les circuits courts et la bio peuvent résoudre le défi de l'alimentation mondiale ! »

Le Festival Oasis de septembre 2017, un moment fort du réseau des oasis

L’archipel pour horizon

Bien sûr, quand mon réseau fonctionne bien (une fois encore, à toutes les échelles), j’ai l’impression que je sais tout faire et que si tout le monde fait comme moi, l’incendie s’éteindra. Cela s’entend aussi pour le Mouvement Colibris, qui peut parfois donner l’impression, en arrivant sur une thématique, de prendre toute la place et de ne pas considérer ce que font ou ont fait avant lui les autres structures.

L’idée de l’archipel, à l’inverse, consiste à dire : « Nous, les durabilistes, voilà ce qu’on fait et ce qu’on fait très bien (méthodo, pédagogie…). En revanche, on peut avoir intérêt à aller voir les solidaristes qui sont en train de travailler à fond sur les nouvelles formes de démocratie. Nous on y connaît rien pour l’instant, venez nous expliquer...  » C’est exactement ce qu’a fait Colibris en se rapprochant de Framasoft. Ces libristes ont alors accompagné les colibris pour qu’ils puissent héberger eux-même leurs outils libres.

Cette démarche renvoie à ce qu’Édouard Glissant appelle l’identité racine et l’identité réseau. L’identité racine est la mienne, celle qui a présidé à ma création et qui fait que je suis singulier - l’identité durabiliste, par exemple. L’identité réseau, ce sont les valeurs partagées, ce qu’il y a de convergent entre toutes les identités des structures qui veulent travailler ensemble. Disons, par exemple, les valeurs humanistes.  

Ainsi, dans un réseau comme dans un archipel, il y a des îles très proches, avec lesquelles la collaboration est intense et la communauté de valeurs très forte. Et il y a des îles beaucoup plus lointaines, avec lesquelles on travaille plus ponctuellement, mais qui restent dans notre réseau via un socle commun minimal de valeurs. Dans chaque réseau, il y a des passeurs, des personnes qui vont régulièrement alerter en disant : « Là, vous parlez du nouveau rapport aux élus, mais il y a déjà 30 groupes constitués qui bossent sur le sujet ». C’est lui, le chieur bien souvent, qui permet la perméabilité et l’archipel. À bon entendeur...

 

POUR ALLER + LOIN

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Bonjour,

Ce texte est une bouffée d'oxygène et ouvre la possibilité de futures coopérations réticulaires.
Depuis presque dix ans, "Faire sa part ne suffit pas", on nous reprochait cette critique au mouvement Colibri.

A nous de bâtir ensemble une société où sera posé le sens des limites pour mener des vies simples sereines dans des communautés diverses, dans un environnement sain.
Bref un engagement commun vers des sociétés humainement décentes, écologiquement soutenables et démocratiquement organisées.

Thierry Brulavoine 02 99 93 77 18 (56 Béganne)
Maison commune de la décroissance
http://ladecroissance.xyz/2017/12/20/la-charte/