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"Le changement de PAC est entre les mains des États, mais aussi des citoyens…"

Entretien avec Samuel Féret

Par Vincent Tardieu / Colibris - 21 avril 2017


Formé à la sociologie et à l’agriculture biologique, Samuel Féret a accompagné différents groupements d’agriculteurs dans les années 1990 et 2000. Après avoir coordonné la plateforme PAC 2013 associant plusieurs organisations agricoles et citoyennes françaises, il a œuvré au sein de la convention agricole et rurale ARC2020 au plan européen. Il préside aujourd’hui le Groupe de Bruges, un think tank européen sur les politiques agricoles et rurales. Il interviendra durant notre débat sur la PAC à Nantes, le 29 avril, et nous apporte un éclairage précieux à l’heure où la Commission européenne vient de lancer une grande consultation citoyenne sur la prochaine PAC, intitulée « modernisation et simplification de la politique agricole commune ».



– Quelles sont les intentions initiales de la PAC (politique agricole commune) ?

La PAC a été créée après-guerre dans un contexte de reconstruction de l’Europe, et notamment de ses capacités à alimenter ses populations. Les ministres de l’Agriculture mettent alors en place, dès 1962, les premières organisations communes des marchés agricoles qui fixent chaque année des prix garantis très incitatifs aux producteurs et sécurisent en partie leur activité. Parallèlement, des droits de douanes aux frontières extérieures de la Communauté économique européenne (CEE) sont instaurés pour accorder une préférence communautaire. Dès 1968, le Commissaire européen à l’agriculture, Sicco Mansholt, plaide pour que la PAC ne se limite pas à soutenir les prix payés aux producteurs mais qu’elle accompagne également leur « modernisation ». Et cela en favorisant les grandes exploitations, les plus mécanisées et les plus intensives. Si à l’époque son mémorandum n’est pas accepté, sa ligne de développement de l’agriculture va pourtant triompher au fil des ans en Europe.

Un verdissement de la PAC à la marge

– Aujourd’hui, la PAC se trouve contestée de toutes parts : par les États européens les plus libéraux, qui réclament une baisse drastique de son montant et une dérégulation quasi totale des marchés agricoles ; mais aussi par de nombreux agriculteurs et citoyens qui contestent son caractère inéquitable, la disparité des réglementations entre États, et le manque de soutien à l’agriculture écologique. Est-ce que la PAC actuelle (2014/2020) apporte des avancées en matière écologique et sociale ? 

Oui, même si l’on peut regretter qu’elle n’aille pas assez loin dans ces directions. En permettant aux États membres de cibler certaines aides directes aux producteurs – ce que l’on appelle le premier pilier de la PAC – vers ceux qui protègent mieux l’environnement, mais aussi en donnant la possibilité de soutenir davantage les fermes modestes, on va dans le bon sens. De même, chaque État peut transférer une partie de ces aides directes vers celles au développement rural (le deuxième pilier de la PAC) avec des mesures de soutien à la bio, à l’agriculture de montagne et de proximité. Toutefois ces avancées dépendent de la bonne volonté des États eux-mêmes, qui peuvent les accentuer ou les freiner.

Crédits : Rodho

Il y a bien un socle commun pour « verdir » la PAC – à la marge – et la rendre plus équitable, mais ce socle prend la forme d’un menu de restaurant où chacun peut choisir ce qu’il retient comme entrée, plat principal et dessert, et la façon dont il va les cuisiner. Avec 28 États membres, des paysanneries et des sensibilités politiques très différentes, il est devenu difficile de satisfaire tout le monde : la dernière réforme consacre alors une PAC à la carte ! Plus que jamais maître à bord, chaque État a négocié ce qu’il voulait retrouver dans ce menu, afin de faire sa propre cuisine…

« La dernière réforme consacre une PAC à la carte, où chaque État peut choisir ce qu’il retient comme entrée, plat principal et dessert, et la façon dont il va les cuisiner ! »

Rappelons qu’en 2011, on observait qu’environ 80 % des agriculteurs bénéficiaient de seulement 15 % des aides distribuées, alors que moins de 2 % des bénéficiaires se partageaient quelque 30 % des aides ! C’est dire le niveau d’iniquité persistant de la PAC. En France, sous ce quinquennat, il y a eu des avancées significatives, notamment en redistribuant certaines enveloppes aux fermes de tailles petites et moyennes (dès les premiers hectares). Mais ces avancées sont d’ampleur modeste : si les arbitrages rendus par le président Hollande en octobre 2013 prévoyaient de mobiliser 20 % des aides PAC pour ces fermes en 2018, le compteur est resté bloqué à 10 % depuis 2016, sur la pression du syndicat majoritaire (la FNSEA)…

Quant au verdissement, il y a aujourd’hui un sacré paradoxe : on se retrouve avec une Commission européenne qui, sous l’insistance des associations écologiques, demande aux États membres d’aller plus loin dans cette direction, en excluant par exemple les traitements par pesticides des « surface d’intérêt écologique » (celles comptant des légumineuses enrichissant les sols, des bandes fleuries, des haies, des plantations d’arbres…), lesquelles doivent constituer 5 % des exploitations. Or, jusqu’ici, aucun État n’a décrété exclure les traitements par pesticides de ces espaces « écologiques » ! Même en France où le Ministre Le Foll a soutenu l’agroécologie.

LES DEUX PILIERS DE LA PAC

Créée en 1957 et mise en place à partir de 1962, la PAC a, depuis, beaucoup évolué. Elle repose sur deux piliers d’aides financières. Le premier est constitué par des mesures de soutien à certains marchés et surtout une aide directe aux producteurs (ou DPU), calculée en proportion de la surface possédée au cours d’années de référence (entre 2000 et 2002) et secondairement de son niveau d’activité effective. Conséquence : un simple propriétaire de terres agricoles (ou un fonds financier français ou étranger, en laissant 1% du capital d’une exploitation à l’agriculteur d’origine) peut percevoir des aides sans produire pour autant des biens agricoles… Le 1er pilier mobilise environ 70 % de l’enveloppe de la PAC, laquelle s’élève à 40 à 60 milliards selon les années.

Le seconde pilier est un soutien au développement rural (2ème pilier), à travers des mesures financières agro-environnementales, d’aide aux agriculteurs pour moderniser leurs exploitations (équipements) et à devenir plus compétitifs tout en protégeant l’environnement, et en faveur des activités menées en zones défavorisées, comme l’élevage de montagne. C’est dans ce cadre du 2ème pilier que s’effectuent les aides à la conversion et au maintien de l’agriculture biologique.

– Est-ce que l’on peut vraiment réformer cette PAC dans une Europe aussi libérale où les lobbies de l’agriculture industrielle et chimique sont si puissants ?

Il est indubitablement compliqué de réformer la PAC. À la fois à cause des rapports de forces politiques en Europe et de la diversité des attentes nationales de cette Union à 28 pays, mais aussi du fait de la lourdeur des procédures de négociation européenne et de la complexité des sujets mis en débat par cette politique agricole.

Sur le volet des marchés, on peut parvenir à faire adopter des règles communes, mais sur les itinéraires et les organisations du travail agricoles, c’est beaucoup plus délicat. Car, disons les choses, les négociateurs des 40 à 60 milliards d’euros d’aides européennes constituant le budget de la PAC, selon les exercices, sont de fait les bénéficiaires de ces aides. Et cette réalité économique et politique tronque l’intérêt général, en matière de biens communs tels que les ressources naturelles (eau, biodiversité, air…). Dit autrement, ce mécanisme de négociation permet aux lobbies agricoles de peser bien davantage que celui des scientifiques, des associations de protection de l’environnement, ou encore des consommateurs pour le coup bien peu mobilisés sur la PAC. Il y a là une grande différence avec la négociation de la politique commune des pêches où la prise en compte de l’état de stocks est bien meilleure que celle de la santé des sols, des nappes ou de la biodiversité rurale pour la PAC. Le jour où ces biens communs seront établis par un forum scientifique indépendant des États et pris en compte réellement, la PAC pourra être réformée d’une manière plus ambitieuse.

Centre agroécologique des Amanins, Drôme (crédit : Patrick Lazic)

Réinventer la PAC ou s'en passer ?

– Si demain, j’enlève la PAC : quels sont les impacts et pour quels agriculteurs ? 

Disons d’abord que ceux qui, comme le Front National, assurent qu’en nationalisant la PAC on soutiendra bien mieux nos agriculteurs sont d’une grande malhonnêteté. Ne serait-ce parce que les marges de manœuvre offertes par l’Union européenne sont bien supérieures à celles que nous pourrions mobiliser à l’échelle strictement nationale. Je rappelle que la France est le principal bénéficiaire de la PAC (16,6 % des montants versés en 2016), suivie par l’Espagne (11,9 %), l’Allemagne (11,1 %) et l’Italie (10,4 %). Si d’aventure la France devait soutenir seule et au même niveau les agriculteurs, il faudrait que l’État débourse chaque année environ 9 milliards d’euros… Pourrait-elle le faire ? Sans compter que la PAC s’inscrit dans un marché commun, sans droits de douane, de quelque 500 millions de consommateurs… Ce qui bien entendu changerait en cas de sortie de l’Europe agricole et pénaliserait la vente des productions qui s’exportent, en partie, non seulement vers les pays européens mais aussi vers plusieurs pays tiers (Corée du Sud, Mexique, etc.), du fait des accords commerciaux signés par Bruxelles au nom de l’Europe.

Après, oui, il faudrait repenser la répartition des différentes aides européennes, en rehaussant la part qui va aux aménagements et développement des régions, ou encore à la recherche, au dépend de l’enveloppe pour l’agriculture seule. Pour autant, je ne crois pas du tout à une disparition brutale des aides agricoles communautaires, même si c’est un débat récurrent depuis vingt ans. Et cela même si celles-ci continueront à baisser. Il va alors falloir apprendre à vivre et à se développer avec moins d’aides. À développer donc une agriculture plus autonome et résiliente, ce qui est globalement une bonne chose. Mais disons le clairement : si l’on supprimait toutes les aides de la PAC, il y aurait beaucoup de casse sociale et la disparition d’une majorité de fermes, notamment dans l’élevage[1]. Même en agriculture biologique, où les producteurs perçoivent des aides vitales, dans une moindre mesure que les autres toutefois. Les secteurs les moins touchés seront ceux où les producteurs perçoivent peu d’aides de la PAC (pour les fruits et légumes, les productions hors sol ou la vigne).

« Si l’on supprime toutes les aides de la PAC, il y aura beaucoup de casse sociale et la disparition d’une majorité de fermes, même en bio ! »

– En les rémunérant mieux, avec des prix d’achats supérieurs et des cours stables, les producteurs ne pourraient-ils pas se passer de ces aides publiques ?

Oui et non. Si l’on redonne davantage de valeur à l’alimentation, en renchérissant les aliments, cela pourrait améliorer leurs revenus. Et c’est souhaitable. Mais, au-delà des aides, une intervention publique demeure nécessaire à deux niveaux. D’abord pour réorienter la manière dont on produit, distribue et consomme les aliments. En particulier, si l’on veut aider les agriculteurs à adopter des modes de productions plus écologiques, il faut les inciter et les accompagner dans cette phase de transition toujours délicate, durant laquelle leur rendement peut baisser. Et pour laquelle, l’agriculteur doit se former, expérimenter et améliorer peu à peu son itinéraire de production.

Ensuite, pour maintenir une activité et des productions sur à peu près tout le territoire national, il faut bien compenser les contraintes et les déséquilibres naturels, en terme de reliefs, d’expositions, de sols…

Mieux aider la transition agroécologique

– En écho avec le débat actuel sur le revenu de base ou universel, celui-ci ne pourrait-il pas remplacer les aides de la PAC et offrir davantage de liberté aux agriculteurs pour tenter des modes de production plus écologiques et moins intensifs ?

Je n’ai pas de visibilité là dessus. En revanche, c’est une piste qu’il faut clairement explorer, de même que d’autres instruments financiers pouvant soutenir les revenus des paysans. Notamment autour de cette prise de risque à la conversion agroécologique. Mais il faut la qualifier précisément car il ne faudrait pas être amené à soutenir n’importe quelles prises de risque, notamment pour aller sur les marchés export ou autre. Ce qui n’ira pas nécessairement dans le sens des biens communs.

Par ailleurs, avant toute disposition nouvelle sur le revenu universel et autres, il convient d’examiner la nature même du revenu agricole. Car il y a de grandes disparités sur ce qu’il recouvre d’un pays à l’autre. Sans parler des nombreuses dispositions en France permettant non pas des niches fiscales mais carrément des « hangars fiscaux » afin de réduire son impôt lorsqu’on minimise ses revenus… Donc, si nos agriculteurs ont un revenu moyen inférieur à celui de leurs collègues européens, leur niveau de patrimoine (bâti et foncier) est, lui, bien souvent supérieur ! Bref, sur ces sujets, il faut apporter de la clarté et de l’équité en Europe.

Association de cultures en permaculture, Ferme du Bec Hellouin, Eure (crédits : Fanny Dion)

–  Vous suggériez de réorienter les montants de la PAC sur un meilleur soutien au développement des territoires ruraux. Plus globalement, ne faudrait-il pas repenser la PAC dans le sens d’une Politique Alimentaire Commune assurant une alimentation de qualité et écologique ?

Pour redonner du souffle et une légitimité à la PAC, il va falloir, vous avez raison, bien mieux expliciter les enjeux de qualité et de sécurité alimentaires. Et surtout renforcer ce couplage entre alimentation et agriculture. Car si l’on transformait demain la PAC en politique strictement alimentaire nous pourrions nous retrouver dans une situation où ce sont l’industrie agro-alimentaire et les négoces qui mènent seuls la danse en Europe, avec un désengagement des États membres en faveur de nos agriculteurs et des productions nationales. La PAC deviendrait alors un instrument de régulation des marchés et favoriserait les importations d’aliments. Je ne suis pas sûr que nous serions gagnant à l’arrivée…

Ce ne sont pas les aides directes du premier pilier qui vont nous aider à mieux intégrer la question alimentaire dans la PAC. Mais deux instruments clés que les États et les acteurs agricoles doivent actionner : d’une part le règlement de l’organisation commune des marchés, qui confie aux groupements de producteurs et aux interprofessions de nombreux rôles en matière de régulation de la production et de la commercialisation, d’amélioration de la qualité et de l’environnement, mais aussi pour lutter contre le gaspillage alimentaire ; d’autre part, le règlement du développement rural (le second pilier de la PAC). Celui-ci peut bien mieux accompagner cette transition agroécologique jusque dans les systèmes agro-alimentaires pour la mise en place d’un véritable système alimentaire durable. Ces systèmes doivent prendre des formes variables selon les territoires, pour coller aux réalités de productions et de besoins alimentaires. Il faut donc territorialiser cette approche, avec tous les acteurs locaux, y compris bien entendu les associations de consommateurs.

Rien ne nous empêche de développer dans le même cadre de la PAC des politiques fortes en faveur de l’aide alimentaire pour les plus démunis ou de lutter contre le gaspillage alimentaire. C’est d’ailleurs l’interpellation qu’a faite la Cour des comptes européenne il y a deux mois en pointant le gaspillage élevé au niveau des productions agricoles et de la pêche, et le fait que la PAC ne fait rien sur le sujet.

« Si l’on réduit les aides à l’hectare, on stoppera cette course à l’agrandissement des fermes et on améliorera l’accès des jeunes aux terres agricoles. »

– Deux autres questions sont mal traitées dans la PAC, celle de l’installation des nouveaux agriculteurs et de l’artificialisation des terres agricoles, par l’urbanisme notamment. Est-ce que la PAC pourrait mieux les prendre en compte ou celles-ci relèvent forcément des États, voire des collectivités locales ?

Disons d’emblée que les approches purement financières, sous forme d’aides, qui prévalent pour favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs ne suffisent pas. Il faut intervenir directement au niveau de la gestion des terres agricoles, qui ne peuvent pas se limiter à la propriété ou au fermage [location] classiques. De ce point de vue l’association française Terre de Liens et son réseau européen Access to Land mettent en avant des propositions innovantes de gestion collective des communs [foncier appartenant à la collectivité], en plus de l’intervention citoyenne proposée avec des achats collectifs de terres et un fermage citoyen.

On doit aller encore plus loin. Même si la gestion du foncier demeure une compétence nationale, il faut envoyer un signal fort aux agriculteurs et au marché du foncier agricole en Europe en baissant progressivement de moitié – sur sept ou huit ans, par exemple – le montant des aides directes à l’hectare. Plusieurs études ont montré, en effet, que les aides actuelle de la PAC se capitalisent dans la terre et accentuent la rente foncière. Or, si l’on baisse l’aide à l’hectare, on atténue mécaniquement le prix du foncier agricole… Grâce à cette baisse, on stoppera la course délétère à l’agrandissement des exploitations et à l’augmentation des aides directes (DPU). On rendra du même coup le marché foncier plus accessible aux jeunes qui cherchent à s’installer[2]. Il y a donc bien un lien entre la PAC qu’il faut réformer et ce nécessaire soutien à l’installation agricole. Toutes ces réformes, urgentes, relèvent en définitive de la volonté politique des États. Et de la mobilisation des citoyens !


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Lectures

Sur le Web



  1. Sans les aides de la PAC, 54 % des exploitations agricoles françaises auraient eu un résultat négatif en 2015 – ce taux de résultat négatif est ainsi ramené, grâce aux aides, à15 %.
  2. Avec 40% des agriculteurs devant partir en retraite d’ici 2020, l’enjeu de la transmission des terres et du renouvellement de l’activité est énorme.



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