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La ferme… radicalement légère !



Dans cette ferme du Béarn qui a accueilli des dizaines de personnes depuis 2016 – pour un jour, plusieurs semaines ou quelques années –, on cultive l’autonomie collective et la coopération avec les voisins. Et l’on apprend à mettre en cohérence ses idéaux et ses actes. Une voie exigeante pour faire face aux grandes crises du monde, écologique ou socio-économiques. 



Cet écolieu ressemble à un quatre-quarts qui vous met l’eau à la bouche, une promesse d’une vie éthique fondée sur le partage, l’intelligence collective, la connexion à ses besoins essentiels et la gratitude pour la Terre qui nous porte : un quart de décroissance, un quart de négawatt (énergie décarbonée), un quart de permaculture et un quart de communication non violente. Bienvenue à la Ferme Légère !

Ce laboratoire de la résilience, situé à Méracq dans le Nord-Béarn, est né d’une tumultueuse histoire humaine. Celle-ci commence en 2004 autour de l’envie d’un écovillage. Elle aboutit une décennie plus tard – créer le « bon groupe » prend toujours du temps ! – à la création de la SCI Loustalots*, dans laquelle huit personnes sont prêtes à investir à parts non égales et adoptent le principe « une personne = une voix » pour prendre des décisions.

Quand, début 2015, le groupe trouve LA ferme, une bâtisse avec onze hectares de pâture et forêt qui dévalent vers la rivière du Luy de France, ils ne sont plus que sept pour l’acheter. La SCI obtient un permis de construire pour agrandir la maison dans une perspective bioclimatique. Le groupe s’installe et, l’hiver arrivant, il s’attelle à la construction d’un poêle rocket stove : un dragon qui crache du feu pour faire la cuisine et chauffer la maison. Son corps en terre crue fait rayonner la chaleur dans toute la bâtisse.

Nid bioclimatique avec vue sur les Pyrénées

En trois ans, l’ancienne maison d’habitation de 110m2 se mue en une colocation de 250 m2 pouvant accueillir jusqu’à quinze personnes : 100m2 d’espace de vie partagée, deux salles de bains, deux dortoirs, cinq chambres... et une vue imprenable sur la chaîne des Pyrénées !

On accède aux toilettes sèches par une coursive extérieure. Divers bâtiments autour trouvent leur usage au fil du temps : menuiserie, confection du pain... On produit sur place du pain, des légumes au moins pour huit mois de l’année, des œufs, du miel. Les animaux de la ferme qui ne peuvent être gardés (poulets, béliers...) sont mangés. Une participation de trente euros par semaine permet de se procurer ce qui n’est pas produit sur la ferme, très localement ou un peu plus loin via un groupement d’achat. Ce collectif démontre qu’avec moins de quatre cents euros par mois on peut vivre et avoir un toit sur la tête...

L’aventure a toujours été collective. Ainsi, de nombreux copains et visiteurs ont apporté leur compétence pour réaliser la charpente, la maçonnerie, la plomberie. « Un woofeur électricien est arrivé pile au moment où l’on mettait en place le système électrique, une armoire de batteries alimentée par des panneaux solaires », se félicite Marc, l’ingénieur de la bande.

Marc Pleysier, la cinquantaine, pieds sur terre et tête rebelle, est un enfant du pays, élevé par un père agriculteur, « adhérent de la FNSEA » précise-t-il, et une mère enseignante. Il a été ingénieur en génie mécanique et entrepreneur en informatique dans une autre vie. Son virage écologique au milieu des années 2000 s’appelle La Décroissance. « La lecture du journal La Décroissance m’a percuté : j’avais enfin une proposition cohérente qui répondait à mes questionnements sur notre société. » Voilà pourquoi il s’investit dans la formation d’un groupe pour créer un écolieu collectif où l’objectif est d’expérimenter ce concept. Les habitants y conjugueront leurs efforts pour vivre et s’épanouir en réduisant considérablement leur empreinte écologique. Sacré défi !

« La Ferme Légère » fait référence à cette manière précautionneuse d’habiter la Terre. C’est à la fois le lieu et l’association qui l’entretient et l’anime au quotidien. Concrètement, celle-ci verse un loyer annuel à la SCI pour les charges foncières et les travaux et loue des chambres aux résidents – de 170 à 400 euros par mois selon leur taille.

Un cadre commun pour mieux vivre ensemble

Une charte écrite, qui tient en quatre pages, pose le cadre de la vie en commun : ressources, partage, vivre-ensemble, engagement, intergénérationnel, ouverture et rapport à la société, art et spiritualité, animaux, transports, encombrants et aliénants (objets ou services inutiles et polluants). « L’arrivée d’une nouvelle personne est l’occasion de la partager à nouveau et de s’assurer que tout le monde met la même chose derrière les mots ». Chacun donne de son temps pour produire des légumes, s’occuper des poules gasconnes, prendre soin des autres animaux, réaliser les travaux dans la maison, faire le pain… En tout, cela représente au minimum dix-neuf heures par personne et par semaine pour le collectif, comprenant aussi les tours « d’expression culinaire » et de ménage des pièces partagées. Il y a une réunion d’organisation hebdomadaire avec relevé de décision et une réunion « émotion » toutes les trois semaines pour éviter que les irritations ou frustrations ne dégénèrent en conflit. Et lorsqu’il y a conflit, ces réunions sont là pour les gérer avec maturité, bienveillance et respect de l’autre.

Car vivre à la Ferme Légère n’est pas un long fleuve tranquille ! Depuis 2015, celle-ci a fait face à plusieurs vagues d’arrivée et de départ. À L’hiver 2017, ils se retrouvent à trois pour faire tourner la maison. Au printemps suivant, une nouvelle dynamique se met en route. Le groupe d’habitants monte jusqu’à dix. Mais le premier confinement donne des ailes et des envies aux fermiers légers avec des départs en série. Ne restent alors que Clément, arrivé dans la vague de 2018, et l’indéfectible Marc. « C’est la force du collectif qui permet de bien vivre ici. À huit, on peut s’offrir bien davantage que l’on ne pourrait le faire individuellement. À moins, on a du mal à faire face à la somme quotidienne de travail qui permet de produire autant de diversité sur la ferme. » Marc se fait à l’idée que la Ferme est un lieu de passage et d’expériences, pour des périodes plus ou moins longues. Ses compagnons repartent enrichis et peuvent essaimer plus loin, ailleurs, différemment.

Un lieu de passage dynamique

De fait, le mode de vie à la Ferme ne s’accommode pas aisément avec une vie professionnelle choisie. Tourné vers l’autonomie, il voudrait que les fermiers légers puissent trouver sur place ou à proximité des activités rémunératrices qui permettent de payer leur quote-part. Cet équilibre peine à être trouvé. Nombreux sont ceux qui vivent de leurs économies, du chômage ou du RSA. Toutefois, Marc rénove des appartements dans les environs à mi-temps. Clément, écrivain-photographe, est dans un entre-deux car son activité nécessite des déplacements ponctuels mais plutôt éloignés.

Depuis l’été 2020, de nouvelles personnes sont arrivées. En ce matin de janvier 2021, au cœur de l’hiver, l’humeur est couleur d’argile. Un peu lourde et grisaillante. Mohammad, un habitué, réfugié du Darfour, tente de faire revenir l’administration sur son expulsion du territoire. Sont également présents Marc, Brice et Christiane, ainsi que Madeleine, en woofing pour deux semaines. Clément, absent, est très attendu, afin de remettre en route la production de légumes dont il est le référent. Colette, Sylvère, Cécile, deux woofeurs et un groupe de visiteurs arrivent dans les prochaines semaines.

Dreads attachées, sweat-shirt Sea Shepherd, Brice, 23 ans, est là depuis juin, échaudé par une vie professionnelle hachée entre le bâtiment, les grandes surfaces ou l’assistanat de vie. Il a troqué sa console de jeux et le pavillon familial de l’agglomération bordelaise pour une vie qui l’éloigne d’une société à laquelle il ne voulait pas s’intégrer. « Je me sentais seul et un peu déprimé à cause de ce que je lisais sur l’état de la planète, sans voir quoi faire à mon échelle. Ensemble, c’est plus facile. J’ai appris plus en quelques mois ici qu’en une année scolaire ! M’occuper des poules, semer, récolter, mais aussi vivre avec trente litres d’eau par jour, faire du pain, cuisiner au bois, tendre vers le zéro déchet, ne plus aller dans les grandes surfaces et réfléchir à comment faire soi-même ce que l’on a l’habitude d’acheter. »

Exigence et lâcher-prise

Arrivée en octobre, Christiane a derrière elle un parcours de vie communautaire et spirituelle. Elle a rejoint la Ferme Légère pour ses valeurs écologiques. « Ici, toute ressource prend une valeur nouvelle. On achète des produits de “seconde main” à l’Emmaüs de Lescar Pau, à trente kilomètres. On peut retrouver dans la vie d’autrefois la communauté et le “faire soi-même”, et en plus avoir des technologies qui apportent du confort ». Pour autant Christiane n’est pas sûre que ce lieu lui convienne car ici personne ne fait du yoga, une pratique « importante pour mon équilibre physique et émotionnel ». La spiritualité reste dans la sphère personnelle. Elle travaille son lâcher-prise : « Il faut accepter que ce qui nous semble important ne le soit pas pour le groupe ». On le comprend, la vie qui s’invente à la Ferme Légère implique une exigence personnelle et collective... au quotidien. Un seul exemple : pour économiser l’énergie, le collectif a développé une réflexion agile afin de choisir le mode de cuisson le mieux adapté : poêle de masse quand on chauffe la maison, parabole solaire s’il y a du soleil (ce qui permet l’hiver de libérer le poêle pour faire chauffer de l’eau) ou encore boisinière (une cuisinière à bois autoconstruite) quand la maison n’est plus chauffée ou en appoint. Dans tous les cas, la cocotte norvégienne – un caisson bien isolé – permet de finir la cuisson et de garder l’eau des tisanes au chaud. Et une fois par semaine, la mise en route du four à pain est l’occasion de cuire aussi des pizzas, des sablés et d’autres gâteaux.

Si ses 28m2 de panneaux photovoltaïques et ses 800 kg de batteries rendent la ferme autonome, « nous ne le sommes pas encore devenus dans la maintenance », précise Marc. Et Madeleine, originaire de Saint-Étienne et étudiante en agroécologie, d’ajouter : « Ici, on utilise des technologies que l’on ne pourrait pas développer pour 7 milliards d’habitants. » Les échanges autour des améliorations possibles, sur comment faire plus et mieux avec ce qui est sur place conduit à une vie plus réfléchie, une méditation du quotidien où le collectif prend toute sa place. Car personne ne pourrait en une seule journée réaliser pour elle-même tout ce qui lui est offert ici.

 

Retrouvez cet article dans la revue 90°, "Faire face ensemble à l'effondrement", été 2021.

Aller + loin

- Lire la suite du reportage, "Agir pour ne pas s'effondrer".

- De la neige pour Suzanne, de Clément Osé, récit autobiographique sur son changement de vie.

Crédits illustration : ©Jeanne Macaigne

Crédits photos : ©Clément Osé



* La Ferme Légère est à la fois le lieu et l’association qui l’entretient et l’anime. Cette dernière verse un loyer annuel à la SCI pour les charges foncières et les travaux et loue des chambres aux résidents, de 170 à 400 euros par mois selon leur taille.

La série “Tour de France des écolieux”, en libre accès, est produite par Colibris le Mag, en partenariat avec l’Agence de la Transition Écologique (ADEME).

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