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Chronique : La Bergère des Corbières #1

Descente d'estive


Elle aurait dû être prof de gym, elle sera calligraphe dans le Gers, durant treize ans. Puis en 2007, Florence Robert choisit une vie au contact des animaux et de la nature. Elle devient alors bergère et crée la Ferme des Belles Garrigues à Albas, dans l’Aude. Parallèlement à son activité agricole, elle écrit. En préparation, un livre autour du sort réservé aux orangs-outans et aux forêts primaires dans le monde…



La garrigue tout l'hiver, les naissances à partir du 15 mars, le pâturage sous les parcs photovoltaïques au printemps, le départ à la montagne le 30 juin, l'estive et sa magie... C'est à tous ces rendez-vous de la nature que Florence, bergère des Corbières, nous invite chaque mois.


La montagne  ! Gagner l'herbe verte, le ciel et la fraîcheur, là-haut, loin des plaines étouffantes et de la poussière. Pour la troisième année, le troupeau des Belles Garrigues a passé l'été dans les Pyrénées-Orientales, sur l'estive de Dorres près de Font-Romeu. Un berger employé pour l'occasion a gardé nos 200 brebis et 600 autres sur 2 milliers d'hectares. La saison s'est plutôt bien passée, et le loup présent sur l'estive n'a pas créé de problème majeur. Un ours est passé courant août, mais là aussi nous n'avons pas d'attaque à déplorer. Seule la météo nous a un peu écorchés, avec de violents à-coups  : plusieurs jours de grêle en juillet, un peu de neige en août et plus encore en septembre, sécheresse pour la fin de saison. Il manque 8 brebis à l'appel sur les 800... C'est très peu, même si savoir ce qui leur est arrivé serait mieux. Cependant, la montagne a tenu ses promesses, les brebis sont belles  !

La descente a eu lieu mi-octobre. Un lundi nous avons "ramassé" les 800 brebis, et en une petite journée de marche les avons descendues à la bergerie du Belloc. Là, nous les avons "triées" afin de séparer les troupeaux des différents propriétaires. Le lundi soir est un moment de fête, pour remercier le berger qui a fait la saison, pour préparer l'estive de l'année prochaine, pour resserrer ces liens indicibles qui soudent les bergers. On ne parle que de brebis pendant des heures, de chiens, de pâturages, de montagnes, de ceux qu'on connaît en commun, de races et de transhumances, comme d'habitude. L'essentiel est ailleurs, dans ce que nous partageons et qui n'a pas de nom. Nos bêtes transhumantes sont à part, et nous aussi appartenons à une autre race, qui se nourrit d'espace, de solitude, et de l'énergie souterraine des bêtes, insatiable et inépuisable. Et quand on se salue, minuit est bien passé, on a refait le plein de quelque chose d'autre, qui nous donne de l'allant pour les mois à venir, pleins de difficultés de toutes façons.

Au matin, les brebis des Belles Garrigues sont montées dans un camion et quelques heures plus tard nous étions de retour dans les Corbières, au sud de Narbonne.

Retrouvailles

En juin, le départ du troupeau signait la fin d'un cycle de travail, les agneaux étaient vendus, les pis taris. Souvent, nous sommes contents de les voir partir. Mais leur retour est plein de joie  : les voici à nouveau dans la bergerie, leurs réponses en chœur et leurs regards interrogateurs quand je les appelle. Les gentilles, les pestes, les jeunes, les cornues, les mamies, Pompon, Finette, la terrible 00229… Les voilà, toutes ! On retrouve son troupeau comme on retrouve sa - très grande - famille. Dès le mercredi, les 200 brebis ont repris leur métier de brebis de garrigue : quotidiennement elles prennent le chemin des pâturages avec leur berger, libres mais encadrées par les chiens de conduite, et protégées par un Patou. Elles sont capables de manger ces plantes épineuses, ligneuses et odorantes, capables de se débrouiller des broussailles que d'autres laisseraient. Il faut des bêtes qui soient adaptées à ce milieu naturel, nées là, issues de races rustiques. Aujourd'hui, le troupeau se compose de Lacaune, de Mérinos et de Rouge de Roussillon. Cela fait neuf ans qu'elles alternent ainsi la marche du jour et le repos nocturne au profit de la biodiversité. En effet, quand les troupeaux pâturent la garrigue, l'herbe est régénérée, le soleil atteint le sol et de nombreuses espèces profitent de cet espace réouvert, parmi lesquelles les perdrix, les lapins, les lièvres ou les grands rapaces comme l'aigle royal que nous observons souvent en hiver.

Mais cette année hélas, après les grands espaces herbeux de la montagne, la garrigue est plutôt rêche. La sécheresse chronique qui dure depuis trois étés n'a rien arrangé : le pâturage, très sec est peu appétant. Il faudra s'y faire, cet automne sera dur à ruminer  ! Nous les aiderons avec un peu d'orge, et s'il le faut du foin, sans oublier les norias de cuves à eau prises au village puisqu'il n'y a plus d'eau à la ferme. Heureusement, les chênes-kermès portent beaucoup de glands cet automne, ce qui favorisera l'ovulation. Les deux béliers Mérinos auront la lourde charge de saillir 130 brebis en trois semaines... du travail en perspective  ! Pour cela ils sont préparés comme des athlètes depuis des mois. Les résultats seront connus dans cinq mois  !


Commentaires

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À vous lire, on devine ce beau et noble métier que vous faites...dans cette belle région de l’Aude.

Bravo pour ce long récit et votre talent d’ecrivain
Bisous et caresses aux têtes blanches ( sourire)
Josie