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La vie en collectif, un long fleuve tranquille ? Pas si sûr...


L'Arche de Saint-Antoine

Daphné Vialan accompagne des collectifs qui cherchent à construire un autre monde (type éco-lieux, oasis, éco-hameaux), pour qu'ils vivent des relations authentiques et fructueuses. Elle accompagne aussi des individus pour les aider à mener une vie davantage en accord avec leurs valeurs. Elle est fait partie de l'Arche Non violence et Spiritualité, après avoir vécu 6 ans en communauté au sein de l'Arche de Saint-Antoine.



– En t’appuyant son ton expérience, peux-tu nous donner un éclairage sur la coopération qui peut se développer au quotidien au sein de ces collectifs ? 

La coopération est une clé de transformation personnelle et collective. Concrètement, quand on se lance dans la coopération, on se rend compte de toutes les idées reçues sur ce sujet. Le premier grand fantasme, c’est d’imaginer que coopérer, ça veut dire que « tout le monde décide ». Par exemple, dans la communauté de Saint-Antoine (dans l’Isère-38), il y a un moment très concret et intéressant : celui de la pluche ! Tous les matins, on se retrouve à la cuisine pour préparer les légumes pour la journée, les éplucher, les laver. Et dans la cuisine, tout le monde a son avis sur la façon de faire, chacun a son idée de cuisine, sa recette de grand-mère. Souvent, j’ai une préférence sur comment couper tel légume, s’il faut éplucher ou pas les carottes. Je vous rassure, dans ce cas concret, on ne décide pas du tout tous ensemble de comment s’y prendre ! Car coopérer, c’est avant tout se mettre au service (sans servitude ni servilité). Ici, ça peut être moi qui suis au service du cuisinier, qui lui même est à mon service car il me fait à manger quand même au final. Et, dans un autre contexte, c’est le cuisinier qui va se mettre au service pour filer un coup de main sur un chantier. Chacun trouve en réalité sa place et reste debout, même en se mettant au service du collectif. 

"Le premier grand fantasme, c’est d’imaginer que coopérer veut dire que tout le monde décide"

L’autre mythe sur la coopération, c’est de penser que lorsqu’on coopère, il n’y a pas de conflit. Moi, je dirais plutôt que la coopération c’est justement d’apprendre à traverser les conflits ensemble. En coopérant, on a constamment des raisons de ne pas être d’accord : sur la taille des oignons, sur la manière de conduire un chantier, sur les matériaux utilisés, sur la manière de se parler, etc. Fondamentalement, coopérer c’est savoir ne pas être d’accord et continuer pourtant à travailler ensemble. 

L'Arche de Saint-Antoine

J’aimerais enfin balayer un mythe ou une image idéale sur ces communautés : celle de l’harmonie et l’amour universel qui est censé nous aider à vivre ensemble de manière magique. Nous devons apprendre à être et vivre ensemble, à travailler ensemble, à accepter et traiter nos désaccords, non pas à les fuir. Si je t’aime inconditionnellement, dès que quelque chose ne me convient pas, je me ferme, je fuis, je laisse tomber, et finalement je ne coopère pas. 

– Quel est le plus grand défi, selon toi, dans cette quête d’autonomie collective ?

Je crois qu’il ne s’agit pas d’un défi technique (en termes de techniques de maraîchage, au niveau juridique, de techniques d’éco-construction, de solutions énergétiques, etc.). Ce qui me semble plus délicat et difficile, c’est comment vivre ensemble, comment faire un collectif, comment vivre des relations authentiques, traverser les conflits, intégrer des nouveaux, dire au revoir à ceux qui veulent partir, se fixer des règles, se partager des espaces dont les usages et les règles d'utilisation ne viennent pas d’au-dehors de nous. Un autre enjeu fondamental : comment décider sans rapport de domination – ni d’un individu, ni du groupe, ni d’un outil –. Pas simple du tout, en vérité ! 

Par rapport à ça, la première chose indispensable à acquérir selon moi, c’est l’humilité : accepter de ne pas savoir, de ne pas savoir faire, etc. Si j’arrive plein de mes croyances, de mes certitudes, en pensant que je sais comment ça doit se faire, se vivre, se construire…, ça risque d’être compliqué. Accepter d’entrer dans un espace de « non savoir » et d’incertitudes sur comment ça va se passer, c’est sans doute moins confortable mais plus solide dans les liens tissés. Cela signifie aussi d’avoir le goût et la curiosité de forger sa propre expérience. 

Travail à l'Arche de Saint-Antoine

– As-tu observé ce que cette forme de « lâcher prise » et d’ouverture au collectif, et à des espaces que tu n’aurais pas forcément exploré seule, modifie dans tes relations, mais aussi dans la façon de fonctionner dans sa vie ?

Ça nous amène avant tout, me semble-t-il, à développer un nouveau rapport au temps. On est dans une société qui privilégie le rapide, le vite-fait. Pour un projet, on fixe une date, on fait un rétroplanning, et basta ! Je crois que la vie en collectif est la volonté d’habiter au sens le plus noble du terme. Cela signifie pour moi être dans une relation avec ce qui m’entoure, de faire résonner mon habitat extérieur avec mon espace intérieur. Et cela prend du temps. Ça requiert de continuer à agir, à expérimenter, en savourant davantage le chemin que parfois le point d’arrivée et le résultat. Et honnêtement, si vous ne savourez pas le chemin, dans un projet collectif, je pense que vous allez vite en partir… Car c’est pas en deux réunions qu’on parvient à se mettre d’accord sur un achat de terrain ou de bâtiment ou sur une structure juridique. On continue d’avancer en se laissant bousculer (émouvoir) par la vie en groupe. 

Et le point clé qui émerge à ce stade est celui de la confiance. De faire confiance, aux autres, au groupe comme à soi. Notre société ne nous apprend presque pas à nous faire confiance. La confiance, ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel, ça se construit petit à petit, dans des petites décisions, des petites actions communes. Puis ça se renforce avec un engagement pour quelque chose d’un peu plus important. En outre, la confiance, ça fluctue… L’autre peut faire quelque chose qui va me faire douter, et abaisser ma confiance en lui, tout en conservant ma foi en lui, à continuer à construire avec lui, à retenter du lien, une action avec lui autrement, peut être avec quelque chose de moins engageant, mais j’avance. Avoir foi dans l’humain, c’est un point clé de la pensée anarchiste qui m’habite, et je pense que l’on a tous tout intérêt à remettre cette confiance en l’humain au cœur de nos manières d’agir. 

"Le point clef est la confiance : ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel, ça se construit petit à petit, dans des petites décisions, des petites actions communes..."

La vie en collectif amène vraiment à réinventer ma manière de considérer l’autre, à chercher en permanence quelle est la juste distance à mettre avec l’autre, avec les autres. À accepter et laisser être l’autre comme il le souhaite, tout en étant ensemble dans une interdépendance et en osant se faire des retours sur ces interactions et comportements, pour avancer ensemble. 

Le Vesseaux-Mère

– Tu abordes là des points de vigilance… Il y en a d’autres que tu noterais ? 

Pour moi, la première vigilance à avoir serait de penser que ça va être facile. Je me dis que dans les collectifs on retrouve les mêmes polarités politiques que dans la société, à une moindre échelle. En fait, on a toujours dans le collectif certains qui vont être plus attachés à la liberté, et d’autres plus à la sécurité par exemple, certains qui vont être plus à prendre soin des traditions à vouloir conserver comme avant, et d’autres plus à inventer et accomplir des choses nouvelles. Donc ça ne sert à rien de fuir la société en allant dans des collectifs pour « être bien entre nous », entre gens de gauche par exemple ou qui ont les mêmes valeurs. Car les polarités se recomposent, à une échelle différente, sur des enjeux concrets. La question est vraiment comment faire société ensemble dans la diversité. Car malgré l'apparente homogénéité de certains groupes, il y a une grande diversité qui apparaît au fur et à mesure de la vie ensemble. Et le danger, me semble-t-il, est de ne pas avoir conscience de ça et de la nécessité de se réinventer. Que les anciens modes de fonctionnement ne vont surement pas fonctionner dans ces collectifs.  

Les Oisillons

– Ce dont tu parles, en fait, c’est d’une mutation…

Oui, c’est ça que nous vivons collectivement aujourd’hui, je le sens comme une mutation. Nous sommes la larve qui a construit un cocon et qui maintenant doit devenir coccinelle, papillon ou scarabée. Et cette mue est difficile. Parce que honnêtement, le cocon, c’est bien confortable ! Il est chaud, cosy, et on sait ce qu'il y avait dedans. Au-dehors, vers quoi allons nous… ? Et le risque, est alors de prendre peur ou d’être déçu, désenchanté. En se disant « j'ai essayé l'aventure collective, mais ça marche pas, trop compliqué ! ». Du coup, on peut rester sans alternative, alors que la société actuelle ne nous convient pas davantage. Est-ce que ça ne risque pas de donner des gens hyper cyniques, voire qui retournent dans le moule ? ou bien des personnes qui s’isolent, qui deviennent survivalistes, pensant qu’ils s’en sortiront tout seul ? D'autres peuvent partir dans une quête mystique et s'évader par la méditation en laissant tomber les aventures collectives, car ça les bougent trop. J’observe, dans les collectifs où je suis passée ou que je côtoie, toutes ces évolutions lorsque le chemin du collectif est trop ardu, qu’il est mal balisé, sans accompagnement. C’est très dommage car ce chemin vers une vie en collectif est vraiment beau, il permet en réalité d’évoluer et aussi de faire évoluer notre monde vers plus de justice et de justesse. 




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