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Un entretien sur une société sans déchet, sans gaspillage

Flore Berlingen : les freins pour passer au Zéro déchet #1

Flore Berlingen, 33 ans, travaille depuis plus de 10 ans sur la protection de l’environnement, et plus particulièrement sur la réduction des déchets dans la société. Formée au CNIID (Centre national d'information indépendante sur les déchets), créé en 1997, elle rejoint ensuite l’association la 27ème Région, qui travaille avec des collectivités locales pour développer de nouvelles gouvernances, puis a co-fonde le collectif OuiShare, dédié à la promotion d’une société collaborative, avant de revenir il y a six ans au CNIID pour en devenir la directrice. Renommé Zero Waste France, l'association garde les mêmes missions. Celle-ci a notamment contribué à créer le réseau international GAIA (Global Alliance for Incinerator Alternatives) en décembre 2000, qui compte à présent 800 structures non gouvernementales dans plus de 90 pays.


Les filières de traitement de déchets actuelles sont hautement polluantes

Si votre principal objectif est de réduire la production de déchets, disons tout de même deux mots sur l’étape du traitement des déchets : il y a-t-il des filières de traitement à la fois performantes et vertueuses du point de vue écologique et énergétique, ou aucune ?

Un rappel d’abord sur les différents traitements qui existent. En volume, on avait l’habitude jusqu’ici de considérer qu’1/3 des déchets ménagers en France était recyclé, 1/3 était mis en décharge et 1/3 était incinéré. Ces chiffres ont un peu évolué : l’enfouissement s’est plutôt réduit à un quart au profit… de l’incinération et, secondairement, du recyclage.

Pour ce qui est de la poubelle de recyclage des ménages, son contenu part en centres de tri puis en filières de recyclage en France, en Europe, voire beaucoup plus loin. Pour ce qui concerne le verre, les filières sont nationales et fonctionnent plutôt bien. 

Et pour la poubelle du tout venant, elle a deux destinations possibles : la mise en décharges à ciel ouvert, qu’on a préféré appeler « centres d’enfouissement » puis « installations de stockage de déchets non dangereux », et l’incinération. Ces deux modes de traitement sont très différents, mais nocifs l’un et l’autre. Les décharges stockent environ 1/4 de nos déchets ménagers, qui sont recouverts d’une couche d’argile et terre. On peut d’abord déplorer que ce procédé conduit à un gaspillage de matières puisque celles-ci vont être enfouies définitivement et non recyclées. Ensuite, certains composants (plastiques, piles et autres) peuvent constituer des polluants préoccupants pour les sols et les nappes phréatiques, malgré les bâches de protection des fonds de décharges qui ne sont pas durablement étanches, mais aussi pour l’atmosphère – on note des émissions notamment de méthane, un puissant gaz à effet de serre –, à court, moyen ou long terme, après la décomposition des ordures ménagères.

Quant à l’incinération, les problèmes sont comparables, avec la perte de matières susceptibles d’être recyclées ou compostées, ainsi que des pollutions atmosphériques : le CO2, issu de la combustion, et divers autres polluants ne sont pas toujours filtrés ou bien filtrés selon les pays. Sans compter que les filtres de ces fumées d’incinération ne peuvent absolument pas être recyclés et finissent en décharges pour produits dangereux car ils comportent des résidus toxiques. Or ces résidus peuvent représenter une vingtaine de kilos par tonne incinérée…


©Source : Ademe

Le traitement des déchets en France est-il similaire à celui pratiqué dans d'autres pays ?

Nos seules préconisations en matière de traitements des déchets, en dehors de réduire les quantités de déchets eux-mêmes, consistent à réclamer une harmonisation des standards de traitement sur les procédures et les techniques les moins polluantes et coûteuses en matières et énergies à l’échelle mondiale. Car dans les pays du Sud, pauvres et émergents, les conditions de stockage de ces déchets (dont une partie provient des pays occidentaux) sont souvent déplorables. En réponse à cela, des technologies de traitement par incinération leur sont proposées de manière pas toujours adaptées par les opérateurs, dont les Français Veolia et Suez et leurs multiples filiales et sous-filiales à l’étranger. Leurs installations dans ces pays ne respectent pas toujours les normes en vigueur en Europe :  il existe un double standard dans ce domaine en matière environnementale et sanitaire qui n’est pas acceptable.


“L’objectif est de permettre à tous de réduire facilement ses déchets plutôt que de permettre à quelques familles d’atteindre le zéro déchet


©Zero Waste France


Si l’on revient à la réduction des déchets à l’échelle des ménages quels sont les principaux freins que vous avez identifiés ? 

Il y a des freins à lever, de toutes natures. Ce qui nous importe, c’est moins qu’une poignée de personnes arrive au zéro déchet complet, mais plutôt que cela devienne plus facile pour tout le monde et que chacun y tende… Et on a souvent entendu des critiques, de toutes parts, assurant qu’on ne peut parvenir à un mode de vie véritablement zéro déchet. Ou que cela transformerait notre vie en enfer !


 Effectivement, cet objectif apparaît très théorique, plus comme un slogan d’entraînement qu’un objectif réaliste… 

En réalité, l’immense majorité des déchets ménagers peut être évitée ou recyclée. Et ce n’est pas parce qu’il reste sans doute quelque 10 % de déchets difficiles à éviter qu’il faut oublier l’effort qui demeure à notre portée. Précisons les choses : si vous regardez le contenu de nos poubelles, on trouve en gros 1/3 d’emballage et 1/3 de déchets organiques. Voilà deux flux de déchets sur lesquels on a une énorme marge de manœuvre, aussi bien au niveau des ménages, à travers le tri, qu’à celui des industriels de la production et de la distribution, ainsi que des collectivités. Prévoyons, par exemple, dans chaque commune, des systèmes de collecte spécifiques des déchets organiques, notamment en zones urbaines denses où l’on n’a pas nécessairement les moyens de faire un compost, même si l’on peut pratiquer en appartement du lombricompostage, ou parfois trouver un compost collectif dans son quartier. 

En d’autres termes, si l’on veut s’engager significativement en France sur cette voie du Zéro Déchet, tous les acteurs doivent y concourir, et cela ne doit pas devenir un parcours du combattant pour les ménages.


"En réalité, l'immense majorité des déchets ménagers peut être évitée ou recylée"



Et pour le 1/3 des déchets restant, non compostables ou recyclable, on fait quoi…? 

Ce dernier tiers est en fait très composite. Parmi ce 1/3 restant, on trouve tout ce qui est textile : des vêtements usagés et des chaussures ; mais aussi et surtout des textiles sanitaires jetables qui ont beaucoup augmenté ces dernières années (couches, lingettes, essuies-tout, mouchoirs, protections pour femmes et pour personnes âgées, etc.). Sur ces derniers types de textiles, des alternatives plus durables et réutilisables existent, comme des textiles de nettoyage lavables, des couches lavables, etc. C’est clair qu’il faut changer, là encore, nos habitudes ; mais aussi pouvoir se faire aider et ne plus subir la puissance désastreuse du marketing industriel. 

Et il y a de nouveaux services à inventer ou à développer à l’échelle locale – et de l’emploi à créer ! Prenons l’exemple des couches pour bébé dont ne peut pas vraiment se passer : je suis en train de tester moi-même les services de Ma Petite Couche, une société qui, sur Paris, loue des couches lavables 0 toxiques. Elle propose aussi un service de lavage et de livraison à domicile des couches propres.. Leur système est assez simple, efficace, et les conditions de lavage sont optimisées  grâce au grand nombre de couches traitées. Et ce service est raisonnable financièrement. Pourquoi un tel service de blanchisserie spécialisé ne se développerait pas ailleurs dans Paris et d’autres territoires ?


“Il y a de nouveaux services à inventer et de l’emploi à créer dans ce système zéro déchet !


©Zero Waste France  - Stefano Borghi

De la même manière, en matière d’habits et de chaussures, il y a une formidable marge de progression, que ce soit sur la réduction d’achats de textiles neufs – les achats, locations et trocs d’habits d’occasion sont d’ailleurs en plein boum ! –, mais aussi sur les filières de recyclage des textiles, qui peuvent intéresser divers secteurs, notamment le BTP, mais sont encore très peu développés. 

Zero Waste a lancé le Défi « Rien de neuf » pour accompagner cette tendance de l’occasion, du prêt et à la location, et ça marche fort ! Cette dimension de réduire les achats d’objets et de produits neufs est vraiment capitale si l’on veut réussir à réduire sensiblement les déchets en France et dans le monde occidental - y compris ceux que l’on ne voit pas, qui émanent de la production industrielle de nos biens. 

Voilà pourquoi, en faisant des efforts réalistes à différents niveaux, on peut vraiment traiter 90 % de nos déchets et tendre donc au Zéro Déchet !

Ajoutons qu’il existe enfin une série de déchets, et je pense au secteur de l’électronique (Wifi, téléphonie, ordinateurs, écouteurs…), qui sont à la fois de plus en plus massifs – ils explosent partout sur Terre ! – et très complexes à recycler, avec peu de matières facilement réutilisables. Ce qui demande un effort et un coût élevé. Il est clair que dans ce cas, les stratégies doivent être différentes, et porter à la fois sur le fait de réduire ces niveaux fous de consommation, d’accroître alors considérablement le réemploi et la réparation, et la production de matériels plus durables et moins gourmands en matières et en énergie. On le voit bien sur ces produits très populaires : l’effort ne peut porter seulement sur les consommateurs. L’offre de matériels durables ou de filières de réparation et de recyclage n’est clairement pas développée par l’industrie.


“Il faut réduire les achats d’objets et de produits neuf pour réduire les déchets dans le monde occidental


Chant des Colibris - Toulouse - juin 2017 (© Fanny dion)

Pour réduire les déchets, chacun a son propre rythme et sa façon de procéder


Vous avez créé la Maison du Zéro Déchet à Paris, un espace pédagogique et de démonstration. Au-delà, suivez-vous des familles engagées vers le Zéro Déchet chez eux ?

Non, pas directement, mais certains de nos groupes locaux le font. Et de nombreuses collectivités, mais aussi des associations et des collectifs de citoyens, organisent des « défis zéro déchets » en France. Avant tout avec une vocation pédagogique et de communication, ce qui est précieux. Il ne s’agit pas d’accompagner de très nombreuses familles, plutôt un échantillon. A Roubaix, une ville qui fourmille d’idées et de propositions pour réduire les déchets, les familles participantes deviennent souvent des ambassadrices de la démarche et peuvent en entraîner d’autres. 

Et les enseignements que l’on peut tirer de ces « défis », c’est que non seulement il convient d’accompagner et d’aider les ménages dans cette démarche, mais que les difficultés rencontrées ne sont pas du tout identiques selon les familles. Certaines vont bloquer sur le compostage, d’autres sur la réduction des emballages, ou celle des textiles sanitaires, etc. Donc, l’une de premières questions à se poser est de bien savoir par où commencer pour ne pas se décourager d’entrée !


“Pour ne laisser personne de côté, il faut accompagner tout le monde et prendre chacune des situations familiale en compte

©Maison du Zéro Déchet  - Stefano Borghi

Dans votre propre famille, vous en êtes où en matière de déchets ?

Nous ne sommes pas à zéro déchet : nous faisons du compostage de tous nos déchets organiques, nous nous efforçons d’éviter les emballages avec des achats alimentaires en vrac et au marché, nous transformons le plus possible des aliments bruts et fabriquons nos produits ménagers ; on teste également les couches lavables, et on achète à présent quasiment tout d’occasion. Et je m’aperçois que le plus dur, dans le fait de ne plus acheter du neuf c’est que  les sollicitations pour rentrer dans un magasin ou commander sur Internet sont partout ! Trouver des alternatives, cela demande un peu plus d’engagement, d’organisation aussi.

Mais, comme je vous le disais mon objectif personnel n’est pas de viser la perfection, et de consacrer toute mon énergie à le devenir, si cela reste peu accessible à la majorité des gens. Je cherche donc, tout en progressant, surtout à aider d’autres personnes, d’autres acteurs, à enclencher cette démarche.




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J ai travaillé dans le tri sélectif donc je suis intéressé par le zéro déchet