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Le Tour de France des Écolieux

Le bénévolat en écolieux : entre force, tabou, et nécessité

Les écolieux et les tiers-lieux ont besoin de bénévoles. Et c’est réciproque ! Mais les attentes sont-elles satisfaites de part et d'autre ? Comment cette aide est-elle accueillie et gérée ? Les porteurs de projet sont, eux aussi, bénévoles pour la plupart : comment, en interne, équilibrer le temps consacré par chacun, pour une bonne équité au sein de la communauté ? Au-delà, le bénévolat est-il toujours légal et comment s'accorde-t-il avec le droit du travail qui fait la chasse depuis plusieurs années à des formes d'« emploi dissimulé » ? Sinon, faut-il rougir de cette dépendance économique au « travail gratuit », la passer sous silence ou au contraire revendiquer ce modèle solidaire ? En répondant à ces différentes questions, notre enquête tente de lever un coin du voile sur ces pratiques d’entraide qui font débat.



Dans les années 1970, Sue Coppard, jeune secrétaire, travaille à Londres. La campagne lui manque. Elle veut mettre les mains dans la terre et participer à la vie d’une ferme. Elle décide de proposer son aide bénévole, le week-end, à des paysans bio. Cet échange de bons procédés s’avère concluant et va susciter des vocations dans le monde entier à travers le mouvement créé par Sue, le Wwoof (World-Wide Opportunities on Organic Farms, ou « opportunités dans des fermes bio du monde »). Ce mouvement, communément appelé le woofing, permet à ceux qui le souhaitent de travailler quelques temps aux côtés de paysans bio qui les hébergent, les nourrissent et leur transmettent leurs savoirs. Comme les fermes bio, les écolieux de vie et les tiers-lieux d’activités attirent de nombreux bénévoles qui, au-delà des services rendus, souhaitent aussi soutenir, découvrir, voire apprendre un nouveau mode de vie et les savoir-faire associés. Ainsi l’entourage, les voisins, les amis, s’impliquent dans des tâches aussi variées que la cuisine, le nettoyage, le jardin, la comptabilité, etc. Au-delà de leur écosystème proche, de nombreuses oasis sollicitent aussi des réseaux structurés, comme le Wwoof pour les lieux agricoles, ou le réseau de chantiers participatifs Twisa qui permet de découvrir l’éco-construction dans un cadre organisé (encadrement, assurance, etc.). Notre Tour de France de ces communautés nous a permis d’interroger le rôle du bénévolat dans leur fonctionnement.

Bénévolat ? Un peu, beaucoup, pas du tout…

En Nouvelle Aquitaine, la Coopérative Tiers-Lieux (née d’un collectif de créateurs et animateurs de tiers-lieux) a analysé les données issues du Grand Recensement de 2019, et publié un Panorama portant sur 206 tiers-lieux de la région. L’étude constate que « la coopération au sein des tiers-lieux s’opère principalement sous une forme de gratuité » : sur les 3 700 citoyens et citoyennes impliqués dans la gestion et l’animation des tiers lieux, 2 415 sont bénévoles. Néanmoins la professionnalisation progresse avec le recrutement de nombreux salariés, stagiaires et volontaires en Service Civique, selon les auteurs. Ce constat concerne les tiers-lieux (à distinguer des écolieux), et l’étude se cantonne à la Nouvelle Aquitaine. Qu’en est-il à l’échelle nationale ? Les données manquent encore, mais Mathieu Labonne, président de la Coopérative Oasis, constate que la plupart des oasis ont une activité bénévole modérée et que « le bénévolat est plus présent sur les lieux d’activité, type tiers-lieux, que sur les lieux de vie, type écolieux ».

« La coopération au sein des tiers-lieux s’opère principalement sous une forme de gratuité »

La Ressourcerie du Pont ©Lionel Astruc

Outre cette appréciation générale, le temps bénévole varie selon les lieux. À la Ressourcerie du Pont, au Vigan, les trois initiateurs et initiatrice consacrent au total soixante heures par semaine à ce projet central de leur collectif, auxquelles s’ajoutent cent heures apportées par d’autres contributeurs. Soit un total de cent-soixante heures d’aide bénévole par semaine (le lieu compte aussi six salariés). Au monastère orthodoxe de Solan, habité par une vingtaine de sœurs qui pratiquent l’agroécologie sur des dizaines d’hectares, le travail des bénévoles sur la ferme représente 15 300 heures par an. Cela équivaut à environ neuf personnes (à 35 heures par semaine) pour l’année. Les bénévoles viennent spontanément depuis la création du monastère, sans sollicitation des sœurs. Si bien qu’ils se sont rendus indispensables à l’équilibre économique du lieu.

Certains tiers-lieux comme Terre Vivante, dans les Alpes du sud, ne recourent pas au bénévolat. Ils relèvent de l’exception. Cette société coopérative n’a pas le statut adéquat – les Scop ne permettent pas le bénévolat. Il n’en a, en outre, pas forcément la nécessité : l’équilibre économique est stable et pérenne sans cette aide. D’autres lieux, enfin, acceptent les bénévoles tout en restant vigilants à ne pas devenir dépendants d’eux : ils tiennent à un modèle économique équilibré, quelle que soit la présence des bonnes volontés. Germain Sarhy, le fondateur de la communauté Emmaüs Lescar Pau ne dit pas autre chose quand il souligne qu’ils veulent pouvoir « être autonomes sans eux. Et c’est le cas : si les bénévoles s’en vont, ça n’empêchera pas notre structure de tourner. » Un choix que la communauté peut se permettre du fait que les compagnons, grâce au statut OACAS (Organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires), reçoivent pour leur travail un pécule et des primes – pour les vacances, par exemple – qui représentent, mis bout à bout, de quatre-cents à cinq-cents euros par mois en plus du gîte et des repas gratuits, d’une couverture maladie et d’une cotisation retraite. « S’ils étaient tous payés comme des salariés, ce ne serait pas rentable », admet le fondateur de la communauté.

« Pour nos sociétés tellement calculatrices, rendre service est une bonne voie pour se guérir »

Communauté Emmaüs Lescar Pau ©Lionel Astruc

Si, comme Germain, certains avouent modérer la présence des bénévoles, voire refuser du monde, c’est parce que les bonnes volontés sont nombreuses. « S’impliquer dans un projet, les gens n'attendent que ça ! » explique l’un des fondateurs des Usines, tiers lieu d’activités artisanales à Poitiers. « C’est une aventure qui permet de sortir de la routine et de rencontrer des gens qu'on n'aurait pas rencontrés sinon ». Et de reconnaître aussitôt que « sans toute cette aide bénévole nous n’aurions jamais pu atteindre ce niveau de développement ». Dans l’oasis la Ressourcerie du Pont, les cofondateurs ont eux-mêmes aidé des projets pendant des années avant de solliciter leurs amis. Pour eux, le bénévolat est aussi « une opportunité de faire des choses que normalement, on ne ferait pas, parce qu’elles ne rapportent rien. Pour nos sociétés tellement calculatrices, rendre service est une bonne voie pour se guérir, tout comme l’allégement matériel », explique Sébastien Pichot.

©Les Usines

Ces deux témoignages résument bien l’enthousiasme général de cette pratique aux nombreuses vertus. L’entraide est un moyen de transmettre ou d’acquérir des savoir-faire, de favoriser l’échange transgénérationnel, de renforcer les liens et le tissu social, de (faire) découvrir des modes de vie alternatifs, et finalement de soutenir l’émergence d’une société plus solidaire. Ajoutons que dans un contexte où les institutions aident mal, peu, voire pas du tout les porteurs de projets, ce soutien citoyen devient indispensable. De fait, certaines communautés s’épuisent à la tâche et souffrent de surmenage. L’aide est alors salutaire.

Entre zone de frictions et accueil organisé

Vu de l’extérieur, le bénévolat pour les écolieux ou les tiers-lieux peut ressembler à une simple aide gratuite, sans contrepartie, dans un monde merveilleux. En réalité, qu’il soit pratiqué en interne, par les « porteurs » du projet, ou qu’il vienne de l’extérieur (amis, voisins, citoyens, éco-volontaires…), le bénévolat soulève de nombreuses questions, pose divers problèmes, et attire même les critiques. Tout d’abord à l’intérieur même de certaines organisations : « C’est une zone de friction », témoigne Augustin Vieillard Baron, lorsqu’il évoque le temps que chacun des membres de La Roue Libre, une oasis du Gard, consacre aux autres. « Bien sûr, mobiliser rapidement sept ou huit personnes pour une tâche, c’est génial ! Mais il faut vraiment trouver un équilibre, un accord pour compenser le temps passé sur les entraides les plus chronophages. C’est une source de débats au sein du collectif et on est donc en train de poser un cadre, raconte Augustin. L’idée est à la fois que chacun consacre un temps minimum et que ceux qui en ont besoin puissent s’affranchir des services. Mais à condition que ce soit explicite, discuté et organisé ».

La Maison Forte ©Anne-Sophie Novel

Ce témoignage en recoupe d’autres comme celui de Mathieu Labonne, qui anime l’éco-hameau du Plessis : « Aujourd’hui, l’implication n’est pas équilibrée au sein de notre groupe ; on voudrait mettre en place un système plus égalitaire. Il nous manque une méthode simple, une monnaie complémentaire par exemple », suggère-t-il. C’est d’ailleurs le dispositif adopté par les habitants de la Maison Forte, qui ont mis en circulation le « Grisby ». Trois heures de travail valent quinze Grisbys (l’équivalent de 7,5 €), qui peuvent notamment être dépensés lors des « guinguettes » organisées par le lieu !

Outre cette implication interne, la gestion des bénévoles qui viennent de l’extérieur, et apportent une aide conséquente, nécessite aussi une réelle organisation. L’accueil et le bon déroulement sont une contrepartie tacite incluant des repas, parfois un hébergement, des équipements de travail adaptés, mais aussi une disponibilité suffisante pour éventuellement transmettre un savoir-faire attendu. « On ne faisait pas suffisamment attention à cela, témoigne l’un des fondateurs des Usines. C'est remonté plusieurs fois, et du coup on a fait un livret d'accueil destiné aux bénévoles – y compris les résidents ! – où l’on rappelle l’organisation. »

Les récits de bénévoles déçus ne sont pas rares

Bien d’autres lieux soignent cet accueil, mais pas toujours : les récits de bénévoles déçus ne sont pas rares. Certains ont subi des accroissements de temps de travail conséquents par rapport aux accords initiaux, d’autres n’ont pas eu les repas promis, l’hébergement convenu, etc. Ces décalages, lorsqu’ils s’aggravent ou s’inscrivent dans la durée, ont pu exceptionnellement conduire à une action en justice, lorsque certains ont l’impression d’avoir été utilisés comme des salariés. En effet, le bénévolat, dans certains cas, peut flirter ou être interprété comme du travail dissimulé. Une situation qu’a rencontrée le Hameau des Buis, ou plutôt l’association qui est au cœur du projet, la Ferme des Enfants – un lieu pionnier, emblématique et moteur du réseau des Oasis. Deux bénévoles (un éducateur technique en menuiserie et une comptable) avaient porté plainte aux Prud’hommes. Outre les articles de presse sur le sujet, l’association a elle aussi donné sa version des faits afin que chacun puisse se faire son idée sur un épisode douloureux pour tous les protagonistes.

L'éco-hameau du Plessis ©etw-france

Rappelons que, légalement, si le bénévole reçoit un avantage (en argent ou en nature), qui dépasse les frais qu’il a engagés, et qu’un lien de subordination peut être caractérisé entre lui et l’association, le bénévolat peut alors être requalifié en contrat de travail. De manière générale, « il ne faut pas “sur-utiliser” les bénévoles », conseille Mathieu Labonne, qui constate que les lieux d’activité où personne n’habite sont davantage visés par les critiques, par rapport aux lieux de vie, qui parviennent à assumer certaines tâches en interne. Il rappelle également qu’il existe un statut particulièrement intéressant pour allier salariat et bénévolat : les Sociétés coopératives d’intérêt collectives (SCIC). En effet, si l’association loi 1901 permet de combiner salariat et bénévolat, y compris pour la même personne dont une partie du temps d’implication peut être rémunérée – La Maison Forte le fait, par exemple – les sociétés commerciales ne l’autorisent pas. Sauf les SCIC donc, qui sont les seules structures commerciales qui permettent du temps de bénévolat lorsqu’il s’agit d’activités d’intérêt général.

Bénévolat = travail dissimulé ?

La loi contient parfois des nuances subtiles ou propices aux interprétations. En 2014, le mouvement Wwoof en a fait les frais. Il s’est heurté au droit du travail français qui lui reprochait une activité risquant de faciliter le travail dissimulé, ou plus exactement une « absence de cadre juridique ». Une pétition, qui a recueilli plus de cinquante-mille signatures en quelques jours, a permis à l’association de faire valoir la légitimité de l’aide bénévole et d’être reçue par le Ministère de l’Agriculture. La discussion a abouti à une définition plus précise du wwoofing, que le mouvement rappelle à ses membres aussi souvent que possible : « Les échanges entre l’hôte et le Wwoofeur doivent se faire dans l’exclusion de tout lien de subordination et autre obligation de rentabilité », indique le site du mouvement, avant de préciser que « l’accueil gracieux, gîte et couvert offerts, n’est soumis à aucune promesse d’une quelconque contrepartie. Il n’y a qu’une seule condition, à savoir que le Wwoofeur doit exprimer le souhait sincère de vouloir découvrir la vie, le travail de son hôte et le suivre dans ses activités quotidiennes. » Enfin, « son accueil doit être occasionnel et d’une durée limitée : il ne doit en aucun cas remplacer un salarié ». Et d’enfoncer le clou auprès des agriculteurs : « Si vous recherchez une personne de ce type : adressez-vous au Pôle Emploi. » Du reste, des contrôles peuvent être menés par la MSA (Mutualité Sociale Agricole) et les autres corps compétents en matière de lutte contre le travail illégal – DIRECCTE*, gendarmerie, officiers de police judiciaire notamment.

La Nourrice ©Alexandre Sattler

Ces principes sont à garder en mémoire, y compris en dehors du mouvement Wwoof. Dans les écolieux, notamment. Christel Caparros, initiatrice de l’oasis de La Nourrice à Fuveau, près d'Aix-en-Provence, a créé une micro-ferme diversifiée avec cinq ateliers agricoles différents. Pour être certaine de rester dans les clous de la législation, cette oasis a créé une parcelle consacrée à l’auto-consommation du lieu et une autre pour la production destinée à la vente. « C’est important vis-à-vis de la MSA notamment, explique Christel, un bénévole ne travaille pas sur la parcelle pro. Par ailleurs, cela permet aussi aux contributeurs de ne jamais se dire qu’ils travaillent pour le profit économique de quelqu’un d’autre. »

De la même manière, dans l’écolieu de la ferme du Plessis, où se trouve le centre Amma (quasi attenant à l’éco-hameau évoqué plus haut), les organisateurs disent très clairement que les bénévoles paient leurs repas et hébergements au même tarif que les autres visiteurs. Il s’agit de montrer qu’il n’y a pas de contrepartie – même sous forme de réduction, donc – à la libre participation aux tâches. Non seulement cela permet d’éviter tout soupçon vis-à-vis du droit du travail, mais cela correspond aussi à l’esprit du « service désintéressé » pratiqué ici : cette démarche spirituelle, appelée Seva en sanskrit, considère que chacun aide l’autre d’abord pour soi-même plutôt que dans une démarche de travail ou d’efficacité.

Assumer et revendiquer

Certains toutefois ne voient pas l’entraide du même œil. Ainsi les défenseurs de l’agriculture conventionnelle intègrent opportunément le bénévolat dans leur argumentaire anti-agroécologie. Pour eux, cultiver sans chimie – comme dans de nombreux écolieux – n’est viable qu’avec cette main-d'œuvre gratuite. De surcroît, ils dénoncent le silence qui règne autour de ce point aveugle. Sans adhérer à cette analyse, on doit néanmoins reconnaître que le thème est peu abordé, y compris dans le réseau des écolieux. On peine à ouvrir les yeux et à adopter un discours clair – et surtout une pratique encadrée – sur cette question apparemment vue comme gênante. 

Pour les défenseurs de l’agriculture conventionnelle, cultiver sans chimie n’est viable qu’avec une main-d'œuvre gratuite

Pourtant, l’assumer permettrait de montrer le bien-fondé, la pertinence du bénévolat. « Les écolieux sont vus comme étant sous perfusion ? Et alors ? Les solutions écologiques innovantes – agroécologie, éco-construction… – nécessitent ce type de soutien, rétorque Laurent Bouquet, fondateur du Hameau des Buis. Assumons le fait qu’ils défrichent des solutions expérimentales et essuient les plâtres. Ici il nous a fallu par exemple prélever la terre du terrain pour la transformer en briques, et chercher les ballots de paille dans le champ d’à côté pour en faire de l’isolant. On cumulait, à nous tout seul, plusieurs étapes de la filière : fabrication de matériaux de construction et mise en œuvre. Alors oui, il y avait dix salariés pour trente bénévoles, sans quoi, à ce stade expérimental, ç'aurait été bien trop coûteux. »

Le Hameau des Buis ©Patrick Lazic

Dans un autre écolieu, un habitant regrette qu’« en France, le poids du système social, l’excès de procédures administratives et de contrôle, génèrent une suspicion sur le bénévolat. Dans d’autres pays – en Grèce, à Chypre, ou en Roumanie par exemple – c'est plus souple, notamment parce qu’il y a une culture familiale et un tissu social local plus forts. En Roumanie, quand il y a un mariage, tout le village vient sur le chantier des jeunes mariés pour les aider à construire leur maison. On a sacrifié cette solidarité spontanée pour une solidarité organisée, administrative. Cela déresponsabilise les citoyens. »

Ajoutons que malmener l’engagement bénévole est un bien mauvais calcul, y compris pour l’État lui-même. En effet, depuis plusieurs décennies, les pouvoirs publics se déchargent progressivement sur les associations d’un nombre toujours plus important de missions d’utilité sociale, sans que les financements soient proportionnels à ces transferts de charge. Pire, les subventions régressent. La réforme des contrats aidés – un dispositif pourtant décisif dans le choix d’embaucher, pour de nombreuses associations – en témoigne. « Le gel des contrats aidés, c’est 1,3 milliard d’euros d’impact budgétaire pour les associations », affirme ainsi un rapport du Mouvement associatif, qui ajoute qu’au regard de ce qu’il représente, « le secteur mérite une véritable politique de soutien à l’emploi associatif ». D’autant que la création d’emploi était loin d’être le seul effet bénéfique. Pour certains, la vraie efficacité des emplois aidés était de renforcer le rôle des associations sur les territoires – notamment dans les campagnes, qui ont particulièrement souffert de la réforme.

« Le gel des contrats aidés, c’est 1,3 milliard d’euros d’impact budgétaire pour les associations »

Malheureusement, aucun indicateur ne montre les effets bénéfiques sociaux, économiques et environnementaux du bénévolat en écolieux, pour l’intérêt général : les émissions de gaz à effet de serre économisées, l’influence d’une innovation sur d’autres projets, le lien social créé, la restauration des savoir-faire, etc. Sans compter les bénévoles qui acquièrent une expérience de grande valeur. Sur les chantiers participatifs, par exemple, on apprend en faisant, à travers tous les stades d’une construction. Dans ces conditions, pourquoi ne pas rendre le bénévolat plus accessible ? Pourquoi ne pas assouplir les règles, y compris l’encadrement du RSA ou du chômage (cf. encadré) ? « Nous sommes dans une dichotomie où le salariat bénéficie d’une forte reconnaissance - y compris lorsque le travail est contraire à l’intérêt général, quand il pollue, par exemple - tandis que le bénévolat, au service de la société, n’est pas considéré », constate Mathieu Labonne. Pour donner une meilleure place au statut des bénévoles dans les écolieux et les tiers-lieux, il faudrait quantifier la création de valeurs qui en découle. Quel est l’apport de cette activité pour le tissu social, la création d’emploi, l’épanouissement d’individus qui retrouvent du sens ? Cécile Renouard, directrice du Campus de la Transition, enseignante en éthique sociale à l’ESSEC, à l'École des Mines de Paris et à Sciences Po, a justement lancé une étude, à paraître prochainement, avec des chercheurs, afin de créer cet indicateur manquant. Un travail nécessaire et urgent !

RSA, bénévolat et intérêt général

Les cofondateurs et cofondatrices de la Ressourcerie du Pont ont passé sept ans sans argent et sans RSA – Revenu de Solidarité Active, qui s’élève à 560 euros pour une personne seule sans enfant. Ils souhaitaient montrer que l’on peut être écologiste et ne pas dépendre des minima sociaux. À l’issue de cette aventure, ils ont lancé leur ressourcerie. Lorsqu’il a fallu payer les premiers loyers du local, une ancienne usine textile, ils ont accepté leurs RSA, aussitôt absorbés par les loyers.

Dans les écolieux et les tiers-lieux, on rencontre aussi de nombreux contributeurs qui s’appuient sur le RSA dont ils bénéficient pour consacrer une partie de leur temps au bénévolat. Les témoignages montrent que ces citoyens assument ce choix : ils voient le RSA comme une juste contrepartie à leur implication pour l’intérêt général. Il est perçu comme un revenu universel dans un système économique où une activité professionnelle qui encourage la pollution ou l’hyperconsommation, est souvent mieux rémunérée et valorisée que de servir l’intérêt général.

« Un jour les inspecteurs de Pôle Emploi et du RSA sont venus ensemble sur notre chantier participatif en éco-construction, raconte le membre d’une oasis. Ils s’attendaient probablement à une ambiance “à la cool” mais ont débarqué dans une ruche en pleine activité, témoigne-t-il. Ils ont pris le temps de comprendre et ont vu combien cela profitait aux bénévoles. Les chômeurs et bénéficiaires du RSA étaient mieux sur ce chantier en train d’apprendre, que seuls à se morfondre chez eux. Cela sautait aux yeux, et les inspecteurs nous ont donc encouragés avant de repartir ! » Sur la base de ce constat, certains estiment que ces heures de bénévolat ne devraient pas être suspectées, mais plutôt encadrées et favorisées par les autorités, au même titre que l’acquisition de compétences ou une recherche d’emploi classique.

En attendant que ces règles progressent, les cofondateurs de la Ressourcerie évoluent dans leur démarche. Ils ont décidé de se confronter à la réalité économique, mais de l’intérieur, en créant six emplois… pour d’autres qu’eux : souvent des bénévoles de leur réseau, qui accèdent au salariat. « Être sans revenus et créer des emplois, c’est une démarche qui nous plaît ! » affirment-ils, gouailleurs. Néanmoins ils réfléchissent désormais, poussés par leur entourage, à créer aussi leur propre job.

La série “Tour de France des écolieux”, en libre accès, est produite par Colibris le Mag, en partenariat avec l’Agence de la Transition Écologique (ADEME).

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* DIRECCTE : Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.

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Bonjour,
Je fais partie de l'équipe WWOOF France (association à but non-lucratif) et je lis cet article avec beaucoup d'intérêt. Cette question nous anime au quotidien et nous développons beaucoup d'outils pour gérer au mieux cette ligne de crête que nous devons tenir pour que le bénévolat soit bien vécu des deux côtés. La bonne nouvelle est qu'en accompagnant, en formant, en formulant les attentes réciproques, de magnifiques aventures humaines se mettent en place. A des années lumières des "expériences" désormais vendues par de grosses plateformes.

Dès lors qu' on doute sur un concept il importe de prendre du recul et faire la distinction entre le système structuré par l' humain et le naturel désir humain.

Parmi tous les cas de figures ambigus entre le bénévolat et le rémunéré, à mon sens les deux mots clés sont le conditionnel et l' inconditionnel. À mon sens, dès lors que le régime démocratique est respecté, il est plus facile de pratiquer le bénévolat avec coeur étant donné que l' équilibre des principaux interéchanges sur les premiers besoins soient respectés. J' ajouterai par ailleurs, que ce principe philanthropique est sensé entrer dans la case de la pleine démocratie à revenir, vers la qualité empathique dans l' inconditionnalité.