Comment les technologies du passé peuvent-elles éclairer notre avenir ?
Cet article est initialement paru le 25/07/2011 sur internetactu.net
La haute technologie est-elle une voie sans issue pour résoudre les problèmes auxquels notre société est confrontée ? Comment peut-on utiliser les technologies du passé pour résoudre les problèmes de demain ? C’est la question qu’a relevé Kris de Decker de Low Tech Magazine et No Tech Magazine.
Le plus souvent, pour concevoir une société durable, on ignore les technologies anciennes. On s’en moque. On regarde de haut les technologies de nos ancêtres. Mais ce dédain n’est pas toujours justifié, car la haute technologie n’a pas le monopole des technologies innovantes, rappelle Kris de Decker. Le télégraphe optique permettait d’envoyer des messages textuels à travers toute l’Europe à une vitesse de 1200 km/h, sans électricité. “Je ne viens pas vous dire qu’il faut remplacer l’internet par le télégraphe optique, mais pour vous montrer que les anciennes technologies recèlent peut-être des solutions pour l’avenir”.
Kris de Decker évoque alors une technologie de construction qui date de plus de 700 ans permettant de bâtir des voûtes avec des tuiles et d’économiser beaucoup d’énergie dans la construction. Cette technologie a récemment été réutilisée dans la construction d’un musée en Afrique du Sud, pour bâtir une structure légère et très isolante. On peut donc utiliser d’anciennes technologies avec de nouveaux matériaux ou adapter d’anciens concepts à des technologies modernes.
Pour Kris de Decker, notre approche actuelle de la technologie est vouée à l’échec parce qu’elle dépend énormément des carburants fossiles. Certains envisagent même d’utiliser l’ingénierie la plus sophistiquée pour combattre le réchauffement climatique par exemple… (voir le dossier : Géo-ingénierie, l’ultime recours ?) Mais surtout, même les technologies durables qu’on envisage pour remédier au problème énergétique ont besoin d’énergie fossile pour fonctionner et être fabriquées. Le silicium des panneaux solaires, les structures en aluminium des éoliennes, les voitures électriques… la plupart des technologies vertes sont énergétiquement coûteuses à fabriquer. Il faut beaucoup de chaleur pour fabriquer l’acier et le silicium qui les composent. Les panneaux solaires ont une durée de vie limitée, les piles de stockage des énergies renouvelables également. « Nous allons donc avoir besoin de carburant fossile pour faire fonctionner une société fondée sur les énergies renouvelables. Ce qui signifie que les coûts de production des technologies écologiques vont croitre avec l’explosion des coûts des carburants fossiles. » Les écotechnologies reposent trop souvent sur des mythes, dénonce le journaliste.
L’efficience énergétique, en fait, ne nous fait pas économiser d’énergie (voir L’efficience énergétique est un leurre). La plupart du temps, elle entraine au contraire une plus grande consommation énergétique. Si on regarde l’histoire de l’automobile, on constate qu’on n’a pas construit de voitures plus efficaces énergétiquement que la 2 CV de Citroën, inventée il y a 60 ans, estime Kris de Decker. « En fait quand on y regarde de plus près, elle consommait moins que la plus petite voiture actuelle du même fabricant. Certes, nos moteurs actuels consomment moins, mais on a ajouté de la vitesse, du poids, du confort, de l’électronique… En terme de consommation kilométrique, on n’a pas fait de progrès. » Nous ne saurions pas produire de 4×4 sans les progrès de l’efficacité des moteurs. Au final, nous n’avons pas fait d’économie d’énergie. Certes, l’efficience énergétique apporte beaucoup d’avantages : elle nous permet de conduire des voitures plus grandes, plus rapides, plus confortables d’avoir accès à des ordinateurs plus puissants et plus nombreux… « Mais nous sommes toujours autant si ce n’est plus dépendants des carburants fossiles », alors qu’on devrait l’être moins.
« En changeant notre mode de vie, nous pensons souvent que nous allons être contraints de retourner à des modes de vies moins confortables. Mais ce n’est peut-être pas le cas. Peut-être qu’il faut seulement essayer de trouver une technologie plus raisonnable. Un moteur d’aujourd’hui dans une 2 CV d’antan serait la voiture la plus économique du monde et serait certainement même plus efficace que les voitures électriques. Certes, nous ne pourrions peut-être pas aller plus vite qu’à 60 km/h, ce qui est plus lent que les technologies d’aujourd’hui, mais qui reste plus rapide que la marche à pied à laquelle nous serons peut-être réduits un jour si rien ne change. »
On peut bien sûr appliquer ces stratégies à d’autres technologies que la voiture, estime Kris de Decker en poursuivant sa démonstration.
On peut ainsi apprendre beaucoup de la production et du stockage de l’énergie avant la révolution industrielle. A partir de 1100, l’Europe est devenue la première civilisation à utiliser les moulins à eaux et à vent à une grande échelle, et ce, jusqu’au début de la révolution industrielle : on a compté jusqu’à 200 000 moulins à vent et 500 000 moulins à eau. A partir de 1600, les usages de ces moulins (qui servaient surtout à moudre du grain et pomper de l’eau) se sont diversifiés. On les a utilisés pour couper du bois, faire du verre, du papier, des tuyaux… On a recensé plus d’une centaine de processus industriels alimentés par le vent ou l’eau fin XVIIIe.
Le problème de ces formes d’énergie repose sur le stockage. Ces formes d’énergie ne sont pas continues. Au Moyen Age, l’une des solutions consistait à utiliser une autre forme d’énergie comme la puissance animale pour faire actionner les roues quand l’eau ne coulait pas ou le vent ne soufflait pas… Mais les animaux ont besoin d’aliments et de terre agricole ce qui nécessite plus d’animaux encore et plus d’énergie ce qui explique ce cette alternative n’ait été utilisée que pour l’alimentation.
Nos ancêtres utilisaient une autre stratégie : ils stockaient le travail plutôt que l’énergie. Ils n’avaient pas besoin d’énergie 24h/24. Le meunier travaillait tous les jours, qu’il y ait du vent ou pas, même le dimanche. Quand il n’y avait pas de vent, il faisait autre chose : entretenait son moulin par exemple. De même pour les bateaux à voiles, qui ont longtemps été le plus important moyen de transport : quand il n’y avait pas de vent, les marins réparaient les bateaux ou restaient à terre. On pourrait appliquer cette même solution de stockage pour les objets modernes. Si on stockait le travail plutôt que l’énergie, cela réduirait de beaucoup l’infrastructure énergitivore de stockage (piles, réseaux…), estime Kris de Decker.
« Bien sûr dans ce cas, quand il n’y pas de vent ou pas d’eau, le système ne fonctionne pas ! C’est le prix à payer de ce système. La production serait plus limitée. Mais la surproduction et la surconsommation des produits sont aussi ce qui explique la crise environnementale et énergétique que nous connaissons. »
Il y a plein de choses à apprendre de l’époque préindustrielle, explique convaincu Kris de Decker. Notamment dans le fait que l’énergie mécanique dépendait directement de l’énergie produite. Aujourd’hui, les éoliennes sont des processus mécaniques qui produisent de l’énergie électrique qui est ensuite retransformée en énergie mécanique. Or c’est un procédé plutôt inefficace. Pourrait-on se passer de l’étape de production électrique ? Certes, reconnait-il, certains appareils modernes ne peuvent pas être alimentés par des systèmes mécaniques, comme les ordinateurs ou les écrans (quoique, certains systèmes savent le faire : on peut allumer une lampe ou recharger un appareil électronique via une action mécanique capable de produire suffisamment d’énergie pour une utilisation courte comme l’illustrait Potenco imaginé par Saul Griffith).
« Le solaire est un autre moyen de produire de l’électricité. Cela nous donne une ressource alternative et inépuisable permettant de produire de la chaleur. Le problème est qu’elle n’en produit pas suffisamment. Pourtant, l’énergie solaire concentrée, elle, pourrait peut-être nous aider à trouver des solutions ». Inventée au XIXe siècle, elle est peu utilisée ailleurs que dans le désert. Récemment une installation française a essayé de la réinventer, explique le journaliste en faisant référence à un four solaire capable d’atteindre les 500 degrés permettant donc d’avoir une chaleur suffisante pour produire de l’aluminium et donc de construire d’autres cellules solaires et donc d’autres machines solaires, sans utiliser d’énergie fossile.
« Certes, votre solution est séduisante et semble bien fonctionner pour de petites communautés, pour de petites unités de production », demande l’animateur, Daniel Kaplan. « Mais est-ce réaliste pour des milliards de gens ? » “Ca pourrait marcher à n’importe quelle échelle”, répond convaincu Kris de Decker. « On a juste l’impression que c’est moins efficace. Mais utiliser l’énergie directe par exemple nécessite de produire beaucoup moins d’énergie et beaucoup moins d’installation… Ce qui est bien sûr contradictoire avec la logique industrielle… et le problème est peut-être plutôt là ! Comment changer de logique ? Reste que nous avons encore besoin de beaucoup d’innovation pour faire fonctionner les sources d’énergie intermittentes dans des processus industriels ! »
Image chapô : Kris de Decker sur la scène de Lift, par Swannyyy, CC-BY-NC.
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si moins de production quel en sera son coût pour le consommateur à l'achat?