Découvrez le MOOC (R)évolutions Locales pour s'engager collectivement sur son territoire
Recevoir des infos
Le MagDes idées pour construire demain
Mode d'emploi

Sénégal : des villageois régénèrent leur fonds marins


Reportage initialement paru dans le magazine Kaizen



En pleine mangrove, Keur Bamboung est la première aire marine protégée communautaire du Sénégal. Au milieu des 7000 hectares mis en conservation en 2003, avec le soutien de 13 villages environnants, un campement écotouristique et solidaire s'est créé pour financer la surveillance de la zone. Depuis, 80 espèces de poissons sont revenues dans le bras de mer.



Un pélican survole le bras de mer du Bamboung, dans la région côtiére sénégalaise du Sine Saloum, à 230 kilomètres au sud de Dakar. Keur Bamboung, la première aire marine protégée communautaire (AMPC) du Sénégal, a été créée en 2003 et s'étend sur 16 kilomètres. Les 7000 hectares mis en conservation sont délimités au nord par le chenal du Diombos, où se situe le mirador, et au sud par la forêt de Kolé. La pêche y est interdite. 

Au sommet du mirador d’acier et de bois surplombant Keur Bamboung, Tidiane Seydi, 39 ans, et Famara Ndiaye, 60 ans, se relaient toutes les quatre heures pour protéger la zone de la pêche. Ils surveillent la zone en binôme depuis 2003. D’autres écogardes prennent le relais toutes les 48 heures. Un matelas au sol en bois leur permet de se reposer. « On a attrapé six braconniers l'année dernière, mais avant c'était chaque semaine », précise Famara, une barbe crépue parsemée de blanc. Une cicatrice sous l’œil droit de Famara lui rappelle ce jour où un pêcheur l'a attaqué, alors qu'il l'informait de l'amende encourue. Famara a passé plusieurs jours au dispensaire. Depuis, il se déplace toujours avec un bout de bois en forme de fusil de chasse qu'il a taillé lui même. 

« On a attrapé six braconniers l'année dernière, mais avant c'était chaque semaine »

Les 23 employés de l'AMPC ont presque tous commencé par le travail d'écogarde. En ce jour d'avril, les surveillants censés prendre la relève de Tidiane et Famara ne sont pas venus à cause d’une embarcation ne fonctionnant pas. Il faut les ravitailler. Le piroguier leur apporte un seau en plastique rempli de lait en poudre, sucre, riz, thé, piment, huile et pain. Grâce aux nouvelles victuailles, Tidiane, visage rectangulaire, un tissu jaune noué sur le crâne, prépare un Thiéboudiène – plat de poisson et de riz coloré –, sur des braises à même le sable devant leur maisonnette. Les écogardes ont l'autorisation de pêcher quelques poissons pour se nourrir.

La pirogue de ravitaillement repart du mirador situé à l’embouchure de l’océan. L'embarcation zigzague entre les bancs de sable. Derrière les palétuviers, les cimes de palmiers dépassent. Des dauphins sortent leur corps fuselé de l'eau pour respirer à quelques mètres de l’embarcation qui se rend à Sipo.

Sur l’île de Sipo, un des treize villages ruraux investis dans l’aire marine protégée, un campement écologique à destination des touristes, fonctionnant à l'électricité solaire a été conçu simultanément à l'aire marine, sur une berge du bras de mer pour soutenir financièrement le projet. 

« À Bamboung, avant, tout le monde pêchait n'importe où, ce n'était pas durable », se souvient l'ancien ministre de l'environnement sénégalais Haidar El Ali, membre de l'Océanium, l'association qui a lancé Keur Bamboung, avec les villageois.

Le site est passé de 51 espèces de poissons en 2003, à plus de 130 aujourd'hui

Ici grâce à l'engagement des villageois devenus surveillants de la zone, le site est passé de 51 espèces de poissons en 2003, à plus de 130 aujourd'hui, avec une augmentation de la biomasse et le retour du maquereau bonite, de la sardinelle ronde, du mérou bronzé (thiof en wolof) et même de dauphins. 

« L'aire marine est née chez moi à Soucouta grâce à mon frère Ibrahima Diamé, qui a parcouru la région à la recherche du meilleur lieu pour une aire marine protégée », se souvient l'ex écogarde Abdoulaye Diamé, visage émacié et corps mince flottant dans une chemise ample. 

Un employé de l'AMPC 

En 2002, Ibrahima Diamé et Haïdar El Ali ont sillonné les bolongs du delta du Saloum à la recherche d'un bon habitat pour les poissons. « La beauté du Bamboung, sa richesse en larves de poisson notamment de thiof, son accès difficile, nous ont convaincu », explique Haidar El Ali.

« Avec mon frère et Haidar, on est alors partis sensibiliser les villageois. On allait chez eux, leur parler de poissons, de coquillages, on leur amenait un mérou bronzé par exemple pour qu'ils saisissent bien ce qu’il y en avait beaucoup moins et que notre but était que l’espèce se développe à nouveau... »

Ibrahima Diamé et Haidar El Ali contactent alors les scientifiques de l'Institut français de Recherche de Développement (IRD) pour avoir un état de référence du site en termes d'espèce de poissons présents ou éteints sur la zone. Patrice Brehmer, chercheur à l'IRD, travaille sur l'aire marine protégée depuis 2003. « Côté données, c’est aujourd'hui encourageant, appuie-t-il. On note la présence d'une belle diversité spécifique et surtout de poissons de grande taille et d’échelon trophique supérieur. Le retour des prédateurs supérieurs est tout à fait satisfaisant ».

Ibrahima Diamé a été le premier président de l'AMPC, et ce pendant dix ans, jusqu'à son décès en juin 2014. « C'était un homme exceptionnel, un vrai combattant au service de sa communauté. Il nous a donné la force de se constituer en union pour sauver notre richesse halieutique», retrace son frère Abdoulaye Diamé. Un portrait dessiné d'Ibrahima Diamé trône toujours dans la case-restaurant du campement écologique, avec une citation : « Les jeunes sensibilisés à l'éducation environnementale seront les gestionnaires de leur propre environnement pour l'avenir. » 

Le gérant El Hadj Ndao, qui fut le premier à passer la nuit au mirador en 2003, souhaiterait développer plus d'activités, pour pallier le manque d’aide financière nationale - les ressources provenant uniquement des visites des touristes au campement écologique : « On travaille sur la création d'un nouveau circuit écotouristique, avec un guide à former dans chaque village. Les résultats scientifiques montrent que l'aire marine fonctionne, mais nos recettes ne nous permettent pas de redistribuer suffisamment aux villageois, notamment aux femmes et aux jeunes ». En ce sens, El Hadj a participé à la création d'un groupement d'intérêt économique de femmes transformatrices de produits halieutiques, mais aussi productrices de confitures de bissap, un hibiscus à fleurs rouges, et de pain de singe, le fruit du baobab - revendus aux touristes et aux villageois des alentours. Le réceptionniste du campement écologique Mamadou Ndour, en bonnet noir hivernal, père de six enfants, se réjouit des meilleurs revenus de 2017 : « Pendant l'hivernage, c'est dur, on peut rester un mois sans salaire, mais Bamboung nous appartient, donc ça nous motive ».


Sophie Boutboul



Photos : Raphaël Fournier


L'écolodge de Keur Bamboung

Un grandiose baobab domine le campement aux cases constituées de paille et de briques rouges. Dans le cadre d’un tourisme écologique et solidaire, trois activités de découverte de l'aire marine sont proposées gratuitement avec le logement à l'écolodge : une promenade dans la savane, une dans la mangrove et une sortie en canoë.
Birame Sarr, casquette jaune canard fixée sur la tête, écoguide depuis 2003 à Bamboung, conduit ceux qui le souhaitent dans les profondeurs de la mangrove en donnant des explications sur le retour des espèces de poissons dans la zone, pendant que les touristes ont de l’eau jusqu’aux genoux et se courbent sous les racines de palétuviers.
Chaque jour, les repas concoctés par la cuisinière Khadji Diamé se dégustent sur des tables en rônier. Huîtres grillées, ragoût de viande aux petits pois, mangues fraîches sont au menu. Le campement tourne à l'électricité solaire, avec 11 panneaux et une pompe solaire. « Avant il fallait pédaler pour remplir le fût d'eau et l'amener avec un âne dans chaque case », se remémore Birame. Désormais, des tuyaux sont reliés à chaque chambre pour les alimenter. Les bungalows sont construits en paille, les lits sont confortables, et dans certaines chambres, la salle de bain est en plein air pour des douches à la belle étoile !

Le soir, certains jouent à la pétanque sur le sable, quand d'autres observent le soleil se coucher dans un calme apaisant.




Commentaires

Cet article vous a donné envie de réagir ?

Laissez un commentaire !