La CNV en pratique : le témoignage d’un père confiné
À 42 ans, Mohammad Vanaki est coach « Agiles », méthodologies particulières pour accompagner des équipes d’entreprises dans le management de leur projet. Ingénieur de formation, il fait principalement du conseil et de l'accompagnement au changement des organisations. C’est au cœur de cette activité qu'a commencé sa recherche de sens et son intérêt pour la Communication NonViolente, devenue une ressource essentielle pour lui...
Marie-Laurence Hercenberg : Comment as tu connu la Communication NonViolente ?
Mohammad Vanaki : J’ai connu la Communication NonViolente par plusieurs canaux. Le premier contact, c’était lors d’un voyage dans la ville de Totnes en Angleterre (que l’on voit dans le film "Demain"), qui abrite le tout premier mouvement citoyen de « ville en transition », né en 2006. Je m’y étais rendu en 2013 pour voir justement comment les "transitionneurs" travaillaient. A cette occasion j’ai rencontré là-bas un Français qui était très branché CNV. Et à l’époque je trouvais sa manière de parler très posée, très calme. Ce que je n’étais pas autant à l’époque. A partir de 2014, j’ai suivi le cycle 1 et 2 de l’intelligence relationnelle et émotionnelle de l’EIREM, l’école d’Isabelle Filiozat. avant qu’elle se recentre sur le coaching parental. Et la CNV était l’un des sujets que l’on avait abordés lors des formations. Je trouvais l’outil intéressant et j’ai eu envie d’en faire un atout de tous les jours. Du coup j’ai suivi les modules 1, 2 et 3 de la formation à la CNV avec Michelle Guez il y a 2 ans. Ce sont les fondamentaux de la CNV. C’était un moyen d’être les deux pieds dedans, dans une formation dédiée à ça et de la pratiquer pendant trois fois 2 jours. La technique est assez simple, après c’est la pratique qui est importante. Et comme tout le monde j’ai lu le célèbre livre de Marshall Rosenberg [1] et une partie de « Cessez d’être gentil soyez vrai » de Thomas d’Ansembourg.
- Comment as-tu utilisé la Communication NonViolente en période de confinement ?
Comme avant le confinement, j'ai essayé de l’appliquer dans mon quotidien, dans mon couple surtout, où je trouve que c’est le plus difficile. J'ai aussi un petit garçon de 2 ans et, en confinement, je me suis aperçu que cela pouvait marcher avec lui ; j’étais agréablement surpris, même si je le savais. C'est quand la situation est la plus compliquée qu'il faut absolument que je lui parle dans une posture NonViolente.
Mais cela n’est pas toujours facile ; pendant plus 35 ans j’ai parlé le "langage chacal" [2] : vouloir avoir raison, exercer des rapports de force. J’ai vécu aussi des événements personnels difficiles ; j’ai donc dû réapprendre un tout autre langage. Je ne l’utilise pas tous les jours, même si j’aimerais pratiquer un langage CNV de rue, de tous les jours, comme dit Marshall Rosenberg*. Je souhaite vraiment que mon fils parte sur des bonnes bases tout de suite.
- C’est intéressant parce que 2 ans correspond à la période de l’opposition, la petite adolescence. Dès cet âge-là, quand l’enfant se sent écouté et compris dans ses besoins profonds, cela suffit à apaiser ses frustrations et donc ses manifestations de colère.
Il y a eu un épisode flagrant avec mon fils pendant le confinement, vers la troisième semaine, quand la pression est montée. J’ai utilisé tout le process et cela a vraiment bien fonctionné. J’étais en réunion dans ma chambre. Et mon fils vient, il tape à la porte une première fois, une deuxième fois, il entre, et là je dis à mes collègues, excusez-moi, j’en ai pour une minute. Je respire, je me lève de ma chaise, je me mets à sa hauteur et je lui dis « mon chéri – cela m’émeut d’en parler – tu vois là je suis en réunion, j’ai besoin de travailler, j’ai compris que tu avais envie de me voir, de jouer avec moi, moi aussi j’ai très envie de jouer avec toi, mais là tu vois je suis en réunion, est-ce que tu veux bien aller jouer avec maman pendant 1 heure encore et après je viens m’occuper de toi ? ». J’ai vu son visage illuminé, il a dit "ok" et il est parti. Il continue à venir maintenant, mais beaucoup moins qu’avant.
Tout dépend aussi de mon état de fatigue, de stress. J’ai l’impression que lorsque j’en ai vraiment besoin, que cela devient compliqué, c’est une vraie ressource disponible. Par ailleurs, avec ma femme, nous sommes en thérapie individuelle et on a fait aussi un peu de thérapie de couple.
- La Communication NonViolente t'aide donc dans ton rapport aux autres... Et à toi-même ?
Oui c’est aussi très utile pour moi : détecter mes besoins, en prendre soin, prendre en compte, accepter mes émotions, ce que l’on appelle en CNV "faire de l’auto-empathie". Ne pas refouler mes émotions, mais les accueillir. Car, je suis quelqu’un qui a besoin de sortir, de me dépenser physiquement, donc cette période de confinement n’a pas été évidente.
J'utilise aussi la Communication NonViolente dans un contexte professionnel. Au travail, je m’en sers comme une ressource. Parfois cependant, même si je suis bien le processus, que je choisis bien tous mes mots, comme les gens ne sont pas toujours habitués à recevoir cette façon de parler, ils peuvent mal l'interpréter. Là où je trouve finalement que cela marche le mieux, c’est dans un groupe. La portée du process CNV y est plus importante ; là où, en face à face, cela peut déraper. On est plus vrai finalement en groupe. On peut moins tricher.
- Quelles sont les limites de la CNV pour toi ?
J’en vois peu, plutôt des précautions d’usage. Dans le monde professionnel, on peut avoir tendance à édulcorer les émotions pour mieux les faire entendre. Or, en CNV, on dit qu’il n’y a pas d’émotions positives et négatives, mais des émotions agréables et désagréables.
- Pour moi, c’est l’ouverture du cœur qui compte au-delà de l’outil. Car le meilleur des outils, même la CNV, peut-être utilisé insconsciemment pour manipuler, avoir du pouvoir sur l’autre...
1. Marshall Rosenberg est un psychologue américain reconnu comme étant le créateur d'un processus de communication appelé « Communication Non Violente » (CNV).
2. Pour illustrer l'application de la démarche CNV, Marshall Rosenberg utilise la métaphore de la girafe et du chacal. La girafe représente la personne en situation de communication non violente, le chacal symbolise la violence présente dans les situations de communication. Ainsi l'apprentissage de la CNV consiste à passer d'une communication « chacal » à une communication « girafe ».
Pour aller plus loin
- La CNV en pratique : le témoignage d’une famille confinée / Colibris le Mag
- Communiquer sans violence pour rendre la lutte forte et joyeuse / Colibris le Mag
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